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Réforme du droit du travail : quels impacts au sein de votre entreprise ? Par Johan Zenou, Avocat.
Parution : mercredi 13 septembre 2017
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Conçu pour organiser les relations de travail dans les grandes entreprises industrielles, le droit du travail ne répond plus pleinement aux réalités économiques liées à la mondialisation, à la diversité des entreprises et des secteurs, aux nouvelles technologies ainsi qu’aux attentes des salariés. C’est pourquoi, le Gouvernement a présenté, le 31 août 2017, les ordonnances visant à moderniser les droits et les devoirs des salariés et des employeurs, tout en conservant ses fondations et ses principes.

Cette grande réforme, volonté du candidat Macron devenu président de la République, devrait être adoptée le 22 septembre prochain. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a validé, le jeudi 7 septembre 2017, le projet de loi habilitant le gouvernement à réformer par ordonnances le Code du travail.
Mais, concrètement, qu’est-ce que ces mesures vont changer dans votre vie professionnelle ? Comment s’effectuera, désormais, le dialogue social ?
Les cinq ordonnances modifieront un certain nombre de règles régissant la relation contractuelle du travail, et ce dès l’embauche jusqu’à la rupture du contrat de travail. En outre, le Gouvernement a affiché sa volonté de transformer le dialogue social.

- Des changements liés à l’embauche.

Le contrat à durée déterminée (CDD). Jusqu’à présent, les caractéristiques du CDD telles la durée, le nombre de renouvellements ou encore le délai étaient fixées par la loi. Désormais, ces modalités seront négociées et déterminées par la branche.

Le contrat à durée indéterminé (CDI) de projet. L’objectif affiché du Gouvernement est d’élargir le CDI de chantier, en vigueur dans le secteur du bâtiment. Ainsi est-il prévu qu’un accord collectif de branche étendu définisse les raisons permettant de recourir à un contrat conclu pour la durée d’un projet ou d’une mission. En conséquence, ce texte peut être conclu dans les secteurs où son usage est habituel et conforme à l’exercice régulier de la profession qui y recourt au 1er janvier 2017.

La non-remise du CDD ou du contrat de mission dans les deux jours suivant l’embauche. La requalification du CDD en CDI ne sera plus possible. L’entreprise ne serait recevable que d’une indemnité, maximale, d’un mois de salaire.

Le télétravail.
Le Gouvernement entend développer et sécuriser le télétravail, mode de travail qui ne cesse de s’accroitre dans notre pays. Yves Lasfargue, directeur de l’observatoire du télétravail Obergo, estime que certaines mesures permettraient de développer le télétravail, tandis que d’autres constitueraient des freins. Positivement, l’article 24 de l’ordonnance 3 dispose que tout accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail, pendant les plages horaires de télétravail, est présumé être un accident du travail. De plus, le réforme prévoit que l’employeur, opposé au travail à distance de l’employé, devra justifier son refus. Néanmoins, la suppression de l’avenant individuel du contrat de travail est discutable. En sus, Yves Lasfargue s’insurge de la suppression de l’obligation pour l’employeur de prendre en charge les coûts induits. Cette mesure pourrait constituer un frein et décourager les salariés. Enfin, une marge de liberté réduite du télétravailleur s’opère dans la fixation des horaires durant lesquels il peut être contacté par son employeur.

Abondement complémentaire du compte personnel de formation (CPF).
Un abondement du CPF de 100 heures, financé par l’employeur, est prévu en cas de refus, par le salarié, d’un accord majoritaire signé par les organisations syndicales portant sur le temps de travail ou la rémunération.

Réforme du compte de pénibilité.
Le compte de pénibilité cède sa place au compte professionnel de prévention. De plus, les critères retenus dont peuvent se servir les salariés afin d’opérer un changement de carrière, ou partir en retraite anticipée, passent de 10 à 6. Ainsi, les 4 autres critères seront renvoyés à d’autres formes de protection. Il est à noter que la pénibilité, au sein de l’entreprise, est une problématique complexe qui a fait l’objet de multiples modifications.
En outre, le Gouvernement a mis en exergue sa volonté de réformer en profondeur la formation professionnelle.
Enfin, prévu dans le programme d’Emmanuel Macron, le Code du travail numérique, vise, selon le secrétaire d’État au numérique, à aider les chefs d’entreprises ainsi que les salariés à comprendre les dispositions dudit Code. Muriel Pénicaud a ajouté que ce Code du travail numérique aurait pour finalité de simplifier sa lecture.

De nombreuses évolutions vont bouleverser la rupture du contrat de travail. Ainsi, le Gouvernement a mis en évidence sa volonté de réformer les règles régissant le licenciement afin que les vices de forme ne l’emportent plus sur le fond. De plus, pour la première fois, cette réforme du Code du travail donne la priorité aux TPE et PME.

Le plafonnement des indemnités prud’homales et de licenciement.
Les ordonnances prévoient que les indemnités prud’homales, en cas de licenciement abusif, soit sans cause réelle et sérieuse, seront plafonnées à trois mois de salaire jusqu’à deux ans d’ancienneté, et augmenteront, progressivement, jusqu’à 20 mois de salaire à partir de 30 ans d’ancienneté.

Le plancher sera défini de la manière suivante :
- un demi mois de salaire dans les TPE ;
- un mois de salaire pour les autres entreprises.

En outre, il augmentera jusqu’à trois mois avec l’ancienneté.
Il est à noter que le barème plafonné est exclu en cas de licenciement nul, en application d’une disposition législative en vigueur, ou intervenu en violation d’une liberté fondamentale. Tel est le cas en matière de nullité d’un licenciement consécutif à des faits de harcèlement moral ou sexuel, dans les conditions définies par le Code du travail. A contrario, ledit barème s’applique en cas de résiliation judiciaire, en cas de saisine directe du bureau de jugement ou en cas de prise d’acte de rupture ou de requalification de CDD en CDI.

En contrepartie, les indemnités légales de licenciement seront portées à un quart de mois de salaire par année d’ancienneté contre 1/5ème de mois jusqu’à présent. A titre d’exemple, un salarié licencié après 10 ans d’ancienneté, dont le revenu mensuel est de 2 000 €, toucherait une indemnité de 5 000 € contre 4 000 € actuellement.
Il est à noter que de nombreuses conventions collectives prévoient déjà un montant d’indemnité conventionnelle de licenciement supérieur à l’indemnité légale, comme par exemple la convention collective de la pharmacie d’officine.
En outre, un salarié est éligible à l’indemnité de licenciement à compter de huit mois d’ancienneté contre 12 mois actuellement.

Un modèle type de lettre de licenciement.
L’employeur aura la faculté, et non l’obligation, d’utiliser un modèle de lettre de licenciement qui sera déterminé par décret en Conseil d’État. Ledit modèle fixera les droits et obligations de chaque partie. Ce modèle sera, très probablement, un formulaire CERFA de lettre de licenciement, et ressemblera vraisemblablement à l’actuel CERFA existant en matière de rupture conventionnelle.

L’employeur pourra prendre l’initiative de préciser ou de compléter la lettre de licenciement. De même, le salarié pourra effectuer cette demande. Ainsi, les motifs énoncés dans la lettre de licenciement peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés ou complétés, à la demande du salarié ou à l’initiative du salarié, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État. La lettre de licenciement, complétée le cas échéant par l’employeur, fixe les limites du litige concernant les motifs du licenciement.

L’insuffisance de motivation ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Une irrégularité de forme peut être réparée par une indemnité plafonnée à un mois de salaire.

La pluralité de motifs de licenciements.
Si l’un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté ou à un droit fondamental, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d’examiner l’ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l’évaluation de l’indemnité à allouer au salarié.
Il est important de souligner que le salarié disposera de 12 mois, contre 24 mois actuellement, pour contester son licenciement devant le Conseil de Prud’hommes, sauf concernant des contentieux spécifiques tels le licenciement avec un plan de sauvegarde de l’emploi. A noter que des délais plus courts sont également possibles.

Le périmètre d’appréciation de la cause économique du licenciement.
Jusqu’à présent, les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’appréciaient, selon la jurisprudence (Cass. soc. 5 avril 1995) au sein du groupe international. Désormais, le périmètre d’appréciation est national. In fine, les licenciements économiques, au sein des groupes internationaux, pourraient être facilités.

La création d’une rupture conventionnelle collective.
La négociation dans l’entreprise, pour toutes les tailles d’entreprise, pourra définir un cadre commun de départ strictement volontaire, et qui devra, comme pour la rupture conventionnelle individuelle, être homologuée par l’administration. La volonté du Gouvernement est de sécuriser les plans de départ volontaire (PDV), encadrés simplement par la jurisprudence, qui s’affranchissent des obligations afférentes, comme par exemple, le contrat de sécurisation professionnelle. En outre, la rupture conventionnelle collective autorise l’employeur à réembaucher tout de suite, alors que le PDV ne l’autorisait pas avant une année.

Quand l’ordonnance relative aux licenciements s’appliquera-t-elle ?
Les dispositions relatives au plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse seront appliquées aux licenciements notifiés postérieurement à la publication de l’ordonnance, soit après le 22 septembre 2017.
Quant aux dispositions relatives à la prescription de 12 mois afin de contester son licenciement, elles s’appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de l’ordonnance.
Il conviendra, de plus, que les décrets d’application soient publiés.
Enfin, certaines réparations particulières, prévues par le Code du travail, seraient modifiées, dans un sens défavorable au salarié.

En cas de violation de la priorité de réembauche, dans le cadre d’un licenciement économique, le juge pourra octroyer au salarié une indemnité d’un mois contre deux mois jusqu’à présent.

En cas de nullité du licenciement économique pour absence ou insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi, ou d’absence de décision de validation ou d’homologation dudit plan, l’indemnité au salarié sera de six mois de salaire contre 12 mois actuellement.

Le licenciement nul consécutif à l’absence de validation ou d’homologation de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Quand le juge constate que le licenciement est intervenu, alors même que la procédure de licenciement est nulle, il peut ordonner la poursuite du contrat de travail ou prononcer la nullité du licenciement. Ainsi, le juge peut ordonner la réintégration du salarié à la demande de ce dernier, sauf si la réintégration est devenue inenvisageable du fait de la fermeture de l’établissement ou du site voire de l’absence d’emploi disponible. Dans le cas où le salarié ne demanderait pas la poursuite de son contrat de travail, ou si la réintégration est impossible, le juge octroie à ce dernier une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Cette indemnité était jusqu’à présent de 12 mois.

Enfin, le défaut de réintégration du salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, ou le manquement d’une obligation de reclassement quand le salarié est inapte physiquement sera indemnisé à hauteur de six mois de salaire contre 12 jusqu’à présent.
D’autres changements sont tout aussi notables en termes de relations collectives de travail et de dialogue social.
Un bouleversement en matière de relations collectives de travail et du dialogue social ?

La négociation des primes.
Jusqu’à présent, les primes se négocient au niveau des branches ou des conventions collectives. Mais, la réforme du Code du travail permettra de négocier les primes directement avec son entreprise. Lors de la conférence de presse, le 31 août 2017, Muriel Pénicaud, ministre du Travail, a souligné que les salariés, comme l’employeur, pourraient décider de négocier une prime de garde d’enfant plutôt qu’une prime d’ancienneté.
Le Gouvernement affiche le parti pris de réformer le dialogue social.

Ainsi, les entreprises composées de 1 à 20 salariés, sans élus, pourront négocier, avec leurs salariés, non élus et non mandatés, sur tous les sujets par une consultation simple à la majorité des 2/3. De plus, la négociation sera simplifiée et accessible pour les entreprises de moins de 50 salariés, grâce à la possibilité de négocier directement avec le délégué du personnel, non mandaté, sur tous les sujets. En sus, des nouvelles garanties seraient offertes aux syndicats et élus du personnel qui s’engagent.

La majorité requise pour les accords d’entreprise.
La règle de l’accord majoritaire (accord signé par des syndicats représentant plus de 50 % des salariés), dans les entreprises, sera généralisée dès le 1er mai 2018. La loi El Khomri prévoyait une application au 1er mai 2019.

La fusion des instances représentatives du personnel (IRP).
Cette mesure concerne, donc, les délégués du personnel, les comités d’entreprise ainsi que les comités d’hygiène, de la sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui seraient fusionnées en un conseil social et économique. Cette mesure, si elle est restée relativement silencieuse, en regard du plafonnement des indemnités de licenciement, suscite, cependant, des interrogations.

Premièrement, la loi Rebsamen de 2013 a déjà laissé la possibilité aux entreprises de moins de 300 salariés de mettre en place une délégation unique du personnel (DUP). Celle-ci prenait la place des trois IRP. Mais, en réalité, il semble que peu d’entreprises, qui en avaient la possibilité, ont mis en place une DUP.

Deuxièmement, ces trois instances ont, dans les textes, et selon les syndicats, des rôles bien distincts. Très succinctement, le délégué du personnel formule des réclamations quand le comité d’entreprise forme, notamment, des revendications. En sus, il a un rôle important en matière sociale et culturelle. Quant au CHSCT, il veille, notamment, à la sécurité des salariés et à leurs bonnes conditions de travail.

Le président de la République justifie cette mesure par son intention de créer une instance unique de droit commun, dans un souci de simplification et de limitation des effets de seuils.

Force Ouvrière de son côté, indique qu’une fusion, en théorie, ne signifie pas forcément une perte de droits. Malgré tout, la réalité est bien différente.

En conclusion, de nouvelles mesures vont venir bouleverser la vie de l’entreprise. L’objectif du Gouvernement est de permettre d’adapter le monde de l’entreprise aux réalités économiques. Chacun jugera du besoin ou non de réformer, à nouveau, le droit du travail, après la réforme El Khomri.

Enfin, Emmanuel Macron a d’ores et déjà prévu de réformer en profondeur la formation professionnelle ainsi que le chômage.

Johan ZENOU Avocat au Barreau de Paris www.cabinet-zenou.fr
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