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Sur les possibilités de réintégration de l’assurance-vie à la succession. Par François Buthiau, Avocat.
Parution : lundi 28 août 2017
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La problématique de la conciliation de l’assurance-vie avec le droit de la liquidation et du partage des successions est des plus classiques en théorie et des plus courantes en pratique. L’héritier s’estimant lésé par un contrat d’assurance-vie octroyé à un tiers dispose, pour chercher à lui appliquer les règles successorales communes, d’un certain nombre d’outils juridiques dont il n’a pas toujours parfaitement conscience.

Le régime de l’assurance-vie au décès est généralement résumé de la façon suivante, à partir des dispositions de l’article L.132-13 du Code des assurances :
- Les capitaux ou la rente reçus par le bénéficiaire ne font pas partie de la succession de l’assuré et ne sont donc pas soumis aux règles du rapport et de la réduction, étant rappelé que le rapport consiste en la réintégration dans la succession de toute libéralité (donation, legs) reçue par un héritier tandis que la réduction désigne l’opération de diminution, par principe en valeur, de la libéralité lorsqu’elle dépasse la quotité disponible en présence d’héritiers réservataires ;
- Les primes versées par l’assuré échappent de la même façon au rapport et à la réduction sauf si elles ont présenté un caractère «  manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur ».

Ainsi, tout héritier qui s’estime déshérité par un contrat d’assurance-vie souscrit par le défunt au profit d’un tiers ne peut en demander le rapport et/ou la réduction sauf à établir le caractère exagéré des primes versées.

Innombrables sont dès lors les actions engagées par un héritier à l’encontre d’un bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie sur le fondement du caractère exagéré des primes, et ce d’autant que le recours à l’assurance-vie est aujourd’hui particulièrement fréquent, notamment du fait des avantages civils et fiscaux qu’elle procure.

Ce faisant, l’héritier ignore souvent la difficulté que va présenter pour lui le fait de démontrer le caractère « manifestement exagéré  » des primes, la charge de la preuve lui en incombant.

Faute de définition légale, la jurisprudence a dû fixer les critères de l’exagération, laquelle doit être appréciée « au regard de l’âge ainsi que de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur et de l’utilité du contrat pour ce dernier » (par ex., Cass.1, Civ.1, 29 mai 2013, n°12-11.785).

A partir de ces critères, associés à la méthode du faisceau d’indices, les juges du fond apprécient souverainement, c’est-à-dire sans que la Cour de cassation puisse exercer son contrôle, si la preuve du caractère manifestement exagéré des primes est ou non rapportée par l’héritier qui s’en prévaut.

Ce dernier va alors devoir essayer d’apporter nombre d’éléments, dont il ne dispose pas toujours loin s’en faut, pour démontrer que le contrat d’assurance-vie excédait les facultés contributives du souscripteur au moment de sa souscription ou qu’il ne présentait pas d’utilité pour celui-ci, autre donc que la transmission par ce biais de tout ou partie de son patrimoine. Il est aisé d’imaginer que la tâche peut souvent s’avérer délicate.

Au surplus, la définition large et peu précise de la notion d’exagération manifeste ainsi que le pouvoir ici accordé aux juges du fond sont source de décisions fluctuantes, parfois contradictoires, dans lesquelles il est souvent bien difficile de se retrouver.

Or, en dehors du fondement du caractère manifestement exagéré, l’héritier oublie fréquemment d’autres arguments qu’il pourrait faire valoir pour obtenir le rapport et/ou la réduction du capital d’assurance-vie.

A s’en tenir au premier d’entre eux, relatif à la volonté du souscripteur, tout héritier s’estimant lésé devrait s’interroger ab initio sur la question de savoir si le souscripteur du contrat a souhaité voir appliquer ou, au contraire, écarter le régime dérogatoire de l’assurance-vie au regard du droit des successions.

Il convient alors de rechercher si le souscripteur a pu manifester d’une manière ou d’une autre sa volonté de voir appliquer les règles successorales communes, le régime dérogatoire de l’assurance-vie prévalant à défaut d’éléments sur ce point.

Or, cette volonté peut tout particulièrement être trouvée lorsque le contrat d’assurance-vie a été l’objet d’un legs, qu’il a été transmis par voie de testament donc. Dans cette hypothèse, la jurisprudence retient en effet le plus souvent que le souscripteur a souhaité écarter le régime dérogatoire de l’assurance-vie.

La solution est relativement évidente lorsque ce dernier a précisé dans son testament que le capital d’assurance-vie légué devait être pris en compte dans le calcul de la réserve et de la quotité disponible (Cass. Civ. 1, 8 juillet 2010, n°09-12.491).

Cependant, même en l’absence d’une telle précision, le simple fait de léguer le capital d’assurance-vie, de le transmettre par testament donc, a pu être interprété comme la manifestation de la volonté du souscripteur d’inclure le capital dans sa succession et donc de voir s’appliquer les règles qui s’y rapportent (Cass. Civ. 1, 10 octobre 2012, n°11-17.891).

D’une manière générale, l’appréciation est là encore faite par les juges du fond dans l’exercice de leur pouvoir souverain.

Ainsi, s’il ne s’agit évidemment pas d’exclure tout recours au fondement légal du caractère manifestement exagéré des primes d’assurance, qui peut toujours être opportun dans une situation donnée mais est donc à manier avec précaution, l’on voit qu’il existe d’autres possibilités à l’héritier s’estimant lésé par un contrat d’assurance-vie pour chercher à lui appliquer le droit commun des successions, en particulier les règles du rapport et de la réduction.

François Buthiau Avocat à la Cour Barreau de Paris https://bsavocats.net/2022/09/01/avocat-successions/ https://bsavocats.net www.buthiau-simoneau.com