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Bloctel inefficace face au démarchage téléphonique ? Par Jean-Placide Nyombe, Etudiant.
Parution : lundi 25 septembre 2017
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Suite à l’essor de la société de consommation, des nouvelles formes de pratiques ont vu le jour. Parmi elles, certaines se sont révélées abusives, voire illicites. Le législateur a donc rapidement ressenti le besoin de légiférer en la matière en instaurant un arsenal de sanctions qui pourrait paraître dissuasif et une plate-forme qui permettrait aux consommateurs victimes des démarchages téléphoniques incessants d’y mettre un terme : Bloctel.

Successeur de Pacitel, (mis en place par la loi Hamon du 17 mars 2014 sur la consommation aux articles L223-1 et suivants du Code de la consommation) et entré en service le 1er juin 2016, Bloctel permet aux consommateurs victimes du démarchage téléphonique récurrent de s’inscrire gratuitement sur la liste contrôlée par la DGCCRF afin de ne plus l’être pour une durée de 3 ans renouvelable.

Les entreprises de prospections commerciales devront obligatoirement la consulter avant de procéder à une campagne de prospection afin de s’assurer de la conformité de leurs fichiers (article L223-1 du code de la consommation).
En cas de non-respect, elles s’exposeraient à une sanction pouvant aller jusqu’à 75.000 euros.

Ce mécanisme est fort louable dans la mesure où il vient en complément de l’encadrement dont font l’objet les offres promotionnelles proposées par voie électronique.
Rappelons que le législateur a autorisé celles-ci à condition qu’elles respectent des conditions : que la publicité soit envoyée de manière claire et non équivoque, que le consommateur ait au préalable donné son consentement, que le professionnel indique le moyen électronique pour ne plus la recevoir et qu’il y intègre la possibilité d’accès au SAV.

2 mois après son lancement, Bloctel a dépassé le cap de 2 millions d’inscrits sur la liste (« Bloctel, la liste anti-démarchage téléphonique », L’Express, 8 août 2016) et 6 mois après, 70 entreprises ont été condamnées, dont parmi elles 25 ont écopé de la sanction de 75.000 euros prévue par le législateur (« 70 entreprises sanctionnées pour démarchage téléphonique abusif grâce à Bloctel », sur la-croix.com, 21 février 2017)

1 an après, du haut de ses deux millions d’utilisateurs (source : le ministère de l’Economie et des Finances) et vanté comme un « remède miracle » par l’ancienne secrétaire d’Etat chargée de la consommation et de l’économie sociale et solidaire Martine Pinville, Bloctel semble de ne pas avoir tenu ses promesses, et apparaîtrait déjà « inefficace ». Cette inefficacité est notamment soulevée par certaines associations agréées de consommateur comme UFC que choisir suite à un sondage réalisé (enquête UFC Que choisir).

A quoi serait-due son inefficacité ?

Son inefficacité est due aux exceptions prévues par le législateur, en l’occurrence la préexistence d’une relation contractuelle (I), considérée comme la source principale mais également à d’autres sources (II) qui sont le manque d’engouement des professionnels, une démarche lourde mais également l’existence de la technique de dissimulation du numéro appelant.

I. La source principale de son inefficacité : La préexistence d’une relation contractuelle.

Pour s’en rendre compte, il suffit de se tourner vers l’article L223-1 du code de la consommation qui dispose dans son deuxième alinéa qu’ « il est interdit à un professionnel, directement ou par l’intermédiaire d’un tiers agissant pour son compte, de démarcher un consommateur inscrit sur cette liste, sauf en cas de rélations contractuelles préexistantes ». Autrement dit, en cas d’existence d’un contrat en cours lors de l’appel téléphonique,il sera impossible pour le consommateur de faire opposition.

Cette précision pourrait paraître problématique car, aujourd’hui, il est impossible d’envisager une hypothèse dans laquelle un consommateur ne serait lié avec aucun professionnel.

Prenons l’exemple d’un contrat d’ouverture de compte en banque. L’accès au service de sécurité de paiement en ligne suppose au préalable la transmission de certaines coordonnées en l’occurrence le numéro de téléphone à la banque. Autre exemple, le contrat de fourniture d’énergie ou encore la souscription à une carte de fidélité chez un grand distributeur qui suppose également la transmission de coordonnées personnelles.

La loi Hamon du 17 mars 2017 n’étant pas rétroactive, elle ne fait donc pas la différence entre anciens clients et clients actuels. De fait, dès lors qu’une relation contractuelle a été établie avant cette loi, le professionnel agit en toute légalité, ce qui constitue une brèche préjudiciable au système.

Ensuite, il est également précisé dans l’article L223-5 du code de la consommation que ne peuvent faire l’objet d’opposition « la prospection en vue de la fourniture des journaux, de périodiques ou de magazines ».
Nous pouvons tout naturellement nous demander si ces appels nécessiteraient également la préexistence d’une relation contractuelle ou non. Rien n’est précisé par le législateur. En vertu de l’adage latin « Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus », autrement dit, là où la loi ne distingue pas, il n y a pas lieu de distinguer, la condition de la préexistance d’une rélation contractuelle serait mise à l’écart.

En conséquence, de nombreux consommateurs français continuent à subir de manière incessante le harcèlement téléphonique (47 % selon le sondage mené par le magasine de consommation 60 millions de consommateurs dans son édition de juin 2017).
En effet, d’après ce sondage 38 % de consommateurs « jugent ces appels très nombreux et 15% s’estiment satisfaits ». Qu’ils soient inscrits ou non à bloctel « presque 4 répondants sur 10 déclarent recevoir au moins un appel de démarchage par jour sur leur ligne fixe ».

Cependant, si la préexistence de relations contractuelles constitue une brèche considérable fragilisant Bloctel, il existe d’autres sources de son inefficacité.

II. Les autres : L’existence de pratiques permettant de contourner la législation, le manque d’engouement des entreprises, une démarche lourde pour les consommateurs.

L’existence des pratiques permettant de contourner la législation.

Si la préexistence des relations contractuelles constitue une brèche fragilisant Bloctel, il existe également des pratiques permettant de le contourner et notamment la technique de la dissimulation du numéro appelant.

Cette pratique est utilisée par une grande partie des centres d’appels qui utilisent des numéros d’emprunt. Ces numéros peuvent être achetés par les entreprises et grâce à la technologie de téléphonie IP, ils pourront faire apparaître l’indicatif de la région.

Un faible nombre d’entreprises adhérentes.

L’inefficacité de Bloctel serait également dû au nombre faible d’entreprises enregistrées. En effet, un an après son lancement, seules 700 entreprises ont adhéré au dispositif étatique, soit 1 % selon le président de la société Éric Huignard.

Comment expliquer ce manque d’engouement alors qu’en s’inscrivant sur la liste, cela permettrait une « approche vertueuse du télémarketing » ?

Les professionnels de télémarketing expliquent ce manque d’engouement par la difficulté à laquelle ils sont confrontés : se mettre en conformité avec la loi suite au manque d’informations de la part de la société Opposetel (source : Cetelem).
En outre ils rapportent que la DGCCRF ainsi que le ministère en charge du projet n’ont pas répondu aux questions techniques soulevés par eux (Source : Magazine En contact).

A cela s’ajouterait l’argument financier. A la différence des consommateurs qui bénéficient d’un accès gratuit à la plateforme, les entreprises doivent souscrire un abonnement pour faire expurger leurs listes de contact (le prix allant de 6.000HT à 40.000 euros HT par an pour un service illimité). Somme qui pourrait paraître dérisoire pour les grands distributeurs, mais onéreuses pour les PME.

Une procédure lourde.

Enfin, le manque d’engouement s’expliquerait également par une procédure lourde. Pour accéder aux services, les consommateurs doivent s’inscrire. Par la suite, dans l’espace dédiée en ligne permettant de signaler ces entreprises, il est demandé au consommateur d’y renseigner le nom de l’entreprise, le numéro de téléphone utilisé, voire même la date et l’heure de l’appel. Or dans la grande majorité de situation, le numéro de téléphone utilisé s’avère être un numéro d’emprunt (voir supra).

Se pose donc la question de l’accessibilité du service à toute catégorie de consommateurs, et notamment aux personnes âgées qui, rappelons le, constituent la catégorie de personnes la plus touchée par le démarchage téléphonique.

Si à la lettre, Bloctel apparaît comme un « héros » permettant de lutter contre le démarchage téléphonique, son champ d’action reste cependant limité entrainant de fait son inefficacité. Il serait donc utopique de penser que le dispositif Bloctel ainsi constitué réussirait à atteindre un tel but.

C’est donc aux consommateurs de se montrer vigilants en cas de quelconque sollicitation, afin de ne pas être victime de quelconques arnaques et afin de ne pas se retrouver à payer un service non désiré.

Nyombe Jean-placide Etudiant en Master 2 Droit de l\'économie parcours Consommation et Concurrence, Centre du droit de la consommation et du marché, Montpellier
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