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La transmission du patrimoine de la personne morale peut-elle ressembler à la succession de la personne physique ? Par Abdelkarim Osman.
Parution : lundi 16 octobre 2017
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En droit des sociétés, et plus précisément, en matière de fusion, la dissolution de la société amenée à disparaître emporte la transmission de son patrimoine à la société bénéficiaire de l’opération.
En droit des successions, le décès de la personne physique a pour conséquence de transmettre l’universalité de son patrimoine à son ou ses héritiers. Or, la réception, par la société bénéficiaire de l’opération, du patrimoine de la société appelée à disparaître peut-elle ressembler à la règle de la succession de la personne physique ? Autrement dit, la dissolution de la personne morale peut-elle ressembler au décès de la personne physique ?

En droit des successions, la transmission universelle du patrimoine de de cujus repose sur la règle de la continuation de la personne du défunt par l’héritier. Ce dernier succède à la personne du défunt dans l’intégralité de son patrimoine. Le successeur recueille l’actif et répond au passif du défunt même si la valeur du premier est inférieur à celle du second ; on parle d’une obligation ultra vires successionis. Les biens recueillis sont confondus avec les biens du successeur ; on dit que l’héritier succède à la personne du défunt non à ses biens.

Le successeur se substitue donc de plein droit au de cujus dont il acquiert l’universalité des éléments d’actif et du passif.

En effet, la possibilité d’assimiler la transmission du patrimoine de la personne morale à la règle de la succession de la personne physique reste toujours un sujet controversé (I). Cette solution prête le flanc à la critique (II).

I/ L’étendue de l’assimilation de la transmission du patrimoine de la personne morale à la succession de la personne physique : solution possible mais incertaine.

En droit des sociétés, les opérations de fusion nécessitent l’existence d’au moins deux personnes morales ; la société absorbée et la société absorbante.
La personne morale amenée à disparaître, du fait de la fusion, n’a pas plus d’existence juridique, il faut donc une autre personne morale qui recueille l’intégralité du patrimoine de celle-ci.
La présence d’une personne morale absorbante qui reçoit le patrimoine de la personne morale absorbée peut-il trouver son origine dans le principe de la succession de la personne du défunt ?

A priori, dans le Code de commerce, il n’y a aucun texte dans la loi qui envisage cette hypothèse.
En l’absence de texte, on peut estimer qu’on pourrait avoir recours au droit des successions ; plus précisément à la règle de la continuation de la personne du défunt par l’héritier.
A l’instar de la personne physique, la personne morale a la capacité juridique et dispose d’un patrimoine. Par conséquent, comme chez la personne physique, la personne morale de la société amenée à disparaître peut être continuée par la société qui recueille l’universalité de patrimoine de celle-ci. En transposant ce principe au droit des sociétés, notamment en matière de fusion, on peut constater que la société absorbante continue fictivement la personne morale de la société absorbée. L’application de cette technique successorale à la transmission du patrimoine de la personne morale « n’est pas contraire aux différents objectifs poursuivis par le législateur en 1966 et en 1988 qui a conçu la fusion, la scission et la dissolution des sociétés unipersonnelles comme des opérations intercalaires ».

Il est sans doute que la fusion entraîne la dissolution sans liquidation et la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante. Lorsque cette dernière reçoit le patrimoine, elle se trouve dans le même contexte juridique que la société absorbée et est considérée comme ayant cause à titre universel à l’instar du successeur en droit successoral.

Comme le souligne Monsieur Michel Jeantin « De même les héritiers du défunt, continuateurs de la personne du défunt, reçoivent l’intégralité de son patrimoine, la société bénéficiaire de la fusion (…) reçoit l’intégralité du patrimoine de la personne de la société dissoute, sans qu’il y ait lieu d’accomplir un règlement préalable du passif ».
En conséquence, la dissolution ou la disparation de la personne morale absorbée n’est pas différente de manière fondamentale au décès de la personne physique.

De même, conformément aux dispositions de l’article L. 236-14 du Code de commerce, la société absorbante est débitrice des créanciers de la société absorbée au lieu et place de celle-ci, sans que cette substitution emporte novation à leur égard. L’article L. 236-3, I de même Code ajoute que la société absorbante reçoit l’intégralité du patrimoine de la société absorbée dans l’état où il se trouve au jour à la date de réalisation définitive de la fusion.
De ce fait, il s’avère que, à l’image de la règle de la succession de la personne physique, la société absorbante constitue un ayant cause universel de la société absorbée et se substitue activement et passivement au lieu et place de la société absorbée.

Comme le précise Madame Marie-Laure Coquelet, c’est bien de considérer « la société absorbante est plus qu’un simple successeur aux biens, qui serait substitué objectivement à la tête du patrimoine transmis. Elle est au contraire le successeur à la personne de la société appelée à disparaître ».

La doctrine favorable à cette hypothèse reprend toujours la formule énoncée par Monsieur Yves Guyon « la société absorbante succède à la société absorbée comme l’hériter succède au défunt ».
Comme l’héritier en droit des successions, la société absorbante vient au lieu et place de la société absorbée dans toutes ses relations contractuelles. Il en ressort que le droit des sociétés a emprunté au droit des successions ; la disparation de la personne morale absorbée est assimilée à la mort de la personne physique.

Cependant, cette solution est incertaine et laisse la voie de critique ouverte.

II/ La critique : l’assimilation est incompatible avec la nature spécifique de la personne morale.

L’idée de l’assimilation de la transmission du patrimoine de la personne morale à la règle de la succession de la personne physique paraît séduisante mais pas suffisante.
Cette thèse n’a pris en compte la spécificité de chaque domaine de droit. Elle a été critiquée car elle n’est pas parfaitement correcte.

Le mécanisme utilisé en droit des sociétés n’est pas le même qu’en droit des successions. En premier lieu, la cause de la disparition de la personne morale est différente de celle de la personne physique. En droit des sociétés, notamment en matière de fusion, c’est l’absorption d’une société par une autre qui est l’origine de la transmission universelle du patrimoine de la personne morale. En revanche, en droit des successions, c’est le décès qui est l’origine de la transmission universelle du patrimoine de la personne physique. Pour être plus précis, en droit des sociétés, le principe du transfert universel du patrimoine trouve sa cause dans le contrat (le traité de fusion).

Par contre, en matière successorale, la règle de la transmission de patrimoine a son originalité dans la mort du de cujus. C’est, en effet, les parties à l’acte qui décident de mettre fin à l’existence de la personne morale, alors que cette volonté n’a pas lieu lors de la disparition de la personne physique. Or, au contraire de la personne physique, et comme le souligne certains auteurs, « les sociétés sont largement maîtresses de leur propre disparition ».

Ensuite, en droit des sociétés, le patrimoine de la société absorbée est dévolu à la société absorbante en tant qu’ayant cause à titre universel : il ne fait pas l’objet d’une répartition entre les associés de celle-ci. Les associés reçoivent seulement des titres en échange de leurs droits sociaux qu’ils détenaient au sein de la société absorbée.

En revanche, en matière de succession, le patrimoine du défunt fait l’objet d’un partage entre les héritiers et le conjoint.

Il en résulte que l’assimilation de la transmission universelle du patrimoine de la personne morale à la règle de la succession de la personne physique est incompatible avec la nature propre de la fusion et des sociétés participant à l’opération.

Néanmoins, pour concilier ce rapprochement, on peut en conclure que l’assimilation s’arrêt à la transmission universelle du patrimoine. Dans les deux cas, la transmission de patrimoine résulte de l’absorption de la société par la technique de la fusion et aussi du décès du de cujus.

Abdelkarim Osman.