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L’agrément pour les locaux ne conditionne pas la validité du stage de récupération de point. Par Aïley Alagapin-Graillot, Juriste, et Matthieu Lesage, Avocat.
Parution : mercredi 4 octobre 2017
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La mise à disposition d’une salle pour réaliser un stage de sensibilisation ne revêt qu’un caractère accessoire comparativement à la qualité de l’information dispensée à cette occasion. Commentaire sous TA Montreuil, Ord. 10 juillet 2017, req. n°1705439.

I. Le cadre juridique

L’instauration du permis à points par la loi du 21 juillet 1989, le durcissement progressif des règles de sécurité routière, puis le déploiement, à partir de 2003, des radars automatiques, ont engendré, au cours des vingt-cinq dernières années, une irrésistible inflation du nombre de points de permis de conduire perdus.

Mécaniquement, on a constaté dans le même temps une forte hausse du nombre de stages de sensibilisation à la sécurité routière, qui permettent une récupération de quatre points sur le permis de conduire.

Ce mouvement s’est renforcé depuis la loi du 14 mars 2011, qui permet de suivre un stage de récupération de points chaque année, au lieu d’une fois tous les deux ans, auparavant.

Ainsi, en 2015, selon les données figurant sur le site de la Sécurité Routière, le nombre de stages organisés s’élevait à 12364. Ces stages ont étés suivis pas 252 266 stagiaires, dans 1504 centres de stages. Ce sont donc un peu plus d’un million de points qui ont été ainsi attribués aux automobilistes cette année-là.

De nombreux entrepreneurs ont vu dans cette activité une source de revenus rapide et importante, et se sont lancés dans l’organisation de stages de sensibilisation à la sécurité routière. Cependant, les garanties offertes par ces organismes étaient jugées insuffisantes par de nombreux observateurs, en raison de l’insuffisance des enseignements et de l’incompétence ou du manque de sérieux de nombreux organisateurs des stages.

Cet état de fait ne satisfaisant pas les pouvoirs publics, il fut nécessaire de poser un cadre législatif et réglementaire strict afin de contrôler la réalisation de ces stages, l’objectif étant l’encadrement des formations et des formateurs.

Le cadre fut posé par l’arrêté du 26 juin 2012 fixant les conditions d’exploitation des établissements chargés d’organiser les stages de sensibilisation à la sécurité routière, complétant ainsi les dispositions des articles L.213-1 et suivants et R.213-1 et suivants du Code de la route.

S’agissant des formateurs, les prérequis les concernant sont prévus à l’article R.213-2 II du Code de la route qui prévoit notamment qu’ils doivent « 5° Justifier des garanties minimales concernant les moyens de formation de l’établissement. Ces garanties concernent les locaux, (...) ».

Pour ce qui est de l’animation des stages de sensibilisation à la sécurité routière, ils ne peuvent être organisés, selon l’article L.213-1 du code de la route, « que dans le cadre d’un établissement dont l’exploitation est subordonnée à un agrément délivré par l’autorité administrative, après avis d’une commission ». Cet agrément est délivré pour une durée de 5 ans par le représentant de l’État.

L’exigence d’un établissement est donc un prérequis à l’organisation de stages de sensibilisation à la sécurité routière.

La caractérisation de l’établissement repose sur deux éléments, un exploitant, peu importe qu’il soit une personne physique ou morale, et des locaux d’activités. Une fois créé, cet établissement doit recevoir un agrément préfectoral du représentant de l’État du département dans lequel ledit établissement est implanté.

Cet agrément est délivré après que soit formée « une demande comprenant notamment un plan et un descriptif des locaux d’activité (superficie et disposition des salles) », de plus, « l’agrément (délivré par le préfet) fait l’objet d’un arrêté comportant (...) l’adresse de la ou des salles de formation », selon l’article 3 dudit arrêté.

Aux termes de l’article 6 de l’arrêté « lorsque l’exploitant d’un établissement agréé désire changer de salle de formation, ou utiliser une ou des salles supplémentaires, il doit adresser au préfet, au plus tard deux mois avant la date du changement, une demande de modification. Le préfet peut faire vérifier la conformité de la ou des salles de formation ».

Il ressort des dispositions des textes précités que les exigences relatives aux locaux semblent a priori être strictes, et que la délivrance de l’agrément serait indubitablement conditionnée par la conformité des locaux aux prescriptions législatives et réglementaires précitées.

L’on comprend que cette exigence semble substantielle ou tout du moins, est prise en considération pour la délivrance de l’agrément, de manière équivalente à celle relative à la qualité de l’information dispensée.

Cette interprétation ne saurait toutefois faire l’unanimité. L’on comprend aisément, au regard de l’importance de l’information délivrée lors de ces stages, que des conditions de qualification strictes soient exigées quant au choix des personnes chargées de dispensées ces informations.
En revanche, qu’elles soient dispensées dans une salle d’auto-école, une salle de réunion, au sommet de l’Himalaya ou dans une gare, l’information dispensée reste strictement la même. A l’ère du télétravail, dans un monde hyper connecté, il est difficile de s’imaginer qu’une salle puisse conditionner la qualité d’un stage de sensibilisation.

C’est pourquoi, il était légitime de s’interroger sur l’interprétation que feraient les juges sur l’équivalence des conditions relatives à la délivrance de l’agrément, et notamment, sur celle relative aux locaux.

Par une ordonnance du tribunal administratif de Montreuil, du 10 juillet 2017 (req. n°1705439), le juge des référés a adopté un raisonnement prenant en compte le critère finaliste du stage de sensibilisation.

II. L’affaire

Le requérant dans l’affaire qui l’oppose au ministre de l’Intérieur et au Préfet de Police de Paris, a réalisé un stage de sensibilisation à la sécurité routière préalablement à la réception d’une lettre référencée « 48 SI » portant invalidation de son permis de conduire. Par suite, il a sollicité l’attribution des points relatifs à son stage de sensibilisation sur le capital affectant son permis de conduire. Le Préfet de Police de Paris lui a toutefois refusé l’octroi des points du stage pour une raison bien inattendue.

En effet, la société dans laquelle le requérant a réalisé son stage de sensibilisation ne disposait pas d’un agrément pour les locaux dans lesquels elle a dispensé ledit stage, dans le cas présent, un hôtel Ibis

Le requérant, gérant d’une SARL de serrurerie, métallerie et charpente métallique qui emploi six ouvriers, doit se déplacer quotidiennement sur des chantiers afin de pouvoir assurer la pérennité et la stabilité de son entreprise.

Il est clair que la politique jurisprudentielle des tribunaux administratifs en matière de perte de points s’est renforcée ces dernières années. Partant, il est rare que ceux-ci soient amenés à se prononcer favorablement dès lors que le requérant a fait l’objet de plusieurs infractions.

De manière classique, l’urgence est soumise à un double examen au sens des dispositions de l’article L.521-1 du Code de justice administrative. Tout d’abord appréciée de manière concrète en fonction des arguments avancés par le requérant, elle fait par la suite l’objet d’un examen global, mettant en tension l’urgence à suspendre la décision querellée et l’urgence à maintenir cette même décision au regard, notamment, de l’ordre public (CE, Sect., 19 janvier 2001, « Confédération nationale des radios libres » req. n°228815 & CE, Sect., 28 février 2001, « Préfet des Alpes-Maritimes c. Société Sud-Est assainissement, req. n°229562 229563 229721).

Afin d’apprécier cette urgence en matière de contentieux du permis à point, le Conseil d’État a eu l’occasion de rappeler récemment dans une ordonnance du 17 octobre 2016 n°402059, que l’urgence à suspendre la décision d’invalidation du permis de conduire s’apprécie notamment au regard des caractéristiques des infractions si « les infractions ne sont pas d’une nature et d’une fréquence telle que des considérations liées à la sécurité routière commanderaient de maintenir le caractère exécutoire de la décision ».

Dans le cas présent, l’intéressé avait commis 5 infractions au Code de la route entre 2010 et 2017 ayant entrainé respectivement 3 pertes de 2 points et 2 pertes de 3 points sur son permis de conduire.

De manière assez surprenante, le tribunal va considérer que le nombre d’infractions, dans les circonstances de l’espèce, doit être considéré comme faible et n’est pas incompatible avec les exigences de sécurité routière.

Surtout, en réalisant un stage de sensibilisation, le requérant a lui-même pris conscience de la gravité et du danger qu’il était susceptible de représenter sur les voies de circulation.

En conséquence, la condition d’urgence va être considérée comme remplie au regard des exigences de l’article L.521-1 du Code de justice administrative.

Toutefois, c’est par le prisme du doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée que le tribunal administratif va poser les jalons de la hiérarchisation des critères relatifs à la délivrance de l’agrément.

Il est nécessaire de rappeler que le cas d’espèce est régi par les articles L.213-1 et R.212-2 du Code de la route. Ceux-ci prévoient la nécessité de détenir un agrément pour pouvoir dispenser les stages de sensibilisation à la sécurité routière.

Par une approche très pragmatique, le juge des référés va minimiser le critère relatif aux locaux pour faire prévaloir celui relatif à la qualité de l’information dispensée dans son huitième considérant reproduit ci-après.

« 8. Considérant que les dispositions des articles L.213-1 et R.212-2 précités du Code de la route ne subordonnent pas la délivrance de l’agrément pour l’exploitation d’un établissement de sensibilisation à la sécurité routière à la disposition d’une salle présentant des caractéristiques particulières, mais subordonnent la délivrance de cet agrément à des conditions de formation et de diplôme ; que la mise à disposition d’une salle pour exercer cette activité ne présente qu’un caractère accessoire (…) ».

Celui-ci va par la suite écarter l’argumentaire du ministre de l’Intérieur et du Préfet de Police de Paris. Il sera retenu que la société en charge de la réalisation du stage de sensibilisation était toujours titulaire de son agrément et donc, disposait des qualifications nécessaires à la dispense dudit stage.

Par ailleurs, il est opportun de souligner que la société en question avait bel et bien déposée une demande aux fins d’inclure les locaux concernés dans son agrément, préalablement à la dispense du stage en question.

Cependant, ce second moyen retenu par le juge des référés ne semble être qu’accessoire et permet tout au plus de mettre en exergue la fiabilité du titulaire de l’agrément.

En raisonnant ainsi, il est clair que le juge des référés, en plus de faire prévaloir l’intérêt du requérant et sa sécurité juridique, lui qui ne pouvait qu’être spectateur d’une situation le sanctionnant alors même qu’il avait accompli les diligences nécessaires, a permis d’affirmer la prééminence du critère qualitatif conditionnant la délivrance de l’agrément, sur son critère formel.

Aïley Alagapin-Graillot, Juriste et Doctorant en droit public à l’Université Paris-Saclay Matthieu Lesage, Avocat à la Cour