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Le décret Magendie a-t-il accéléré la procédure d’appel ? Par William Mak, Chargé d’enseignement.
Parution : mardi 19 septembre 2017
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Alors que le nouveau décret relatif à la procédure d’appel vient de rentrer en vigueur, on peut s’interroger sur la pertinence de plusieurs de ses mesures, et notamment celles qui portent sur les différents délais durant la procédure d’appel.

Le décret Magendie avait initié ce mouvement en 2011 afin, selon le législateur, d’accélérer ce processus et mieux l’encadrer.

Or à ce jour, cet objectif n’a pas été rempli, interrogeant nécessairement sur la pertinence de ces mesures...

Initié par le rapport en date du 24 mai 2008 de Jean-Claude Magendie, la procédure d’appel avait fait l’objet d’une première réforme en 2009 .

Destinée à permettre une justice plus efficace, elle devait accélérer les procédures en appel et favoriser l’équité du procès.

Elle devait aussi permettre à la France de proposer aux entreprises étrangères un environnement juridique favorable aux affaires.

Selon M. Magendie :
« Si nous n’y prenions garde, il pourrait en résulter, là où le choix est possible à l’occasion de contentieux internationaux, une désaffection des justiciables pour notre système juridique » [1].

Il affirmait également que le procès doit « être rapide sans être expéditif, compréhensible pour ceux qui demandent justice, loyal et correspondre à toutes les caractéristiques du procès équitable » [2].

Près de huit ans depuis cette réforme, il est possible de se demander si elle a réellement permis d’accélérer la procédure d’appel et aider à désengorger les différentes juridictions.

Or, à la lecture des chiffres du Ministère de la justice, on peut constater que l’accélération de la procédure d’appel est aujourd’hui un point discutable (A).

Le décret Magendie apparaît surtout comme un outil procédural permettant de limiter le nombre d’affaires traitées par les juridictions (B).

Cette procédure a fait d’ailleurs l’objet d’une récente réforme par un décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile. L’impact de cette réforme est encore incertain, mais elle constitue très probablement un énième moyen pour tenter de désengorger des juridictions d’appel, au détriment peut-être des appelants (C).

A. L’efficacité relative de l’accélération de la procédure d’appel.

Le décret Magendie a eu pour grande évolution d’instaurer des délais de procédure contraignants pour la procédure ordinaire. Ils visent à donner un cadre précis aux parties pour leurs échanges par la fixation de délais impératifs et ainsi accélérer le processus (articles 908 et suivants du Code de procédure civile).

Il s’agit alors de se demander si le décret Magendie a eu un tel effet escompté.
Pour tenter de donner une réponse à cette question, il est nécessaire de regarder les différents chiffres publiés par le Ministère de la justice dans ses rapports annuels sur les Chiffres clés de la justice depuis l’année 2009.

Durée moyenne des affaires terminées (en mois)
20082009201020112012201320142015
Cours d’appel 11,9 11,5 11,2 11,4 11,8 11,7 11,8 12,2
TGI 7 7,1 7,1 7 7,1 6,9 6,9 7

Pour rappel, selon l’article 15 du décret Magendie du 9 décembre 2009, le décret entrait en vigueur le 1er janvier 2011, et s’appliquait à tous les appels formés à compter du 1er janvier 2011.

Dès lors, il aurait fallu à partir de l’année 2011 ou 2012, noter une baisse de la durée moyenne des affaires au fond terminées vers les années 2011 ou 2012.

Or paradoxe de la situation, la durée de traitement moyenne des affaires en appel au fond, lors des deux années précédant l’entrée en vigueur du décret Magendie, est soit plus court, soit équivalente aux années qui l’ont suivi.

A ce jour, la durée de traitement des affaires est même plus longue qu’avant la rentrée en vigueur du décret Magendie !

En parallèle, la durée moyenne des affaires devant les Tribunaux de grande instance n’a quasiment pas changé.

A la lecture de ces seuls chiffres, il est difficile donc de dire que le décret Magendie a eu un impact réellement conséquent sur la durée de traitement des affaires.

En pratique, les nombreux praticiens feront valoir que les délais de la procédure forcent bien les avocats à s’astreindre à une certaine rigueur sur les différents délais. Cependant, dès lors que les échanges entre les parties sont clôturés, les délais d’audiencement augmentent de façon conséquente la durée de traitement d’une affaire !

Cette situation ne semble d’ailleurs pas nécessairement propre à la procédure ordinaire avec représentation obligatoire.

Ainsi par exemple, pour une procédure dite en circuit court ou fixée à bref délai car elle est en état d’être jugée (article 905 Code de procédure civile), il faut aujourd’hui quasiment attendre un an et demi avant l’audiencement d’une affaire à la Cour d’appel de Versailles !

Plusieurs éléments peuvent expliquer pourquoi les délais de traitement n’ont pas connu une baisse significative.

L’un d’eux est le stock d’affaires dans les juridictions.

Selon les chiffres du Ministère de la justice, pour les Cours d’appel, il restait en stock :
- 219.072 affaires en 2009 ;
- 237.962 affaires en 2012 ;
- 277.419 affaires en 2015 ;

Le stock d’affaire ne faisant qu’augmenter, cela impacte nécessairement les délais de traitement des affaires.

Ainsi, le gain de temps obtenu par le décret Magendie pourrait être amorti par le stock d’affaires croissant !

Une des causes souvent arguées de cette croissance du stock d’affaires est la baisse du nombre de magistrats et le manque de moyens consacrés par les pouvoirs publics.

Chiffres de l’Union syndicale des magistrats du 9 juin 2016

Effectifs des magistrats
2009201020112012201320142015
Effectifs réels des magistrat 8269 8258 8172 8060 8008 8023 8015
Plafond d’emplois autorisés par la loi de finance initiale 7896 8252 8785 8927 9051 9174 9125

Selon ces chiffres, il est possible de constater d’une baisse d’environ 3% des effectifs depuis 2009.

Mais ces chiffres prennent surtout une autre dimension quand on compare le nombre de juges pour 100.000 habitants :
- Moyenne européenne : 20,92
- Allemagne : 24,7
- Portugal : 19,2
- Autriche : 18,3
(...)
- France : 10,7

La France semble ainsi allouer beaucoup moins de moyens humains que ses voisins.

Autre élément pouvant également justifier que les procédures ne se soient pas nécessairement accélérées, les incidents de procédure.

En imposant des règles de procédure rigide et causes d’irrecevabilité, le décret Magendie a encore plus judiciarisé la phase préalable à la plaidoirie des dossiers.

Les avocats peuvent en effet soulever des incidents liés à la violation des délais Magendie. Le traitement de ces incidents rallonge nécessairement la procédure et alourdit également la charge de travail du Conseiller de la mise en état.

Ces raisons expliquent en partie pourquoi l’objectif fixé par le décret Magendie n’a pas été atteint.

Bien sûr, les chiffres donnés par le Ministère de la justice portent sur l’ensemble des cours d’appel du territoire. Il n’est pas impossible que certaines d’entre elles aient réellement noté un impact depuis la rentrée en vigueur du décret Magendie.

Mais ces constations démontrent cependant que les effets du décret semblent très négligeables.

Surtout, ce décret a eu un autre effet pervers à l’encontre des parties en appel, qui parfois, ne peuvent être entendues sur le fond d’une affaire.

B. Les délais Magendie, un outil permettant avant tout de ne pas traiter des affaires au fond.

En instaurant des délais de procédure précis dans la procédure ordinaire avec représentation obligatoire, le législateur cherchait avant tout à borner cette procédure et à l’accélérer.

Dans cet esprit, la méconnaissance des délais se devait d’être sanctionnée de façon suffisamment dissuasive. A défaut, le décret aurait perdu de son réel intérêt. Le Code de procédure civile prévoit ainsi différentes sanctions telle que la caducité de l’appel ou l’irrecevabilité des conclusions (article 902 et suivants du Code de procédure civile)

Et afin de donner pleine effet à cette mesure, le Code de procédure civile autorise le Conseiller de la mise en état à relever d’office ces causes d’irrecevabilité.

Les conséquences de ces délais sont extrêmement préjudiciables, alors que pourtant les bénéfices à ce jour sont plus que discutables.

Bien que l’apport de cette réforme pour au moins sur la question de la célérité soit extrêmement discutable, le législateur et le gouvernement ne semble pas infléchir de sa volonté de continuer à la réformer en profondeur.

C. L’extension discutable de la formalisation des délais par le Décret du 6 mai 2017.

L’article 17 du décret ajoute un article 905-1 et 905-2 au Code de procédure civile portant sur les affaires dites « fixée à bref délai ».

Dans cette hypothèse, en principe selon l’article 905-1 du Code de procédure civile rentré en vigueur depuis 1er septembre 2017 :
« L’appelant signifie la déclaration d’appel dans les dix jours de la réception de l’avis de fixation qui lui est adressé par le greffe à peine de caducité de la déclaration d’appel ».

Les délais sont également réduits pour les échanges de conclusion selon l’article 905-2 du Code de procédure civile :
«  (…) l’appelant dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai pour remettre ses conclusions au greffe.
L’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office(..), d’un délai d’un mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.

L’intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office (…) d’un délai d’un mois à compter de la notification de l’appel incident ou de l’appel provoqué à laquelle est jointe une copie de l’avis de fixation pour remettre ses conclusions au greffe. ».

Les délais dans le cadre d’une affaire fixée à bref délai sont donc réduits drastiquement comparés aux délais Magendie applicables aux procédures d’appel avec représentation obligatoire par circuit ordinaire.

Les risques d’irrecevabilité ou de caducité sont donc d’autant plus conséquents.

L’objectif de ce décret vise selon le législateur à harmoniser les différents délais de procédure.
Il est discutable pourtant que cette harmonisation se fasse au détriment des droits des parties à voir leurs prétentions entendues par un juge.

Un quelconque argument portant sur une accélération de la procédure doit être rejeté. Comme il l’a été constaté, l’entrée en vigueur du décret Magendie et de ses délais n’a à ce jour aucun impact significatif sur les délais de traitement des affaires.

La simple mise en place de ces délais est insuffisante. Pour réduire les délais de traitement de ces affaires, il faut proposer des mesures complémentaires et assurer aussi des moyens supplémentaires à la justice.

Il est d’ailleurs contestable que les procédures d’appel soient enfermées dans des délais imposés par la loi, alors que les délais de procédures devant les Tribunaux de grande instance restent beaucoup plus souples et fixés au cas par cas.

Pourtant, les Tribunaux de grande instance sont tout aussi engorgés. Si ces délais s’avéraient si efficaces, ils auraient été nécessairement transposés également à cette juridiction.

Le choix de formaliser ces nouveaux délais rend la procédure d’appel encore plus formaliste. Or, bien qu’une formalisation importante constitue un gage de prévisibilité, il empêche toute souplesse et modulations des juges compte-tenu des circonstances de l’affaire.

Conclusion :

Les chiffres du ministère de la justice montre que le décret Magendie n’a pas permis de réduire les délais de procédure sur le territoire français.

Il a simplement permis d’éviter aux juridictions de ne pas traiter le fond de certains dossiers.

Ainsi, on peut s’interroger sur la pertinence des dispositions visant à imposer des délais en appel, et se demander s’il n’existe pas d’autres moyens plus efficaces pour accélérer les délais de traitement des affaires.

William Mak Avocat au barreau de Paris / Mandataire d\'artistes et d\'auteur / Enseignant à l\'université

[1Rapport « Célérité et qualité devant la justice », 24 mai 2008, p.11.

[2V. J.-C. Magendie, “L’exigence de qualité de la justice civile dans le respect des principes directeurs de 6 l’euro-procès, la démarche parisienne”, in La procédure dans tous ses états, Mélanges offerts à Jean Buffet, Ed. Montchrestien, 2004, p. 319-333.