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Compte pénibilité : une réforme en trompe l’œil. Par Romain Pagnac, Avocat.
Parution : mardi 29 août 2017
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L’article 5 du projet de loi du 2 août 2017 « d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social » entend apporter des modifications au compte pénibilité.

Tour d’horizon des enjeux d’une nécessaire réforme de ce dispositif.

Définition

Le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), dit « compte pénibilité » a été instauré par la loi du 20 janvier 2014 [1].

Il permet au salarié exposé à divers facteurs de pénibilité au-delà de seuils réglementaires de cumuler des points pour obtenir, soit une réduction de son temps de travail, soit une formation pour occuper un autre emploi, soit une retraite anticipée.

La caisse d’assurance vieillesse communique tous les ans au salarié le nombre de points obtenus.

Celui-ci peut à tout moment se tenir informé de l’évolution de son compte sur le site dédié : http://salarie.preventionpenibilite.fr

Subsistance d’un fonctionnement complexe

Concrètement, quel que soit l’effectif d’une entreprise ou l’activité exercée, tout employeur a l’obligation de mettre en place ce compte (C3P) dès lors qu’un de ses salariés est soumis à au moins un des dix facteurs de pénibilité suivants [2] :
- Travail de nuit
- Travail répétitif
- Travail en équipes successives alternantes (notamment le 3x8)
- Travail en milieu hyperbare, c’est-à-dire sous la mer
- Postures pénibles
- Manutention de charges lourdes
- Risques chimiques
- Vibrations mécaniques
- Travail en température extrême
- Travail en milieu bruyant

En pratique, une étude de la DARES démontre que près de 40 % des salariés sont exposés à des facteurs de pénibilité au travail [3].

Chaque salarié concerné bénéficie d’un compte sur lequel il cumule des points (plafonné à 100 points) en fonction du nombre de trimestres d’exposition à un travail pénible.

Dans un premier temps, l’employeur doit identifier les postes de travail et les salariés concernés, ainsi que les facteurs de pénibilité existants.

Dans un second temps, l’employeur doit déclarer via les DADS ou DSN [4] les facteurs de risques professionnels auxquels les travailleurs sont exposés au-delà de certains seuils, « appréciés après application de mesures de protection collective et individuelle » [5]

La complexité du C3P a rapidement conduit les entreprises à consacrer davantage de temps à mesurer et renseigner les expositions aux risques qu’à assurer la prévention de ces derniers.

De ce point de vue, isoler les salariés qui sont soumis aux facteurs de risque, en déterminant quels gestes du salarié doivent être pris en compte, représente ce que nombre d’entrepreneurs qualifient de « véritable usine à gaz ».

Dans le cadre de ses projets de réforme, sans nul doute serait-il pertinent que le gouvernement encourage plutôt un traitement collectif de la pénibilité (horaires décalés, travail atypique, nature des activités des entreprises concernées, problématique de mise en œuvre du document unique d’évaluation des risques…), voie moins laborieuse, plus lisible pour les entreprises, et plus efficace pour la santé et la sécurité des salariés.

De ce point de vue, la réforme du compte pénibilité, qui sera renommé « compte de prévention » n’emprunte guère cette voie.

Maintien de 6 critères de pénibilité sur 10

Pour l’heure, le gouvernement se contenterait d’exclure du compte à points quatre des dix facteurs de pénibilité, les plus décriés par les employeurs - qui les jugeaient inapplicables au motif qu’ils sont difficilement mesurables -, à savoir :
- Postures pénibles
- Manutention de charges lourdes
- Risques chimiques
- Vibrations mécaniques

Cela signifie que l’employeur n’aurait plus à déclarer des durées d’exposition pour ces quatre facteurs de risque.

Les salariés exposés aux quatre critères de pénibilité exclus feraient l’objet d’une visite médicale « de fin de carrière » pour contrôler les conséquences de leur exposition.

La logique de prévention semblerait donc modifiée au profit d’un contrôle a posteriori, ce que l’on ne peut que déplorer. Le progrès ne résiderait-il pas dans le soulagement en amont de la pénibilité au travail par l’encouragement à la mise en place de mesures préventives ?

Les salariés exposés aux quatre risques susvisés pourront bénéficier d’un départ anticipé à la retraite, mais seulement quand « une maladie professionnelle a été reconnue » et si le « taux d’incapacité permanente excède 10 % » [6].

Il faudra donc qu’une maladie soit reconnue comme ayant été causée par le travail pour que cette compensation soit octroyée… La nouvelle mouture du compte pénibilité, qui deviendra le « compte de prévention », portera-t-il véritablement bien son nom ?

Pour les 6 autres facteurs de pénibilité, les modalités de déclaration et de prise en compte resteraient inchangées pour les entreprises.

Cette absence de simplification sur ce point est sans doute regrettable, notamment pour les TPE-PME, contraintes de dépenser un temps précieux pour satisfaire des normes et des charges administratives et financières toujours plus nombreuses.

Enfin, on regrettera que le projet de loi limite la pénibilité à la seule problématique de la réparation et n’envisage pas une articulation entre incitations financières aux entreprises et mesures de prévention.

Incertitudes sur le financement du dispositif

Aujourd’hui, l’employeur est tenu de déclarer les cotisations des salariés au compte pénibilité dans la DADS.

Le financement du compte s’effectue par un fonds (le fonds pénibilité) que l’employeur abonde via deux cotisations :
- une cotisation de base de 0,01 % des rémunérations, applicable à tous les employeurs,
- une cotisation additionnelle de 0,2 % à 0,4 % de la masse salariale, créée pour inciter les entreprises les plus concernées à développer la prévention.

Le projet gouvernemental est de supprimer ces deux cotisations patronales, entérinant la fin du principe de « pollueur-payeur ».

Le « compte de prévention », serait financé par la branche accidents du travail / maladies professionnelles (AT/MP) de chaque régime de Sécurité sociale.

Ainsi, cela signifie que toutes les entreprises devront contribuer au dispositif, y compris les plus vertueuses en matière de pénibilité, alors que l’objectif initial appliquait un principe similaire à celui du « pollueur-payeur ».

Enfin, si une charge supplémentaire est affectée à la branche AT-MP, certains régimes de Sécurité sociale devront nécessairement ajuster leurs recettes...

Pour illustration, la branche AT/MP du régime agricole est loin d’être aussi excédentaire que celle du régime général.

La réforme du mode de financement du compte pénibilité pourrait se traduire par une augmentation des taux de cotisation à ce régime pour les employeurs agricoles.

A l’heure de la communication médiatique autour de la « simplification » et de la « refondation » affichées, on serait bien inspiré de garder à l’esprit la sage mise en garde de l’historien feu Elie Ben Gal : « qui sème l’illusion récolte la souffrance ».

Romain Pagnac Avocat au Barreau de Bordeaux - Docteur en Droit Chargé d\'enseignement à l\'Université de Bordeaux http://burdigala-avocats.fr/

[1Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites

[2Article D. 4161-2 du Code du travail

[3DARES, L’exposition des salariés aux facteurs de pénibilité dans le travail, 10 décembre 2014.

[4DSN : Déclaration sociale nominative ; DADS : Déclaration annuelle de données sociales

[5Article L. 4161-1 du Code du travail

[6Lettre du Premier ministre E. Philippe du 8 août 2017 aux partenaires sociaux