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Ordonnances : la loi du Président ? Par Franck Carpentier, Doctorant en droit, et Antoine Silvestre.
Parution : jeudi 14 septembre 2017
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Cet article a été rédigé avec Antonin Silvestre dans le cadre du prix Guy Carcassonne. Il se propose d’interroger de manière personnelle la question actuelle des ordonnances comme moyen, pour l’exécutif, et surtout le président de la République, de contribuer à la fabrique législative.

Premier grand chantier auquel le président Macron sera confronté au cours de son quinquennat, la réforme du Code du travail se fera, à en croire le chef de l’État et son Premier ministre, par voie d’ordonnances. Afin de réformer ce domaine sensible susceptible de générer des débats longs et fastidieux, l’exécutif entend s’appuyer sur ce mécanisme constitutionnel bien particulier. Il permet au Gouvernement, sur autorisation du Parlement, de prendre des mesures relevant normalement de la seule compétence du pouvoir législatif.

Un héritage des IIIème et IVème République

Sous la IIIème et la IVème République, la loi, œuvre du Parlement et expression de la volonté générale, est la norme la plus importante. On parle volontiers de légicentrisme. Dans ce cadre, le Gouvernement n’avait que pour fonction de prendre les mesures permettant l’application de la loi. Cependant, face à l’urgence née de la guerre ou à la technicité de certaines matières, les vicissitudes et lenteurs de la procédure parlementaire devaient être dépassées.
Le Parlement a alors pu voter des lois autorisant le pouvoir exécutif à prendre des mesures relevant normalement de sa seule compétence. On les appelait les décrets-lois. Cette pratique, tolérée sous la IIIème République était cependant interdite par la Constitution de la IVème République. Cette interdiction ne fut cependant pas respectée et dès les années 1950 on renoua avec les décrets-lois.

Une procédure aujourd’hui encadrée par la Constitution

L’article 38 de la Constitution prévoit la procédure à respecter pour que le Gouvernement puisse intervenir dans le domaine législatif. Il lui revient de solliciter le vote d’une loi d’habilitation auprès du Parlement. Celle-ci permet alors à l’exécutif, dans une matière précise et pour une durée déterminée, de se faire législateur. Cependant, les mesures prises par le Gouvernement n’acquerront valeur législative qu’une fois que le Parlement aura voté une loi les ratifiant.
Apportons ici une précision. Pour qu’une ordonnance puisse commencer à produire ses effets, l’article 13 de la Constitution prévoit que le Président de la République doit la signer. Sans cette signature, elle ne saurait entrer en vigueur. Cette disposition a ainsi pu être utilisée par le chef de l’État comme un moyen de s’opposer à la politique menée par le Gouvernement en période de cohabitation.

Une compétence gouvernementale subissant la loi du Président

En effet, en 1986, alors que s’ouvre la première cohabitation, le 1er ministre Jacques Chirac va entrer en conflit avec le chef de l’État François Mitterrand. Le Gouvernement avait alors obtenu l’habilitation du Parlement pour intervenir, par voie d’ordonnances, dans trois domaines relevant normalement de la compétence du législateur.
Cependant, François Mitterrand, se jouant de l’ambiguïté de l’article 13, refusa de signer les ordonnances soumises par le Gouvernement. De ce conflit politico-juridique naquit un précédent. Le président de la République dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour choisir de signer ou non les ordonnances. Ce précédent démontre toute sa capacité à paralyser une procédure dans laquelle il n’a pas vocation à intervenir. Ainsi, même en période de cohabitation, le chef de Gouvernement continue à subir la loi du chef de l’État.

Une compétence gouvernementale servant la loi voulue par le Président

Il n’en va pas autrement, loin s’en faut, lorsque la majorité parlementaire est favorable au président. En effet, le fait majoritaire se traduit par la confiscation par le chef de l’État des compétences confiées par la Constitution au Gouvernement. Dans ce cadre, les ordonnances se présentent comme un moyen privilégié par le président de la République pour mettre en œuvre le programme politique qui lui a permis d’être élu. C’est le cas aujourd’hui pour Emmanuel Macron en matière de droit du travail. C’était également le cas hier avec François Hollande en matière de droit de la famille.
Notons que le passage au quinquennat au début des années 2000 a entrainé une explosion du nombre d’ordonnances, ce qui tend à démontrer qu’elles sont un outil servant la politique du président de la République. En effet, alors qu’entre 1984 et 2003 98 ordonnances ont été ratifiées, 304 l’ont été entre 2004 et 2013. Soit trois fois plus en deux fois moins de temps. Ainsi, lorsque les députés soutiennent le chef de l’État, les ordonnances permettent au président de faire la loi.

Vers un renforcement du contrôle parlementaire ?

La pratique a mis en avant la prépondérance du Président de la République. Capable d’imposer sa loi au Gouvernement en période de cohabitation, il se mue en législateur en période de fait majoritaire.
Demeure alors une interrogation. À l’heure du fait majoritaire contestataire théorisé par le professeur Derosier, le président Macron pourra-t-il véritablement obtenir, sinon l’habilitation, au moins la ratification nécessaire à la réforme du Code du travail ?

Franck Carpentier Docteur en droit Cabinet Atlantes Avocats