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Requalification en CDI : le droit à l’emploi ne peut justifier la poursuite du contrat de travail au-delà du terme de la mission de travail temporaire. Par Pierre-Emmanuel Bastard Chauchard, Avocat.
Parution : lundi 9 octobre 2017
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Par un arrêt du 21 septembre 2017 (Cass. soc., 21 septembre 2017, n°16-20.270 ; n°16-20.277), la Chambre sociale de la Cour de cassation considère que le droit à l’emploi ne constitue pas une liberté fondamentale qui justifierait la poursuite du contrat de travail au-delà du terme de la mission de travail temporaire en cas d’action en requalification en contrat à durée indéterminée.

1. Faits et procédure

Dans cette affaire, un salarié intérimaire est mis à la disposition d’une société, dans le cadre d’une succession de missions temporaires et de renouvellement conclu pour accroissement temporaire d’activité.

Avant l’expiration de sa dernière mission, le salarié saisit la formation de référé du Conseil de prud’hommes aux fins, notamment, de faire valoir les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée et d’obtenir la poursuite de la relation contractuelle.

Par ordonnance du 27 décembre 2013, la formation de référé du Conseil de prud’hommes dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes relatives à la requalification en contrat à durée indéterminée mais ordonne la poursuite de la relation contractuelle jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la demande de requalification en contrat à durée indéterminée.

Le salarié saisit alors le Conseil de prud’hommes de diverses demandes au titre de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée et en paiement de diverses sommes.

Par jugements des 15 mai et 7 juillet 2014, le Conseil de prud’hommes ordonne notamment la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée ainsi que la poursuite du contrat de travail.

Puis, par un arrêt du 5 septembre 2014, la cour d’appel infirme l’ordonnance de référé du 27 décembre 2013 en ce qu’elle a ordonné la poursuite du contrat de travail. Le 11 mai 2016, un autre arrêt d’appel ordonne la requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée ainsi que la poursuite de la relation de travail.

2. Position de la cour d’appel

Pour justifier sa décision, la cour d’appel retient que le contrat de travail requalifié du salarié qui a agi en justice avant le terme de son dernier contrat de mission à l’effet de faire respecter sa liberté fondamentale au maintien du salarié dans l’emploi suite à la violation des dispositions relatives aux conditions restrictives de recours au travail temporaire, n’a pas été rompu et est toujours en cours depuis le 10 juillet 2012, peu important en la matière la circonstance que l’ordonnance de référé du 27 décembre 2013 ait été entre-temps infirmée par l’arrêt du 5 septembre 2014 survenu cependant postérieurement au jugement déféré.

En outre, la cour d’appel précise qu’aucune disposition du Code du travail ne sanctionne expressément la requalification par la poursuite des relations contractuelles entre l’intérimaire et la société utilisatrice.

3. Solution de la Cour de cassation

Dans son arrêt du 21 septembre 2017, la Cour de cassation censure l’arrêt de la cour d’appel au motif que « le droit à l’emploi ne constitue pas une liberté fondamentale qui justifierait la poursuite du contrat de travail au-delà du terme de la mission de travail temporaire en cas d’action en requalification en contrat à durée indéterminée ».

Dans sa note explicative relative à l’arrêt du 21 septembre 2017, la Cour de cassation précise cependant que ce n’est « que dans le cas où la nullité de la rupture est encourue que le juge des référés peut ordonner la poursuite du contrat de travail ».

4. Analyse

Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui a valeur constitutionnelle, dispose en son article 5 que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi [1] ».

Le « droit à l’emploi  » est traditionnellement défini comme étant un droit-créance, à savoir comme un droit faisant parti de ceux « qui confèrent à l’individu une prérogative le rendant créancier de l’État, lequel est alors débiteur d’un certain nombre de prestations concrètes à son égard » [2]. Sont donc appelés droit-créance, ceux qui appellent une intervention de l’État et lui imposent des obligations positives en matière sociale.

Ainsi, loin de constituer une véritable créance de travail, dont l’État serait débiteur, le droit à l’emploi se meut en réalité comme un fondement juridique des différentes politiques de l’emploi.

Le droit à l’emploi présente donc un aspect plutôt incantatoire, même s’il a servi, par le passé, de justification à certains apports en droit du travail, comme le droit au reclassement.

Dans son arrêt du 21 septembre 2017, la Cour de cassation censure l’arrêt de la cour d’appel car elle considère que «  le droit à l’emploi, qui résulte de l’alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946 n’est pas une liberté fondamentale, mais un droit-créance qui doit être concilié avec d’autres droits ou principes constitutionnels, tels que la liberté d’entreprendre qui fonde, pour l’employeur, le droit de recruter librement ou de licencier un salarié. La définition de cet équilibre entre deux droits de nature constitutionnelle relève du législateur, sous le contrôle du Conseil constitutionnel  » [3].

Ainsi, en rappelant que le droit à l’emploi est un droit-créance, la Cour de cassation garantit un équilibre entre ce droit à l’emploi et les autres droits ou principes constitutionnels, telle que la liberté d’entreprendre ; équilibre dont la définition relève du législateur, sous le contrôle du Conseil constitutionnel.

A titre d’exemple, le Conseil constitutionnel a déjà eu à censurer la nouvelle définition du licenciement économique (Cons. Const., 12 janv. 2002, déc. n°2001-455 DC) notamment en ce qu’elle portait une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre au regard de l’objectif poursuivi de maintien de l’emploi [4].

Par conséquent, il ne peut être apporté de restrictions excessives aux droits et libertés au seul motif de la lutte contre le chômage et de l’exercice du droit à l’emploi.

En outre, dans sa note explicative relative à l’arrêt du 21 septembre 2017, la Cour de Cassation rappelle qu’ « un justiciable ne peut pas se prévaloir directement dans le cadre d’un litige d’une violation du droit à l’emploi, sauf à vider de leur substance les autres droits constitutionnels avec lesquels ce droit doit être concilié  ».

Cette appréciation de la Cour de cassation peut donc être analysée comme le refus de faire du droit à l’emploi le fondement d’un droit subjectif directement invocable devant le juge ordinaire.

En l’espèce, la Cour de cassation considère donc que le droit à l’emploi invoqué par le salarié ne peut servir de fondement à la nullité de la rupture d’un contrat de mise à disposition requalifié en CDI.

Dès lors, à l’expiration d’un contrat de mission requalifié en CDI, le juge ne peut ordonner la poursuite du contrat de travail, sauf dans le cas où la nullité est encourue, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Pierre-Emmanuel Bastard Chauchard Avocat au Barreau de Paris

[1Article 5 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ».

[2JCP, Fasc. 1100 Droits-Créances, Laurence Gay, p.4

[3Note explicative relative à l’arrêt de la chambre sociale n°1964 du 21 septembre 2017

[4Cons. Const., 12 janvier 2002, déc. n°2001-455 DC, consid. 50