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La jurisprudence concernant le harcèlement moral au travail : jurisprudence vivante. Par Alina Paragyios, Avocat.
Parution : mercredi 27 septembre 2017
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La loi se construit au fil des arrêts rendus. Une double idée se dégage de cette observation : celle selon laquelle la loi est en principe à l’origine des règles dont se prévaut le justiciable, mais aussi le constat de l’inefficacité de la loi sans la médiation des tribunaux.
C’est en effet, la jurisprudence qui révèle la règle de droit applicable à telle ou telle situation et qui en assure l’application. Aussi, le rôle de la jurisprudence est de préciser le droit écrit là où il ne l’est pas, de l’adapter aux circonstances de faits, ou même de remplacer des règles de droit inexistantes.

Parfois, cette application est évidente, le texte de loi et la volonté du législateur étant suffisamment clairs pour déterminer la solution du litige. Mais dans la plupart des cas, l’application de la règle aux cas concrets impose une interprétation du texte, une définition des composantes concrètes de la règle. Tel est le cas du harcèlement moral.

En effet, la notion de harcèlement moral a fait l’objet de vives critiques, sa définition étant jugée par certain trop imprécise.
L’article L. 1151-2 du Code du travail prohibe le harcèlement moral en ces termes :
« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétées de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Dès lors, la jurisprudence concernant le harcèlement moral au travail est une jurisprudence vivante dont la Cour de cassation affine au fur et à mesure les contours, aidée en cela par de nouveaux textes qui permettent une meilleure prévention de ce type de situation.
Le harcèlement moral fait donc l’objet de nombreuses des différentes juridictions et de la Cour de cassation notamment qui apportent des précisions sur les situations de travail pouvant être assimilées à du harcèlement moral.

Aussi, l’étude de la jurisprudence récente montre que ce thème fait encore et toujours l’objet d’une attention soutenue de la part des juges. Dès lors, la jurisprudence a brossé un tableau relativement précis du harcèlement moral.
Et, même si l’appréciation du harcèlement moral soulève un certain de degré de subjectivité, puisque des salariés peuvent être amenés à ne pas ressentir des actes et agissements de la même manière, la jurisprudence met en lumière un certain nombre d’éléments qui permettent former un début de tableau des agissements et situations reconnues comme relevant du harcèlement moral.

La personne du harceleur

Premièrement, sur la personne du harceleur, la loi est totalement muette à ce sujet. Il en résulte donc que le harcèlement moral est répréhensible quelle que soit la personne qui en est à l’origine. La jurisprudence est tout de même venue apporter des précisions.
Ainsi, des exemples relevés en jurisprudence, il apparait que c’est le plus souvent le supérieur hiérarchique, mais cela peut aussi être l’employeur lui-même. Il peut s’agir dans certains cas de collègues du salarié.
Aussi, la jurisprudence a admis que l’auteur des actes de harcèlement ne soit pas nécessairement un salarié de l’entreprise. Ainsi, présume l’existence d’un harcèlement moral, le fait que la salariée soutenait avoir été victime d’insultes quotidiennes du gérant de la société et de son épouse, et s’être vue imposer des taches sans aucun rapport avec son contrat de travail (Cass. Soc., 6 avril 2011, n°10-30.284).
De même, un tiers peut être l’auteur du harcèlement moral dès lors qu’il est chargé par l’employeur, par le biais d’un contrat de franchise, de mettre en place de nouveaux outils de gestion et formation, et exerce donc une autorité de fait sur les salariés (Cass. Soc., 1er mars 2011, n°09-69.616).

Contours dessinés par la jurisprudence : typologie d’agissements caractérisant un harcèlement moral

La définition du harcèlement moral et par la même des agissements pouvant le caractériser donnée au sein du Code du travail étant extrêmement vague, la jurisprudence a joué et joue encore un rôle des plus importants.
En effet, le législateur n’a pas souhaité décrire, ni même énumérer les agissements susceptibles de constituer le harcèlement moral.
Il s’agit ici de donner quelques exemples, qui sont le plus souvent retrouvés dans le contentieux du harcèlement moral, la liste n’étant pas exhaustive.

Tel est le cas de la mise à l’écart du salarié. En effet, l’expression parle d’elle-même. La mise à l’écart consiste à priver une personne de sa légitimité en la coupant et en l’isolant de son environnement de travail.
Aussi, la mise à l’écart ou mise au placard du salarié constitue l’un des comportements les plus caractéristiques du harcèlement moral, de même que l’exclusion injustifiée de réunions ou d’organigramme ou encore une diminution importante des responsabilités.
Ainsi, est victime de harcèlement moral un chef de service ayant fait l’objet d’une mutation irrégulière avec changement de résidence et affecté à un poste de chargé de mission progressivement vidé de tout contenu, peu important que le CHSCT, consulté, ait conclu à l’absence de harcèlement (Cass. Soc., 3 décembre 2008, n°07-41.491).
Il en a été jugé de même lorsque l’employeur suspend la ligne téléphonique et la messagerie électronique d’un salarié sans motif légitime (Cass. Soc., 24 octobre 2012, n°11-19.862).

Dans le même ordre d’idée, dans un cas où une salariée, de retour de congé maternité, s’était heurtée à un refus de l’employeur de la laisser reprendre son travail et avait fait l’objet d’un retrait de responsabilité et d’une mise à pied de huit jours jugée injustifiée (Cass. Soc., 7 juillet 2009, n°07-44.590) ou avait subi des changements quotidiens de taches et une mise à l’écart des autres employés auxquels elle ne devait pas adresser la parole (Cass. Soc., 6 avril 2011, n°09-71.170).

Le harcèlement moral peut également être caractérisé par certains comportements d’un supérieur hiérarchique outrepassant les limites de l’exercice de son pouvoir de direction, par exemple en critiquant l’activité d’une salariée dans des termes humiliants devant les autres salariés (Cass. Soc., 8 juillet 2009, n°08-41.638), en rétrogradant une salariée et en adoptant vis-à-vis d’elle une attitude agressive et dégradante, ayant pour effet de porter atteinte à sa santé (Cass. Crim., 8 avril 2008, n°07-86.872), ou encore en infligeant à un salarié, outre un déclassement, des sanctions multiples et répétées en quelques mois (Cass. Soc., 16 avril 2008, n°06-41.999).

Les violences, les gestes déplacés, les brimades et autre bizutages, qu’ils émanent de l’employeur ou d’autres salariés sont à proscrire dans les relations de travail. Surtout, ils constituent une atteinte à la dignité humaine et ne peuvent être assimilés à un mode paternaliste de gestion non pénalement punissable (Cass. Crim., 23 avril 2003, n°02-82.971).
Ainsi, il a été jugé que le fait pour l’employeur d’affecter un salarié dans un local exigu, sans chauffage correct, sans lui remettre d’outils de travail en l’isolant des autres salariés de l’entreprise tout en faisant des réflexions de nature à laisser douter de l’équilibre psychologique du salarié constitue un harcèlement moral (Cass. Soc., 29 juin 2005, n°03-44.055).
Le harcèlement moral est constitué de fait, pour un employeur, de critiquer de façon humiliante et régulière le travail d’un salarié en présence d’autres salariés (Cass. Soc., 8 juillet 2009, n°08-41.638).
Pour caractériser des faits de harcèlement, les juridictions du fond peuvent se fonder sur des témoignages et constater les conséquences sur la santé du salarié du travail de « sape morale » et des réflexions humiliantes de son supérieur (Cass. Soc., 24 novembre 2009, n°08-43.047).
Autres exemples concernant plus spécifiquement les violences, le fait pour un dirigeant d’entreprise d’agresser verbalement et physiquement une salariée après son congé maternité a été considéré comme relevant du harcèlement moral (Cass. Soc., 6 avril 2011, n°09-71.17).
Dans le même sens, la cour d’appel qui a estimé que le comportement déplacé du chef de service qui s’emportait à l’encontre de son assistante et devenait violent ne relevait pas du harcèlement moral a été censuré au motif de la violation de l’article L. 1152-1 du Code du travail (Cass. Soc., 10 février 2009, n°07-44.953).

A partir du moment où, la chambre sociale a abandonné le critère de l’intention de nuire pour qualifier le harcèlement moral, elle a ouvert la voie à la reconnaissance du harcèlement managérial.
Lorsqu’une organisation défaillante, un climat délétère, des méthodes de gestion du personnel provoquent un mal être des salariés, le harcèlement moral pourra être relevé. Ainsi, « peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en œuvres par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entrainer une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » (Cass. Soc., 10 novembre 2009, n°07-45.321).

Le harcèlement collectif, au sens ou tout ou partie des salariés sont concernés par les pratiques managériales délétères, peut être sanctionné, à partir du moment ou un ou plusieurs salariés sont visés par ces pratiques. Il convient néanmoins que le salarié qui se plaint du harcèlement moral en soit personnellement victime (Cass. Soc., 28 mars 2012, n°10-24.441).
La jurisprudence évolutive de la Cour de cassation est donc encline à révéler au fil du temps de nouveaux agissements constitutifs de harcèlement. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle récemment jugé que le retard dans le paiement du salaire est un élément susceptible de constituer un acte de harcèlement, la situation étant étudiée selon les causes et les circonstances de ce retard (Cass. Soc., 7 avril 2016, n°14-28.250).

En pratique, le harcèlement moral est souvent caractérisé par un mélange des agissements ci-dessus brièvement énumérés. Ainsi en est-il du salarié qui subit à la fois un déclassement professionnel, un discrédit nuisant à l’exercice de ses fonctions, des propos agressifs et humiliants tenus en présence d’autres salariés ainsi que des pressions destinées à obtenir sa démission (Cass. Soc., 11 juillet 2012, n°11-19.971).

L’obligation de sécurité de l’employeur

Afin d’éviter tout agissement de harcèlement moral au sein de l’entreprise, l’employeur est assujetti à une obligation générale de sécurité, il lui incombe de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures régulièrement adaptées, comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d’information et de formation ainsi que la mise en place d’une organisation et des moyens adaptés en application de l’article L. 4121-1 du Code du travail.

Et bien, même en cette matière la jurisprudence joue un rôle important illustrant les faits s’apparentant à un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
Ainsi, pour exemple, constitue un manquement à son obligation de sécurité, justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié, l’inertie de l’employeur face à une situation de souffrance au travail provoquée par un conflit entre collègues (Cass. Soc., 22 juin 2017, n°16-15.507), ou par un climat délétère dans l’entreprise (Cass. Soc., 8 juin 2017, n°15-15.775).

Traditionnellement, la Cour de cassation qualifiait cette obligation générale de l’employeur d’obligation de sécurité de résultat. Ainsi, dès lors que l’atteinte à la santé ou à la sécurité des salariés était constatée, l’employeur était nécessairement condamné pour manquement à son obligation de sécurité de résultat et ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité, peu importe les mesures de prévention qu’il avait pu mettre en œuvre avant l’accident (Cass. Ass. Plén., 24 juin 2005, n°03-30.038), ou les mesures pour faire cesser un harcèlement moral (Cass. Soc., 3 février 2010, n°08-40.144).
Toutefois, la Cour de cassation a admis dans un arrêt du 25 novembre 2015 que l’employeur puisse s’exonérer de sa responsabilité malgré la survenance du dommage et échapper ainsi à une condamnation à des dommages et intérêts, s’il démontre qu’il a pris toutes les mesures de prévention nécessaires pour tenter d’éviter le dommage subi par le salarié (Cass. Soc., 25 novembre 2015, n°14-24.444). Ce revirement de jurisprudence a été confirmé par un arrêt du 1er juin 2016 rendu en matière de harcèlement moral (Cass. Soc., 1er juin 2016, n°14-19.702).
La Cour de cassation admet ainsi désormais qu’un employeur puisse, sous certaines conditions, s’exonérer de sa responsabilité lorsqu’une situation de harcèlement moral se produit dans l’entreprise.

En conclusion, la jurisprudence a dû et su compenser l’imprécision de la définition du harcèlement moral afin d’éviter les condamnations injustifiées.
Les défauts des textes ont été en partie corrigés par les différentes décisions des juridictions, conférant ainsi aux juges un large pouvoir d’appréciation afin de dessiner les contours de ce pan important du droit du travail.

Me Alina PARAGYIOS Cabinet A-P, Avocats au Barreau de Paris http://www.cabinet-ap.fr @cabinet_ap
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