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Quel rôle pour le CNB ?
Parution : mardi 7 août 2018
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Le Journal du Village de la Justice a interviewé Jean-Marie Burguburu, un de ses anciens présidents et ancien bâtonnier de Paris pour mieux appréhender le rôle du CNB.
Coexistence du CNB avec les ordres, justice du 21ème siècle, interprofessionnalité sont autant de sujets que nous abordons ici.

Laurie Tavitian : Que représente la Convention nationale des avocats pour la profession ?

Jean-Marie Burguburu : La Convention nationale qui a lieu une fois tous les trois ans seulement, c’est-à-dire une fois par mandature du CNB, est un évènement essentiel pour deux raisons.

"Cette convention a vocation à réunir toute la profession au niveau national, d’origine ordinale ou non ordinale et dans ses différentes spécialités."

La première, c’est que cette convention a vocation à réunir toute la profession au niveau national, d’origine ordinale ou non ordinale et dans ses différentes spécialités. Ce n’est pas un congrès spécifique. Son universalité et sa fréquence triennale font aussi que c’est un évènement important. Chaque président a sa convention, environ 2 mois environ avant la fin de son mandat, c’est donc le moment de rassembler tout ce qui a été fait pendant la mandature et d’évoquer des projets pour la mandature suivante.

La seconde raison est que cet évènement est unique dans la profession puisque les autres rassemblements fréquents sont soit les rentrées de barreau, soit des réunions syndicales ou associatives, soit encore des congrès et colloques thématiques.
Cela n’a rien à voir avec la Convention nationale. Je regrette qu’elle soit seulement triennale, elle devrait être annuelle car elle ne doublonne pas avec les autres réunions professionnelles. Je pense aux notaires qui organisent un congrès national tous les ans. Ils ont dépassé la centaine de congrès, voyez à quelle hauteur je place la barre dans l’importance qui doit être reconnue à cette convention du CNB.

Eu égard aux remous réguliers que connaît la profession, comment le CNB peut-il coexister avec les Ordres ?

La question est majeure et n’est pas surprenante au vu des difficultés qui émaillent les différentes mandatures, j’en ai connu certaines de très près, j’ai même eu à les gérer. En réalité, la question ne se pose pas en terme de conflit mais de superposition.

"Il (le CNB) est absolument nécessaire et il n’est pas destiné à supprimer les ordres, ni même à les « coiffer ». Il existe dans sa spécificité et il est le seul en France."


Posons comme principe que dans la profession d’avocat, les ordres sont essentiels.
Il y a autant d’ordre que de tribunaux de grande instance et la suppression de ces ordres couperait le lien entre les avocats et leurs tribunaux respectifs. On peut sans doute penser à regrouper certains ordres dans des tribunaux qui sont, soit trop proches les uns des autres, soit en manque d’activité. Je pense qu’à ce sujet la chancellerie doit avoir des idées dans ses cartons.
Le regroupement peut être mais pas leur suppression, car les ordres locaux sont essentiels, à la différence d’autres professions à qui un ordre national suffit.
L’importance des ordres locaux dans le système judiciaire étant ce qu’elle est en France, sauf à tout mettre par terre, il y a quand même besoin d’une institution nationale.

Cette institution, c’est le Conseil national des barreaux. Le CNB est né un peu dans la douleur à l’occasion de la fusion entre les professions d’avocat et de conseil juridique. Il a célébré ses 25 ans récemment début juillet. Il est absolument nécessaire et il n’est pas destiné à supprimer les ordres, ni même à les « coiffer ». Il existe dans sa spécificité et il est le seul en France.
Sa fonction est fixée par la loi et est principalement de représenter la profession auprès des pouvoirs publics. Autrement dit quand le bâtonnier d’un aussi grand barreau soit-il (le bâtonnier de Paris par exemple), va voir le garde des Sceaux, ce n’est pas pour parler de la profession, c’est pour parler du barreau de Paris.
Il est vrai, et je ne renie pas mon ordre que d’après les dernières statistiques le barreau de Paris représente 42 % des avocats français. Mais les 58 % restants (plus de la majorité), c’est le barreau français dans sa diversité, son importance, son ancrage territorial et son ancienneté pour les plus grands barreaux qui sont aussi anciens, certains peut être plus anciens que le barreau de Paris, si on remonte à l’époque romaine.

"L’ensemble de la profession, Paris et régions, est représenté par le CNB qui agit auprès des pouvoirs publics."


Il y a donc les ordres d’un côté et le CNB de l’autre. Les ordres ont formé il y a déjà une centaine d’années la Conférence des bâtonniers pour les réunir et les représenter.
Le barreau de Paris s’est retiré de celle-ci il y a déjà plusieurs dizaines d’années. Et désormais l’ensemble de la profession, Paris et régions, est représenté par le CNB qui agit auprès des pouvoirs publics : l’unification des règlements intérieurs, mise en place du RPVA, de la formation initiale et continue, création de l’acte avocat...

Le CNB qui réunit en son sein 80 membres élus, et les deux membres de droit que sont le président de la Conférence des bâtonniers et le bâtonnier de Paris, avance à son rythme et trace son sillon dans la difficulté souvent mais dans la reconnaissance progressive de son rôle et son action. La nouvelle mandature ajoutera son travail aux mandatures précédentes pour conforter le rôle, l’importance et l’utilité du CNB.

Quel rôle peut jouer le CNB dans la justice du 21ème siècle ?

C’est peut-être la plus délicate de vos questions. La justice du 21ème siècle, sous cette appellation donnée par la garde des Sceaux Christiane Taubira, a suscité beaucoup d’intérêt, quelques inquiétudes aussi et quelques espoirs. Force est de constater qu’à l’issue de ces grandes réunions et discussions auxquelles parfois mais pas toujours les avocats ont été associés, le résultat n’est sans doute pas au niveau de ses espoirs et de ses projets.
La justice du 21ème siècle se cherche encore et la nouvelle garde des Sceaux après le passage très intéressant et positif de Monsieur Urvoas va continuer le travail.

"On ne peut pas parler d’une justice du 21ème siècle qui éloigne les avocats et les auxiliaires de justice en général, du justiciable."


Après les textes déjà sortis, il y en aura peut-être d’autres. J’évoquais le risque de changement sur la carte judiciaire. Il faudra être très prudent sur ce point car on ne peut pas parler d’une justice du 21ème siècle qui éloigne les avocats et les auxiliaires de justice en général, du justiciable. Mais il y a d’autres aspects tels que la réforme de la procédure d’appel qui manifestement a pour objet de tenter de dissuader les plaideurs et leurs conseils d’interjeter appel des jugements qui ne les satisfont pas.
Si on diminue les moyens de faire appel par ces procédures qui encadrent dans des délais très brefs et de nouvelles formalités considérables les appels, c’est un signe aussi me semble-t-il pour diminuer le nombre des cours d’appel. La justice du 21ème siècle est en train de se faire sous nos yeux, elle n’est pas achevée par la loi qui porte ce nom.

Le CNB est l’interlocuteur des pouvoirs publics, c’est donc à lui d’être en première ligne, de monter au créneau pour discuter avec eux. Sa mission est nationale. Il ne sera pas accusé dans ces discussions de privilégier tel ou tel barreau au détriment de tel ou tel autre.
Le CNB fera aussi des propositions sur les questions qui seront mises à l’ordre du jour. Il a d’ailleurs introduit un recours contre le décret du 20 septembre 2017 portant sur l’accès partiel à la profession d’avocat en France par les ressortissants des Etats membres de l’Union européenne ayant acquis leur qualification dans un autre Etat membre.
Il semble que dans certains pays européens on puisse exercer seulement quelques fonctions de l’avocat et pas toutes, par exemple, un avocat qui pourrait plaider au pénal mais pas au civil, un avocat qui pourrait être conseil de sociétés mais qui ne pourrait plaider.

"Cette justice du 21ème siècle a peut-être quelques bons côtés mais elle comporte aussi des inquiétudes pour la profession."


Cette justice du 21ème siècle a peut-être quelques bons côtés mais elle comporte aussi des inquiétudes pour la profession. Ne nous cachons pas que les avocats sont des « empêcheurs de tourner en rond » ou de légiférer de travers. Donc le CNB sera présent à tous les débats, parfois à côté des ordres, parfois seul. Et lorsque ce sera nécessaire il n’hésitera pas, je l’ai fait, à manifester dans la rue aussi, bien que les avocats n’aiment pas cela, contre certaines mesures.
Je pense notamment au drame que constitue la non indemnisation raisonnable des missions d’aide juridictionnelle que portent tous les avocats de France dans tous les barreaux.

Comment le CNB entend-il encourager l’inter-professionnalité ?

"L’interprofessionnalité d’exercice, et pas seulement capitalistique, est une belle opportunité..."


L’interprofessionnalité d’exercice, et pas seulement capitalistique, est une belle opportunité mais les avocats restent prudents parce que c’est un peu plus difficile à mettre en œuvre qu’il s’agisse d’interprofessionnalité entre des avocats et des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, ou des notaires, des huissiers ou des experts-comptables. Il faut y regarder de plus près.

Le rôle du CNB est ici simple et direct. Puisqu’il est la seule organisation et représentation nationale non syndicale ayant un rôle légal dans la profession, il est au niveau pour discuter avec toutes les organisations nationales (CSN, CSEC...) qui représentent leurs professions respectives.

C’est à ce niveau national que vont se tracer progressivement les grandes lignes de cette interprofessionnalité d’ exercice rendue désormais possible car au-delà des textes législatifs et réglementaires, ce sont bien sûr des questions de terrain qui vont se poser. Je pense à la question du secret professionnel. Si les avocats n’ont pas pu s’ associer avant 1957, c’est parce qu’on craignait le partage du secret professionnel, alors que dans les pays voisins, les avocats pouvaient s’ associer. Le secret professionnel reste un souci majeur.
Par exemple, le travail en commun poserait un problème entre les avocats et les commissaires au compte car ces derniers ont l’obligation de révéler les infractions alors que les avocats ont l’ obligation de défendre leurs auteurs présumés qui sont leurs clients.
Je pense aussi à la notion de conflit d’intérêts. Si un cabinet d’avocats met en place une interprofessionnalité avec une étude d’huissiers par exemple, celle-ci ne pourra être saisie en aucun cas contre les clients du cabinet avec lequel il est interprofessionnel. Avec d’autres professionnels, les questions sur le terrain seront aussi nombreuses et devront être réglées. De la même manière que le CNB est saisi actuellement par les bâtonniers qui lui posent des questions de déontologie qui ne sont pas tranchées directement au niveau des ordres.

"Le CNB aura un rôle de facilitateur car il ne peut pas avoir un rôle en retrait ou négatif."


Le CNB aura un rôle de facilitateur car il ne peut pas avoir un rôle en retrait ou négatif. Mais au-delà dans les contacts amicaux ou informels, parfois un peu plus formels que le CNB a avec ses homologues des autres professions, vont se dessiner progressivement les règles de l’ interprofessionnalité d’ exercice.

Ne nous dissimulons pas que c’est un travail de longue haleine, il va y avoir des pionniers, il y en a déjà quelques uns. Et il y aura certains professionnels qui resteront en retrait. Dans tous les cas, le CNB sera à l’ écoute.

Interview initialement parue dans le Journal du Village de la Justice n°82.

Propos recueillis par Laurine Tavitian.