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L’illusoire plafonnement des indemnités prud’homales. Par Mathieu Lajoinie, Avocat.
Parution : mardi 12 septembre 2017
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Le 31 août 2017, les cinq ordonnances relatives au droit du travail ont été rendues publiques par le Premier Ministre et la ministre du Travail. L’une de ces ordonnances est plus particulièrement consacrée « à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail » et prévoit notamment le plafonnement des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alloués par le Conseil de prud’hommes.

Le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est actuellement régi par une loi datant de 1974, laquelle prévoit qu’un salarié injustement licencié, qui justifie d’une ancienneté égale ou supérieure à 2 ans et travaille dans une entreprise dans une entreprise de plus de 10 salariés, pourra prétendre au versement de dommage et intérêt d’un montant minimum de 6 mois de salaire. Charge ensuite au salarié de démontrer un préjudice particulier, afin d’obtenir un montant supérieur à ce plancher.

Pour les salariés disposant de moins de deux ans d’ancienneté ou travaillant dans une entreprise de 10 salariés ou moins, le principe est celui de l’octroi de dommages et intérêts réparant le préjudice subi et prouvé, souverainement appréciée par le Conseil de prud’hommes, ou la cour d’appel au regard des éléments de preuve rapportés par le salarié lors de l’audience. Dans ce cas, en pratique, le montant alloué au salarié dépasse très rarement la barre des six mois de salaire.

Le montant des dommages-intérêts est donc actuellement déterminé en fonction d’éléments rapportés par le salarié : recherche d’emploi infructueuse, âge, ancienneté, charges de famille etc.

Le plafonnement des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (et non de l’indemnité de licenciement) était l’un des axes principaux du programme d’Emmanuel Macron, et conformément à la volonté du gouvernement, après la mise en place d’un barème indicatif issu de la loi du 8 août 2016 et jamais appliqué par le Conseil de prud’hommes, les ordonnances sur le Code du travail vont désormais encadrer les dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Pour autant, il n’y a pas de quoi trembler pour les salariés, ni de quoi être rassurés pour les employeurs.

Tout d’abord, même si cela semble logique, il convient ici de rappeler que le plafonnement envisagé par le gouvernement ne concerne que les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et non l’ensemble des demandes dont le Conseil de prud’hommes pourra être saisi par un salarié, à savoir notamment les rappels de salaire, les rappels d’heures supplémentaires, les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, pour travail dissimulé, pour procédure irrégulière, pour non-respect de l’obligation de sécurité de résultat, pour non respect de l’obligation de loyauté, pour harcèlement moral/sexuel ou discrimination. Dans la mesure où les demandes annexes au licenciement se multiplient dernièrement devant les juridictions prud’homales de la France entière, cette notion à toute son importance.

De plus, si ce plafonnement peut, à première vue, sembler moins favorable au salarié qu’actuellement, il paraît tout à fait probable que ce plafond soit, dans la réalité pratique, utilisé par de nombreux Conseil de prud’hommes comme un forfait applicable en cas de condamnation de l’employeur, sans procéder à l’évaluation du préjudice propre à chaque salarié, qui peut parfois s’avérer être un vrai casse tête. En effet, il convient de ne pas oublier que chaque affaire est jugé par quatre conseillers : deux conseillers salariés et deux conseillers employeurs qui ont souvent une appréciation très différente du préjudice subi par chaque salarié. Ce plafond pourrait donc servir de référence pour de nombreux Conseils de prud’hommes.

Enfin, malgré toute la volonté du gouvernement et les ordonnances venant de voir la jour, la pratique régulière du Conseil de prud’hommes enseigne que rien, ni ces ordonnances, n’empêchera un conseil de prud’hommes de prononcer la condamnation qu’il souhaite, sans plafond ni restriction à l’encontre d’un employeur. En effet, les Conseillers prud’hommes nous rappellent régulièrement qu’ils manient avec aisance le principe des vases communiquant entre les différentes demandes d’un salarié. Et nul doute que si le Conseil de prud’hommes se trouve freiné par le plafond issu des ordonnances Travail concernant le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, celui-ci se reportera sur d’autres demandes réalisées par le salarié (notamment pour procédure vexatoire), pour lui permettre de prononcer un condamnation globale qu’il juge en accord avec leur propre estimation.

Ainsi, malgré la volonté du gouvernement de plafonner les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et ainsi regagner la confiance des employeurs et relancer l’emploi, la pratique nous enseigne qu’aucune ordonnance n’empêchera le Conseil de prud’hommes de prononcer la sanction qu’il souhaite à l’encontre d’un employeur étant rappelé à ce titre que la « prévisibilité et la sécurisation des relations de travail » est fondamentalement liée au coût global d’un dossier devant le Conseil de prud’hommes et non simplement au coût des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mathieu Lajoinie Avocat au barreau de Paris www.avocat-lajoinie.fr contact@avocat-lajoinie.fr