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Atteinte sexuelle : et si la Justice disait que votre enfant a consenti à des rapports sexuels avec un adulte ? Par Carine Durrieu Diebolt, Avocat.
Parution : lundi 28 août 2017
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Cela vous choquerait et pourtant la justice ne l’exclut pas, même pour des enfants de 10/11 ans ou plus jeune. J’écris cet article suite à plusieurs dossiers du cabinet dans lesquels le parquet a qualifié les faits concernant de jeunes mineures (10-11 ans) en « atteinte sexuelle », ce qui induit que l’agresseur n’a usé ni de violence, contrainte, menace ou surprise.
Ainsi de B alors âgée de 11ans : à la sortie du collège, elle a rencontré l’agresseur, un voisin sympathique, qu’elle connaissait un peu. Elle était confiante et l’a suivi dans son immeuble où il a eu des rapports complets avec cette enfant dans une cage d’escalier.

Rappelons que, pour qu’il y ait viol, il n’est pas nécessaire que la violence physique ou la force corporelle ait été employée pour contraindre la victime. Une violence morale exercée par voie d’intimidation suffit parfaitement.
Déjà au XIXème siècle, la jurisprudence avait énoncé très clairement ce qui constituait la séduction d’une enfant de 13 ans et demi par un homme adulte « l’inégalité d’âge, d’intelligence, de position sociale et même de forces physiques ne permet pas de douter qu’il y ait eu à l’égard de la jeune C. une contrainte morale exclusive d’un consentement intelligent et d’un entrainement volontaire » (histoire du viol).
Faut-il que notre droit actuel ne soit pas plus protecteur des intérêts de l’enfant ?

Comment la loi définit l’atteinte sexuelle sur mineurs de 15 ans ?

L’article 227-25 du Code pénal prévoit cette infraction ainsi qu’il suit : « Le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende. »
Il s’agit donc d’un rapport sexuel consenti (avec pénétration ou non) entre un mineur de moins de 15 ans et un adulte qui a conscience de l’âge de l’enfant. En soi, c’est répréhensible, mais bien moins qu’une agression sexuelle (sans pénétration) ou un viol (avec pénétration), non consentis.

Pourquoi le parquet retient-il le consentement du jeune mineur dans l’affaire B ?

Sans doute car l’enfant n’a pas crié, ne s’est pas enfui, ne s’est pas défendu, a suivi l’agresseur. Elle est restée, sidérée par les agissements de l’adulte. Elle n’a pas su s’enfuir, n’a pas appelé au secours, tétanisée par la peur.
Ces mécanismes du cerveau sont désormais bien connus des spécialistes (comme Muriel Salmona, psychiatre), mais peuvent s’avérer contre intuitifs pour des juristes.
Les recherches cliniques et neuro-biologiques effectuées depuis 10 ans sur les traumatisés de guerre et notamment des vétérans de la guerre du Vietnam ont permis d’étudier et de décrire le mécanisme de sidération/dissociation/mémoire traumatique pouvant affecter de même façon les victimes de viol ou d’agression sexuelle.
Des IRM fonctionnelles ont ainsi permis de visualiser la différence d’activité cérébrale déclenchée par le récit d’une scène de guerre devenant violente chez deux vétérans du Vietnam. Chez le vétéran affecté d’un psycho-traumatisme, une absence d’activité des zones corticales commandant la prise de décision est constatée ainsi qu’une hyper activation de la zone émotionnelle (amygdale cérébrale) générant une augmentation de sécrétion d’hormones de stress (adrénaline et cortisol) qui constituent un risque cardiaque et cérébro-vasculaire vital. Les représentations mentales sont alors balayées, aucune analyse de la situation n’est plus possible. La sidération entraine une paralysie de la victime.

Plaider la requalification :

L’article 469 du CPP dispos : « Si le fait déféré au tribunal correctionnel sous la qualification de délit est de nature à entraîner une peine criminelle, le tribunal renvoie le ministère public à se pourvoir ainsi qu’il avisera. »
Il suit de ce qui précède et en application de l’article susvisé, qu’il peut être demandé au tribunal de constater que le fait déféré sous la qualification de délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans est un viol prévu aux articles 222-23 et 222- 24 du CP, de nature à entrainer une peine criminelle, et en conséquence de renvoyer le Ministère Public à mieux se pourvoir. Sans pénétration, il peut être plaidé l’agression sexuelle.
Lorsqu’il s’agit d’enfant, la contrainte et la surprise peuvent être utilement invoquées (lorsqu’il n’y a pas eu de coups portés ou de menace).
Le législateur français a défini des critères objectifs de la contrainte morale afin d’aider le juge à caractériser l’absence de consentement du mineur et la loi du 8 février 2010 (nouvel article 222-22-1 du Code pénal) est venue préciser que : « La contrainte peut être physique ou morale. La contrainte morale peut désormais résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui ci exerce sur cette victime ».
En application de ce texte, pour déclarer un prévenu coupable d’agression sexuelle aggravée (autre que le viol), une chambre des appels correctionnels a relevé notamment que si aucune des victimes « n’a fait état de violences ou de menaces exercées sur elle par le prévenu, celui-ci, de par son statut et son aura de professeur reconnu de karaté lui conférant une autorité certaine, a su créer une proximité relationnelle et affective avec des jeunes garçons, les plaçant dans une situation de dette en leur offrant divers cadeaux et que ce comportement caractérise suffisamment la contrainte morale exigée par l’article 222-22-1 du Code pénal  ».
Un pourvoi a été formé contre cette décision que la Haute juridiction a rejeté aussitôt : « en se déterminant ainsi, et dès lors que la contrainte résulte de l’autorité de fait exercée sur les victimes par le prévenu, la cour d’appel a fait l’exacte application des textes visés au moyen ». (Cass. crim., 18 févr. 2015, no 14-80772, ECLI:FR:CCASS:2015:CR00086, M. Marc X, D (rejet pourvoi c/ CA Besançon, 17 déc. 2013), M. Guérin, prés., M. Moreau, cons. rapp., M. Foulquié, cons. ch. ; Me Le Prado, SCP Gatineau et Fattaccini, av.)
On peut aussi considérer que l’enfant a été surpris par les agissements de l’agresseur en qui il avait confiance.

Vers une présomption d’absence de consentement du jeune mineur ?

La France est en retard. La plupart des législations européennes ont adopté une présomption irréfragable d’absence de consentement du mineur victime d’actes sexuels, avec un seuil d’âge, généralement entre 12 et 14 ans : 14 ans en Allemagne, Belgique, Autriche, 16 ans pour l’Angleterre et la Suisse, 12 ans en Espagne… . Le consentement n’est jamais retenu en deçà de 12 ans.
Dans ce contexte européen incitatif, le HCE a préconisé dans son rapport de novembre 2016 d’instaurer «  un seuil d’âge de 13 ans en dessous duquel un(e) enfant est présumé(e) ne pas avoir consenti à une relation sexuelle avec un(e) majeur(e), et de renforcer la protection des mineur(e)s contre l’inceste en prévoyant qu’une atteinte sexuelle commise sur un(e) mineur(e) par une personne ayant autorité parentale est présumée ne pas avoir été consentie ».
Cette solution reçoit l’assentiment de magistrats de la Cour de cassation, qui estiment que les règles juridiques actuelles rendent trop incertain le sort des motivations par les juges du défaut de consentement des mineurs victimes de viol et d’agression sexuelle (Renée Koering-Joulin, Brèves remarques sur le défaut de consentement du mineur de quinze ans).
J’ai sous les yeux un jugement du tribunal correctionnel qui a condamné un concierge pour atteinte sexuelle sur une mineure de 9 ans et demi ; il s’agissait de rapports sexuels complets y compris anal. La jeune victime, interrogée devant le tribunal correctionnel, avait déclaré qu’elle n’avait pas eu peur (sans doute car elle connaissait bien l’agresseur) ce qui a permis au juge d’écarter la contrainte, violence, menace ou surprise, et par voie de conséquence le viol n’a pas été retenu malgré le très jeune âge de la victime et la nature des faits.
L’agresseur a été condamné à un an de prison avec sursis… Imagine-t-on le mal qui est fait à une victime lorsqu’elle lit dans une décision de justice qu’à 9 ans, elle a consenti à des rapports sexuels complets, sans pression, manipulation ou surprise de la part du concierge.
Ce jugement est un peu ancien (il date de 1992) mais ne doit-on pas désormais fixer un seuil d’âge en deçà duquel notre société, à l’instar des autres pays européens, considèrerait qu’un enfant ne consent pas librement à un rapport sexuel avec un adulte ?

Carine DURRIEU DIEBOLT Avocate en droit pénal/ dommage corporel/droit des victimes Membre de la CIIVISE cabinet.durrieu@free.fr http://www.diebolt-avocats.com
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