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La transformation par l’innovation, la stratégie des huissiers de justice.
Parution : mercredi 27 septembre 2017
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Comme les autres professions du droit, les différents bouleversements que connaît leur environnement poussent les huissiers de justice (bientôt nommés les commissaires de justice, suite à la loi Macron) à réfléchir à leur évolution.
C’est pour apporter de premières réponses que l’Union nationale des Huissiers de Justice (UNHJ) organise, pour ses 50 ans, ses Universités à Lisbonne, sur le thème « De l’esprit de justice à l’huissier 3.0. : comment innover pour faire face à la transformation de la profession d’huissier et de son marché ? », les 28 et 29 septembre 2017. Le syndicat souhaite ainsi mener une réflexion commune, afin de déterminer le meilleur chemin à prendre pour l’avenir de la profession.
Patrice Gras, président du syndicat, et Alexis Deborde, fondateur de Leganov et directeur pédagogique de ses Universités, ont accepté de répondre aux questions du Village de la Justice sur le déroulé de ces deux journées, et l’avenir de la profession.

Clarisse Andry : Quelle est la situation actuelle des huissiers de justice ? La profession est-elle en danger ?

Patrice Gras : Aujourd’hui, nous ambitionnons que des femmes et des hommes huissiers de justice ou futurs commissaires de justice soient reconnus comme des professionnels du recouvrement amiable, judiciaires et tiers de confiance.
Plus qu’une crise, nous vivons une transition fulgurante d’un ancien monde vers un nouveau monde. La vitesse de cette transition est sans précédent, du fait à la fois de son accélération, mais aussi de son ampleur. Rappelons que la profession réglementée ne l’est pas pour protéger celui qui l’exerce, mais bien pour assurer la protection au justiciable et lui offrir de la sécurité juridique à un coût raisonné. Là est notre modernité.

Patrice Gras

L’huissier de justice ou demain commissaire de justice, c’est une garantie, un savoir-faire, une marque. Nous devons continuer à être force de proposition afin d’analyser le besoin de nos clients, précéder les besoins de l’État, déterminer nos cibles, être à l’origine des marchés de demain et être un acteur de cette économie partagée. C’est à ce prix que notre profession ne sera pas, comme vous le dites, « en danger »… En refusant d’avoir peur, en croyant en l’avenir, et en ayant conscience qu’elle a changée d’espace et de siècle.

Alexis Deborde : La profession d’huissier, comme l’ensemble des professions du droit, s’apprête à connaître une transformation sans précédent. Au-delà des aspects politiques, je suis profondément convaincu de l’avenir de cette profession que j’accompagne à travers son syndicat depuis un an maintenant.
D’une part, parce que le périmètre de la profession dépasse très largement celui que leur fonction d’officier ministériel leur accorde naturellement. L’huissier peut intervenir dans des domaines aussi variés que la médiation, le recouvrement amiable de créances, la gestion de biens, la vente judiciaire … Ces domaines élargissent le périmètre de la profession et constituent des champs d’exploration immenses … et très souvent méconnus des études !
D’autre part, et en faisant un peu de prospective, je suis convaincu que ce sont dans les prestations juridiques simples, mais qui requièrent de grandes qualités humaines (l’écoute, l’empathie, …), que la véritable valeur ajoutée des professions règlementés du droit se trouvent. A ce titre, les huissiers qui sont au plus près des justiciables et de leurs difficultés ont un rôle à forte valeur ajoutée à jouer dans le marché du droit de demain.

Quelles thématiques allez-vous précisément aborder lors de ce Congrès ?

« Notre profession doit réussir sa mue. » P.G.


Patrice Gras : Dans un contexte où le marché du droit est bousculé, par les justiciables, les politiques et l’arrivée de nouveaux acteurs économiques sur le marché du droit, il est essentiel pour notre profession de se renouveler et d’innover. Notre profession doit réussir sa mue, tout en préservant les atouts qui font sa force et assurent aux justiciables un service et une protection de qualité. C’est pour cette raison que nous avons souhaité que ce congrès soit placé sous le signe de l’innovation.
Les objectifs de ces deux journées seront avant tout de sensibiliser les participants aux enjeux de la transformation de leur profession, de comprendre les nouveaux outils, leurs impacts sur son exercice, d’acquérir une méthode pour appréhender ce changement et enfin de déployer une stratégie d’innovation au sein de leurs études. C’est parce que chaque huissier de justice maîtrisera les grands enjeux auxquelles nous devons aujourd’hui faire face que notre profession sera collectivement plus forte.

C’est aussi dans cette perspective que nous avons souhaité organiser deux temps forts du congrès autour de la présentation et de la signature de deux chartes éthiques. La première, « la Charte éthique du recouvrement amiable » élaborée par l’UNHJ et consultable sur son site internet. Nous avons décidé d’aller plus loin en décidant de la faire labelliser par un organisme certificateur qui assurera un contrôle effectif des différents engagements de ses signataires.
La seconde portée par l’association Open Law*, Le Droit Ouvert, est la « Charte éthique pour un marché du droit en ligne et de ses acteurs » est essentielle pour garantir un dialogue intelligent entre tous les acteurs du droit pour œuvrer collectivement dans l’intérêt du justiciable. L’UNHJ avait participé en 2016 aux travaux de rédaction du texte et en est signataire depuis janvier 2017.

Alexis Deborde

Alexis Deborde : En effet, nous avons souhaité transmettre des connaissances et une méthode qui permettront à chacun de prendre les bonnes décisions pour développer ou transformer utilement son étude.
Ces deux journées sont construites en quatre temps. Le premier permettra d’aider les participants à repenser la valeur ajoutée de leurs prestations en fonction d’un besoin client. Cet exercice est essentiel pour ensuite envisager la construction d’une offre de services et le développement de produits, mais aussi pour repenser le modèle économique de leur étude autour de besoins et d’attentes du justiciable. Le deuxième aura pour objectif de sensibiliser les participants aux principales innovations technologiques ainsi qu’à leur application dans le périmètre de leur profession. La dernière table ronde leur offrira l’occasion d’échanger avec des représentants de différentes institutions (Béatrice Bruguès-Reix et Benjamin Pitcho représentants de l’Incubateur du Barreau de Paris, Cyril Murie directeur de la stratégie d’innovation de la CNHJ), de réseaux (avec Sophie Clanchet, Présidente d’Eurojuris), pour comprendre le rôle qu’ils peuvent jouer dans cette transformation.
Le troisième temps consistera à envisager les nouveaux périmètres qui s’ouvrent à la profession, avec notamment et en plus des métiers déjà évoqués, l’interprofessionalité. Et enfin, le quatrième temps montrera que la transformation de la profession s’inscrit dans des mécaniques plus globales dans lesquelles politique, économie et philosophie se mêlent. Il s’agira de montrer en compagnie d’intervenants de haut rang (Oussama Amar, fondateur de The Family ou encore Jean Staune, philosophe et essayiste) que l’ « esprit de justice » est compatible et indispensable à l’émergence d’une profession et d’études conquérantes et modernes.

L’innovation a un aspect technologique, mais aussi économique : comment doit finalement s’organiser la mue de la profession ? Et sont-il prêts pour cette évolution ?

Patrice Gras : Si notre ordre professionnel est le premier contact institutionnel avec les pouvoirs publics, l’UNHJ s’efforce de défendre nos périmètres économiques et d’être force de proposition plus que de contestations. Nous devons, CNHJ et UNHJ, participer ensemble à la construction de la nouvelle profession de commissaire de justice, conformément à nos périmètres respectifs. Au-delà de nos appartenances, à l’union ou pas, nous avons en commun notre diplôme d’huissier de justice et notre arrêté de nomination qui nous permet l’exercice de notre profession au quotidien.
En effet, nous constituons une communauté de professionnels qui vivent de leur métier et qui chaque jour sont à la manœuvre dans leurs offices. Je le répète à l’envi, plus notre profession sera forte et soudée, plus nos structures d’exercice s’imposeront aux acteurs juridiques et économiques.
C’est pourquoi, je pense que oui, nous sommes prêts pour l’évolution !

« L’innovation consiste d’abord à réinventer son modèle économique. » A.D.


Alexis Deborde : En effet, au-delà de la technologie, l’innovation consiste d’abord à réinventer son modèle économique autour de nouveaux besoins des justiciables afin de transformer leurs usages et leurs habitudes. Les huissiers, du fait de leur proximité territoriale, ont un atout fantastique à jouer sur ce terrain ! Ces innovations, souvent technologiquement très simples à mettre en œuvre, passeront par la capacité de chaque étude à appréhender différemment son métier pour transformer son étude et rendre intelligible et pertinente son offre de services.

Vous avez également lancé une enquête auprès des clients des études de votre syndicat : la clé pour l’évolution de l’huissier serait-il le client ?

Alexis Deborde : Absolument, et ça sera le point de départ du congrès où les résultats de cette enquête seront présentés dans le cadre de la première matinée.
Il est important de garder à l’esprit qu’une bonne idée, c’est d’abord un bon problème. Cette enquête sera je l’espère, l’occasion de déceler des besoins et des attentes qui n’avaient jusqu’à présent pas été identifiés chez les clients et partenaires de la profession.

Patrice Gras : L’Union a toujours mis au centre de ses préoccupations la défense économique de ses membres. A l’heure de s’interroger sur la mutation de ses activités, de ses marchés, et donc de ses revenus, il nous a semblé important de mener une enquête pour savoir comment la profession est perçue aujourd’hui par ses clients, ses donneurs d’ordre, ses partenaires…
Les résultats de cette enquête seront dévoilés en ouverture de nos universités et serviront de fil conducteur à un cheminement dont le client et ses attentes seront au cœur des enjeux.

En résumé, à quoi ressemblera « l’huissier 3.0 » ?

« L’intelligence artificielle n’est pas qu’une vue de l’esprit. » P.G.


Patrice Gras : Je pense que nos universités démontreront que l’intelligence artificielle n’est pas qu’une vue de l’esprit. Qu’aujourd’hui, la technique nous permet de scanner une décision de justice, d’éditer un acte de signification avec les bonnes voies de recours et de chainer automatiquement un processus de recouvrement comminatoire ou judiciaire entièrement dématérialisé en un clic. De ce fait, la capacité de traitement n’est plus un frein à la croissance, au volume, à la théorie du risque de nos clients et gageons que tout ce qui est automatisable le sera.
Notre engagement, c’est aussi de rendre compatible la profession règlementée, la liberté d’entreprendre et une nouvelle économie de marché numérique par notre capacité d’adaptation, notre intelligence collective, le développement de nos réseaux, le partage de nos outils, le partage de nos réflexions.
La force du réseau où de petites unités mises en réseau ont plus de potentiel que de gros systèmes d’organisation. Small is powerfull, ou encore la puissance de la petitesse à la condition de faire naitre un réseau, de faire naitre « une envie commune 3.0 ».

Alexis Deborde : L’huissier 3.0. aura su tirer parti de l’ensemble des potentiels de son métier et des technologies appliquées au droit et à l’administration (LegalTech) pour renforcer son rôle de tiers de confiance et rendre le droit plus accessible à tous et en bonne intelligence avec l’ensemble des acteurs du droit.

Propos recueillis par Clarisse Andry Rédaction du Village de la Justice
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