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Les cinq ordonnances reformant le code du travail : promesses tenues. Par Dominique Summa, Avocat.
Parution : lundi 16 octobre 2017
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Le 22 septembre 2017, cinq Ordonnances ont été signées par le Président de la République, dans son bureau. Cette scène télévisée en direct a montré l’importance de l’événement devant régler les points d’achoppement du Droit du Travail qui en ont fait un cauchemar pour les entreprises, entravées dans leur politique de management par une gestion du personnel bloquée au nom d’une protection sociale du salarié.
Publiées le 23 septembre 2017, elles sont immédiatement applicables pour une grande partie des 36 mesures prescrites.

La fluidité, la simplification et la sécurisation des relations sociales – entreprises- syndicats- est affirmée tant dans les conditions du travail que dans celles du licenciement (1) dans un but de transformation du dialogue social en une collaboration positive dans l’intérêt commun du chef d’entreprise et du salarié. Cette perspective souhaitée n’est pas la réalité. Les syndicats devront s’adapter face à la digitalisation du travail et à sa versatilité mettant le contrat de travail en déclin (2).

I. Simplification et sécurisations des relations sociales.

A. Au niveau de la négociation collective par branches d’activités avec une pointe d’accords d’entreprises (1ère ordonnance).

1°) Les conditions du travail restent négociées collectivement par branche d’activité avec les syndicats pour onze matières les plus importantes : salaires minima hiérarchiques, classifications, mutualisation des fonds de financement du paritarisme, mutualisation des fonds de la formation professionnelle, garanties collectives complémentaires, durée du travail et aménagement des horaires, contrats à durée déterminée (CDD) et contrats de travail temporaires, contrats à durée indéterminée (CDI), de chantier, égalité professionnelle entre femmes et hommes, conditions des périodes d’essai, modalités de la poursuite des contrats de travail entre deux entreprises.

2°) Quatre matières pourront être verrouillées par les syndicats : prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels, insertion professionnelle et maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés, seuil pour la désignation des délégués syndicaux, primes pour travaux dangereux et insalubres.

3°) Les autres matières seront traitées par des accords d’entreprise.

B. Au niveau de la valorisation des responsabilités syndicales (2ème ordonnance).

Un Comité Social et Economique – CSE- exerce les fonctions des délégués du personnel pour les entreprises de 11 à 50 salariés, plus celles du Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail et celles du Comité d’entreprise pour les entreprises de plus de 50 salariés. Un seul organisme au lieu de trois, pour alléger l’organisation de leur travail.

C. Au niveau de la prévisibilité et de la sécurisation des relations du travail (3ème ordonnance).

3-1. La réparation du licenciement irrégulier ou sans cause réelle et sérieuse est plafonnée entre un minimum et un maximum fixé dans deux tableaux : tableau 1 pour les entreprises de plus de onze salariés, tableau 2 pour les entreprises de moins de onze salariés. Les écarts sont conséquents : pour licenciement avec deux ans d’ancienneté sans cause réelle et sérieuse, entre 3 et 3,5 mois brut (tableau 1) et 0,5 mois (tableau 2).

3-2. Les indemnités légales de licenciement peuvent être prises en compte par le Juge. Elles ont été augmentées à ¼ de mois par année d’ancienneté.

3-3. Ce plafonnement est exclu en cas de violation des libertés fondamentales : discrimination, harcèlement, salarié protégé, lanceur d’alerte. Les indemnités sont au minimum de six mois de salaire brut sans limitation.

3-4. Le formalisme de la procédure de licenciement est allégé par la création d’un modèle de lettre de licenciement sur formulaire Cerfa mentionnant les droits du salarié.
La possibilité de préciser les motifs du licenciement après la notification de la lettre de licenciement est ouverte. Il n’y a plus de nullité du licenciement pour insuffisance de motifs objectifs.
Une indemnité de un mois de salaire brut peut être allouée au salarié.

3-5. La non transmission dans le délai de deux jours à compter de l’embauche d’un contrat à durée déterminée ou temporaire n’entraine pas sa requalification en contrat à durée indéterminée.

3-6.Le délai de prescription pour contester un licenciement économique et pour faute est de un an à compter de la notification du licenciement. Ce délai s’aligne sur celui du licenciement conventionnel.

3-7.L’obligation de reclassement pour inaptitude au travail est limitée au entreprises du groupe situées sur le territoire national. Les avis du médecin du travail peuvent être contestés par voie de référé et la juridiction peut ordonner toute mesures complémentaires l’inaptitude. Sa décision remplace l’avis du médecin du travail.

3-8. Les congés de mobilité et les ruptures conventionnelles collectives sont institués pour faciliter la formation du salarié et gérer par anticipation les suppressions d’emplois. Une participation des entreprises occupant mille salariés est prévue pour activer la création d’emplois. Si les licenciements concernent trois départements, une convention-cadre nationale de revitalisation entre l’Etat et l’entreprise est conclue. Les travailleurs privés d’emploi cherchant du travail ont droit à un revenu de remplacement

3-9.Les critères d’appréciation du licenciement économique sont limités au territoire national et ne s’étendent pas au groupe de l’entreprise. L’obligation de reclassement est instituée. La procédure de consultation préalable du comité économique et social est confirmée.

4-. Le recours au télétravail est favorisé : « Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise, notamment en ce qui concerne l’accès aux informations syndicales, la participation aux élections professionnelles et l’accès à la formation. »
« L’employeur qui refuse d’accorder le bénéfice du télétravail à un salarié qui occupe un poste éligible à un mode d’organisation en télétravail dans les conditions prévues par accord collectif ou, à défaut, par la charte, doit motiver sa réponse. » L’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail. »

5- Le contrat de travail à durée déterminé est réglementé : 18 mois, renouvelable sous certaines conditions. Il peut être renouvelé deux fois à défaut d’accords, sans dépasser 36 mois. Il ne peut être renouvelé par un contrat de travail temporaire lui-même réglementé.

6- Le contrat de chantier, le prêt de main d’œuvre à but non lucratif, la poursuite des contrats de travail entre deux prestataires sont réglementés.

D. Au niveau de la négociation collective (4ème ordonnance).

Il est prévu d’étendre les accords collectifs.

E. Au niveau de la prévention et à la prise en compte des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention (5ème ordonnance).

Les risques professionnels définis comme étant :

1°) des contraintes physiques marquées :
« a) Manutentions manuelles de charges ;
« b) Postures pénibles définies comme positions forcées des articulations ;
« c) Vibrations mécaniques ;
« 2° Un environnement physique agressif :
« a) Agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées ;
« b) Activités exercées en milieu hyperbare ;
« c) Températures extrêmes ;
« d) Bruit ;
« 3° Certains rythmes de travail :
« a) Travail de nuit dans les conditions fixées aux articles L. 3122-2 à L. 3122-5 ;
« b) Travail en équipes successives alternantes ;
« c) Travail répétitif

Sont déclarés par l’employeur et donnent des points au compte professionnel de prévention (C2P) du salarié ouvrant droit à une action de formation professionnelle vers un emploi non exposé aux risques, un financement de sa rémunération et des charges en cas de réduction de sa durée du travail, un financement d’un départ anticipé à le retraite à l’âge de 55 ans.

La gestion du compte professionnel de prévention qui se substitue au compte de pénibilité et reçoit les points attribués annuellement est assurée par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et le réseau des organismes de la branche accidents du travail et maladies professionnelles du régime général. Le contentieux sera assuré par le contentieux général de la sécurité sociale. Les dépenses liées aux frais des expertises demandées par les juridictions seront prises en charge par les organismes nationaux de la branche accidents du travail et maladies professionnelles. La prescription du recours est de deux ans – délai du contentieux de la sécurité sociale.

Au 1er janvier 2018, les fonds de la gestion du compte pénibilité seront transférés aux organismes nationaux de la branche accidents du travail et maladies professionnelles.

II. Vers une collaboration positive dans l’intérêt commun du chef d’entreprise et du salarié ?

2-1.Les mesures d’allègement de la gestion du personnel par un dialogue entre l’entreprise et les syndicats et de prédiction du financement de celles-ci- notamment le licenciement- répondent aux vœux des entreprises qui se sont engagées à réduire le chômage – notamment des jeunes – par le dépoussiérage des emplois.

2-2. Les syndicats conservent la négociation collective dans les matières les plus importantes mais une fenêtre est laissée à l’entreprise pour négocier directement avec son personnel de problèmes spécifiques.

2-3. La rupture conventionnelle est favorisée, individuelle ou collective.

2-4. L’entreprise participe au financement de la revitalisation des zones sinistrées.

2-5. La formation professionnelle est favorisée.

Ces mesures déjà contestées par les syndicats sont conformes aux engagements du Président et répondent aux critiques des entreprises, notamment les petites entreprises, soumises au diktat de la sacralisation de l’emploi.

La modification des conditions du travail – par la généralisation de la digitalisation – favorise l’externalisation du travail et la distanciation du lien de subordination ainsi que la réduction du contrat de travail qui ne fait plus rêver les jeunes diplômés, ambitieux de créer leurs start-up.

Les plates-formes- Uber- ont créé de nombreux emplois certes précaires mais pourvoyeurs d’activités lucratives.

Si l’avenir est une robotisation des emplois non qualifiés, le sans-emploi sera une classe sociale que la collectivité nationale devra assumer. On repense au revenu universel.

Dominique Summa
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