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Droit des intermittents : une danseuse stripteaseuse obtient 47.000 euros en appel des prud’hommes. Par Frédéric Chhum et Camille Bonhoure, Avocats.
Parution : vendredi 29 septembre 2017
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Dans un arrêt du 19 septembre 2017, la cour d’appel de Paris a requalifié les CDD d’usage « oraux » d’une danseuses strip-teaseuse en CDI à temps plein et condamné la société G&Z au paiement de rappels de salaires, d’une indemnité pour travail dissimulé et de diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail.

I) Sur la qualification en CDI à temps complet et la rupture de la relation de travail de l’intermittente du spectacle

Madame X a été engagée par la société G&Z à compter du 10 mai 2013, en qualité de danseuse strip-teaseuse, par contrats « oraux » à durée déterminée successifs. G&Z exploite le Club 4, un club de striptease à Paris.
A compter du 12 janvier 2014, G&Z a cessé d’employer Madame X, sans aucune raison ni aucune lettre de rupture.

Dans son arrêt du 19 septembre 2017, la cour d’appel retient que l’employeur ne produit aucun CDD écrit signé, de telle sorte que la relation de travail ayant existé entre les parties est réputée avoir été conclue pour une durée indéterminée.

De plus, Madame X exposait qu’elle ne pouvait prévoir par avance ses dates et jours de travail, son planning variant d’un mois sur l’autre.

A cet égard, Madame X produisait des attestations de collègues reconnaissant que les danseuses devaient faire part de leurs disponibilités chaque jeudi pour la semaine suivante.

La cour d’appel a ainsi retenu la présomption selon laquelle la salariée se trouvait dans l’impossibilité de prévoir de façon précise à quel rythme elle devait travailler et se tenait constamment à la disposition de l’employeur.
En effet, la cour d’appel relève que l’absence d’écrit constatant l’existence d’un contrat de travail à temps partiel a pour effet de faire présumer que le contrat a été conclu pour un horaire normal.

De ce fait, il incombe à l’employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d’une part, qu’il s’agit d’un emploi à temps partiel, d’autre part, que le salarié n’est pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il doit travailler et qu’il n’est pas tenu de se tenir constamment à la disposition de l’employeur.

Selon les éléments produits au débat, les bulletins de salaire et le tableau des jours travaillés, Madame X a effectivement travaillé de façon irrégulière. Les durées de travail n’étaient pas fixes, aucune durée hebdomadaire de travail n’était indiquée contractuellement. Madame X a parfois travaillé tous les jours de la semaine, mais de façon irrégulière avec des périodes brèves de non emploi certaines semaines.

Par conséquent, la cour d’appel en déduit qu’en l’absence d’écrit constatant l’existence d’un contrat de travail à temps partiel, il y a lieu de considérer que le contrat était conclu à temps plein.

En outre, aucune lettre de licenciement n’ayant été adressée à la salariée, la rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Afin de déterminer le montant des indemnités dues à Madame X, la cour d’appel a fixé le salaire de référence de Madame X à 3.200 euros bruts, étant précisé que le salaire « reconstitué » de Madame X s’élevait à 3.734 euros bruts.

Du fait de la requalification des CDD de Madame X en CDI à temps plein, la cour d’appel a fait droit à sa demande de rappels de salaire pendant les périodes intercalaires, outre les rappels de salaires dus pour la période du 1er novembre 2013 au 11 janvier 2014, non payée par G&Z.

II) Sur le travail dissimulé

Madame X soutenait qu’elle travaillait chaque jour 6 heures 30 alors que ses bulletins de paie mentionnent qu’elle travaillait 5 heures par journée de travail et que la société G & Z ne déclarait ni les pourboires, ni les commissions perçues qui ne sont pas mentionnés sur ses bulletins de paie.

Elle rappelle que la société devait faire mention des pourboires et commissions du fait de leur soumission aux cotisations et contributions sociales.

A cet égard, Madame X verse aux débats des attestations d’anciennes collègues reconnaissant l’existence de pourboires et commissions au sein du Club 4.

En outre, il ressort d’une attestation produite par l’employeur que les danseuses étaient tenues de se trouver à la disposition de l’employeur au minimum 5h45 par nuit travaillée, sans compter le temps de préparation avant l’entrée en salle, ce dont l’employeur était parfaitement conscient, ce qui excède les cinq heures déclarées et payées par nuit de travail.

De plus, les explications précises de Madame X, corroborées par des attestations circonstanciées établissent que celle-ci percevaient des commissions non déclarées sur les consommations par les clients de bouteilles et de coupes de champagne.

Enfin, la cour d’appel relève que Madame X a effectué des heures et perçu des sommes en liquide non mentionnées sur les bulletins de salaire et sur les déclarations relatives aux salaires et aux cotisations sociales et que les omissions de l’employeur à cet égard étaient intentionnelles.

Il s’en déduit que la société G § Z s’est rendu coupable de travail dissimulé au sens des dispositions du code du travail.

III) Sur les demandes de dommages et intérêts pour non-respect des dispositions sur le travail de nuit

S’agissant de la demande au titre du travail de nuit, il résulte de l’article L.3122-39 du Code du travail dispose : « Les travailleurs de nuit bénéficient de contreparties au titre des périodes de nuit pendant lesquelles ils sont employés sous forme de repos compensateur et, le cas échéant, sous forme de compensation salariale ».

Madame X a ainsi travaillé, entre le 10 mai 2013 et le 11 janvier 2014 (8 mois), 535 heures de nuit déclarées.

Or, est considéré comme travailleur de nuit celui qui accomplit, pendant une période de douze mois consécutifs, deux cent soixante-dix heures de travail, ce qui a été le cas.

La qualité de travailleur de nuit de Madame X devant être retenue, l’employeur aurait dû mettre en place un accord d’entreprise ou solliciter une autorisation de l’inspection du travail et bénéficier de contreparties, ce qui n’a pas été le cas au vu des éléments versés aux débats.

Au total, la cour d’appel a octroyé à l’intermittente du spectacle 47.313,70 euros répartis comme suit :
- 16.921,55 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 10 mai 2013 au 12 janvier 2014 ;
- 1.692,15 euros au titre des congés payés afférents ;
- 19.200 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;
- 3.200 euros à titre d’indemnité de requalification ;
- 3.200 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
- 100 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement ;
- 500 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail ;
- 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour travail de nuit sans contrepartie ;
- 1.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum