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Publicité comparative, plateformes et comparateurs en ligne : du devoir de loyauté à l’obligation d’information « loyale, claire et transparente ». Par Henri de la Motte Rouge, Avocat.
Parution : jeudi 12 octobre 2017
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La publicité comparative est une pratique réglementée ancienne. Le législateur a souhaité la réactualiser pour prendre en compte les évolutions du web 2.0 et l’avènement des plateformes. La publication attendue du Décret n° 2017-1434 du 29 septembre 2017 relatif aux obligations d’information des opérateurs de plateformes numériques précise le contenu et les modalités pratiques de l’obligation d’information « loyale, claire et transparente » prévue à l’article L111-7 du Code de la consommation, modifié par la Loi pour une République numérique (loi Lemaire).

Avec le formidable potentiel de comparaison et d’analyse des produits et services qu’offre internet, le consommateur est forcément gagnant. Toutefois cela suppose que la communication des annonceurs et commerçant soit loyale et régulée. Fort de ce constat, la comparaison en ligne est devenue un véritable enjeu économique pour tous les maillons de la chaîne.

Les “marketplaces” sont des plateformes où par nature sont comparés divers produits et services, avec de surcroît des déréférencements possibles des vendeurs. Par ailleurs, de plus en plus de sociétés et notamment des e-commerçants diffusent sur leur site internet des éléments de comparaison avec d’autres services du même type pour démontrer leur valeur ajoutée ou leur compétitivité.

D’autres sociétés se sont spécialisées dans l’offre de comparateurs en ligne. Ces services ne sont généralement pas totalement neutres puisqu’il existe bien souvent des liens entre le comparateur et les sociétés qu’il référence.
Rappelons toutefois qu’en l’absence d’identification du contenu publicitaire et des liens avec l’annonceur, il existe un risque de publicité déguisée. En effet, un défaut d’identification est « susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement du consommateur », comme l’a récemment jugé le 17 mars 2017 la Cour d’appel de Paris [1] au sujet du comparateur Leguide.com.

1 - le cadre juridique de la publicité comparative : la loyauté

Rappel du cadre juridique de la publicité comparative

La publicité comparative a été admise initialement en France par la loi du 18 janvier 1992. L’ordonnance no 2016-301 du 14 mars 2016, relative à la partie législative du Code de la consommation à recodifié les articles qui forment désormais le cadre juridique standard de la publicité comparative. L’article L122-1 du Code de la consommation dispose que «  toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n’est licite que si :
1° elle n’est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ;
2° elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ;
3° elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie. 
 »

L’Article L122-2 dispose en outre que « la publicité comparative ne peut :
« 1° tirer indûment profit de la notoriété attachée à une marque de fabrique, de commerce ou de service, à un nom commercial, à d’autres signes distinctifs d’un concurrent ou à l’appellation d’origine ainsi qu’à l’indication géographique protégée d’un produit concurrent ;
2° entraîner le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activité ou situation d’un concurrent ;
3° engendrer de confusion entre l’annonceur et un concurrent ou entre les marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens ou services de l’annonceur et ceux d’un concurrent ;
4° présenter des biens ou des services comme une imitation ou une reproduction d’un bien ou d’un service bénéficiant d’une marque ou d’un nom commercial protégé. 
 »

Sanctions

La violation des dispositions relatives à la publicité comparative est réprimée au titre des pratiques commerciales trompeuses. Les sanctions prévues sont une peine d’emprisonnement de deux ans et une peine d’amende de 300 000 euros. Le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits, ou à 50 % des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique constituant ce délit (article L132-2 du Code de la consommation).

Ces sanctions peuvent également être assorties d’une condamnation par voie d’affichage sur le site internet.

À noter que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a une compétence large en matière de recherche et de contrôle de ces infractions. La société comparée qui subit un préjudice pourra également agir en responsabilité sur les fondements de la contrefaçon de marque (sanction civile et pénale) ou la concurrence déloyale et parasitaire.

Jurisprudence

La jurisprudence a eu l’occasion de se prononcer sur la publicité comparative avec plusieurs types de fautes en matière de comparaisons.

1 - Comparaison erronée sur le prix :
- l’indication, par un opticien, que les prix qu’il pratique sont moins chers qu’ailleurs justifie la condamnation si une enquête de la Direction de la concurrence révèle qu’un concurrent vend les mêmes marques à un prix inférieur (CA Riom, 26 oct. 1988) ;
- condamnations à l’encontre d’exploitants de supermarchés ayant procédé à des comparaisons erronées entre les prix pratiqués dans leurs magasins et ceux relevés chez les concurrents (Cass. crim., 22 déc. 1986, Cass. crim., 24 nov. 1987) ;

2 - Comparaison erronée sur les caractéristiques essentielles : condamnation de l’annonceur qui n’était pas en mesure de s’assurer que les produits comparés présentaient les mêmes caractéristiques essentielles (Cass. crim., 9 mai 2007, no 06-86.373) ;

3 - Faute d’un tiers et absence d’intention de nuire : la jurisprudence précise que peu importe que les erreurs relevées procèdent de fautes commises par des tiers, la loi n’exige pas, pour que l’infraction soit constituée, une intention de nuire et il appartient à l’annonceur de prendre toutes précautions propres à éviter de telles erreurs (Cass. crim., 25 oct. 1988, no 87-84.241, CA Versailles, ch. com., 29 janv. 2009, no RG : 08/01243).

2 - plateformes et comparateurs en ligne : création de l’obligation d’information “loyale, Claire et transparente”

Avec l’avènement de l’économie des plateformes, la comparaison des biens et des services en ligne est devenue la norme. Le législateur, qui n’a pas fait œuvre de simplification en la matière, a d’abord souhaité prévoir un encadrement spécifique des comparateurs en ligne en renvoyant le soin au pouvoir réglementaire de préciser les règles. Le décret n°2016-505 du 22 avril 2016 relatif aux obligations d’information sur les sites comparateurs en ligne avait été édicté… Il a néanmoins été abrogé à la date de son entrée en vigueur prévue moins de six mois après sa création…

Le nouvel article L111-6 du Code de la consommation applicable à compter du 1er juillet 2016 dispose que « toute personne dont l’activité consiste en la fourniture d’informations en ligne permettant la comparaison des prix et des caractéristiques de biens et de services proposés par des professionnels est tenue d’apporter une information loyale, claire et transparente, y compris sur ce qui relève de la publicité au sens de l’article 20 de la même loi, dont les modalités et le contenu sont fixés par décret ».

Amende jusqu’à 75 000 euros ou 375 000 euros

Tout manquement à l’obligation d’information « en matière d’activité de fourniture d’informations en ligne permettant la comparaison de prix est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale » (article L.131-3 du Code de la consommation).

Les dispositions concernant la « loyauté des plateformes » issues de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique s’intéressent également à la comparaison en ligne pour les « opérateurs de plateforme en ligne ».
Précisions que cette nouvelle catégorie juridique d’opérateurs de plateforme en ligne est large puisqu’elle désigne « toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :
- le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;
- ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service
 ».

Le législateur a laissé le soin au pouvoir réglementaire de préciser « les informations communiquées aux consommateurs portant sur les éléments de cette comparaison ». Le Décret n° 2017-1434 du 29 septembre 2017 relatif aux obligations d’information des opérateurs de plateformes numériques applicable apporte donc les précisions attendues.

Ainsi les plateformes ont dorénavant l’obligation de préciser dans “une rubrique spécifique” (c’est à dire en dehors des CGU/GCV) “aisément accessible à partir de toutes les pages du site” les modalités de référencement, déréférencement et de classement telles que prévues dans le décret.

Le Décret prévoit également des obligations complémentaires pour les plateformes de mise en relation (plateformes collaboratives, places de marché ou « marketplaces ») qui concernent une diversité d’informations (assurance, modalités de règlement des litiges, statut Professional ou non, droit de rétractation, l’absence de garanties légale de conformité...).

La plateforme doit également fournir au professionnel (vendeur sur la marketplace) « l’espace nécessaire » pour satisfaire à son obligation précontractuelle d’information prévue aux articles L. 221-5 et L. 221-6 du Code de la consommation.

Entrée en vigueur le 1er janvier 2018

Précisions que le Décret entrera en vigueur le 1er janvier 2018, laissant un vide juridique puisque le décret du 22 avril 2016 a été abrogé. Il résulte que certains acteurs se sont déjà mis en conformité alors que d’autres attendent la nouvelle réglementation applicable en janvier 2018 …

Précisons enfin qu’à compter de l’entrée en vigueur des mesures réglementaires nécessaires à l’application de l’article L. 111-7 du Code de la consommation, dans sa rédaction résultant, les articles L. 111-6 et L. 131-3 du même code seront abrogés.
Et pour cause, la notion d’opérateurs de plateformes englobe également les comparateurs en ligne.

Enfin, un second Décret du 29 septembre 2017 (Décret n°2017-1435) est venu fixer le seuil (cinq millions de visiteurs uniques par mois, par plateforme, calculé sur la base de la dernière année civile), pour lequel les plateformes devront, à compter du 1er janvier 2019, élaborer et diffuser aux consommateurs des « bonnes pratiques visant à renforcer les obligations de clarté, de transparence et de loyauté ».

Et en pratique, ça donne quoi ?

Cette consécration d’une obligation spécifique d’information à la charge des plateformes s’ajoute aux, règles de la publicité comparative qui continueront à s’appliquer.

Ainsi, la société qui fournit un outil de comparaison en ligne (tableau comparateur ou autre) engage sa responsabilité tant sur le plan civil que sur le plan pénal en cas de comparaison erronée.
Avant d’envisager de mettre en place un outil de comparaison il est préconisé de :
- faire un travail de comparaison précis, documenté et vérifié ;
- supprimer les éléments de comparaison où subsiste des incertitudes.
- procéder à une veille et une actualisation régulière, les offres et les produits et services commercialisés évoluant très rapidement.

Enfin, les plateformes, les moteurs de recherche et les comparateurs doivent prévoir la rubrique spécifique directement accessible sur le site internet présentant les modalités de comparaison afin de satisfaire à leur obligation d’information et de transparence conforme à la nouvelle réglementation.

Au 1er janvier 2019, si la plateforme à plus de cinq millions de visiteurs uniques par mois, elle devra diffuser des « bonnes pratiques » visant à renforcer les obligations de clarté, de transparence et de loyauté.

Reste à définir ce que sont ces « bonnes pratiques » et les canaux de diffusions. Le principe d’ « accountability  » qu’on retrouve dans le RGPD s’introduit doucement mais surement dans le droit de la consommation.

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[1Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Ch. 11, arrêt du 17 mars 2017 Legalisnet.