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Mon employeur peut-il me licencier pendant mon arrêt maladie ? Par Clémence Vallois, Avocat.
Parution : mardi 17 octobre 2017
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Lors d’un arrêt de travail de plusieurs semaines voire mois, il est habituel de se demander si son employeur peut valablement mettre fin au contrat de travail.

Il est également habituel qu’une confusion s’opère entre suspension du contrat de travail et protection contre toute mesure de licenciement.

Contrairement aux croyances, parfois légitimes, de nombreux salariés, l’arrêt de travail ne confère pas automatiquement une protection contre la rupture des relations contractuelles par l’employeur.

L’arrêt de travail ne confère pas une protection absolue contre le licenciement. Toutefois, selon l’origine de l’accident ou de la maladie ayant entrainé son arrêt, le salarié peut bénéficier d’une protection relative.

Il convient ainsi de distinguer arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle des autres arrêts, réputés sans lien avec l’exécution du contrat de travail.

L’arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle.

L’arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle protège le salarié en ce qu’il limite les motifs de licenciement pouvant être invoqués par l’employeur.

L’employeur ne peut prononcer le licenciement que dans deux hypothèses :
- le salarié a commis une faute grave ou lourde ;
- il existe une impossibilité objective de maintenir le contrat de travail.

L’impossibilité de maintenir le contrat de travail est interprétée de manière très restrictive par la Cour de cassation.

A titre d’exemples :
- l’existence d’un motif économique n’est pas, en soi, une impossibilité de maintenir le contrat de travail (Cass. soc. 18 févr. 2015, n° 13-21.820) ;
- l’achèvement des tâches pour lesquelles le salarié avait été engagé sur un chantier caractérise l’impossibilité de maintenir le contrat de travail durant l’arrêt maladie (Cass. soc. 8 avr. 2009, n° 07-42.942) ;
- la cessation d’activité de l’entreprise caractérise également l’impossibilité de maintenir le contrat de travail (Cass. soc. 26 sept. 2007, n° 06-43.156).

Les autres motifs de licenciement (insuffisance professionnelle, absence prolongée perturbant le bon fonctionnement de l’entreprise et nécessitant le remplacement définitif du salarié, etc.) ne pouvant être invoqués, le salarié bénéficie d’une certaine protection.

Cette protection relative ne s’applique pas :
- en cas d’accident de trajet ;
- en cas d’accident du travail ou maladie professionnelle survenu ou contracté chez un employeur B ;
- en cas de rechute d’un tel accident ou maladie, sauf à démontrer que la rechute est liée au contrat de travail chez l’employeur A.

L’arrêt de travail d’origine non professionnelle.

Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, l’arrêt de travail, lorsqu’il n’a pas pour origine un accident du travail ou une maladie professionnelle, ne protège pas contre le licenciement.
Les règles classiques régissant le licenciement et sa procédure s’appliquent.
Le licenciement ne doit pas être justifié par l’état de santé du salarié, auquel cas il s’agirait d’une discrimination en raison de l’état de santé, condamnée par l’article L. 1132-1 du Code du travail.

L’employeur pourra toutefois prononcer une mesure de licenciement s’il démontre que l’absence prolongée (ou les absences réitérées) de son salarié désorganise l’entreprise et rend(ent) nécessaires son remplacement définitif (embauche en CDI) : malgré le lien évident (bien qu’indirect) avec l’état de santé du salarié, ce motif de licenciement est parfaitement valable.

Dans un tel cas et en cas de contentieux, nous recommandons de solliciter la communication par l’employeur du registre d’entrée et de sortie du personnel et du contrat de travail du salarié remplaçant.

De manière générale, l’arrêt de travail ne fait pas obstacle au licenciement mais en fragilise souvent le bienfondé :

Exemple 1 : Un licenciement pour insuffisance professionnelle prononcé à l’encontre d’un salarié en arrêt depuis plusieurs mois est « suspect » puisque le salarié ne travaille justement pas au moment où est prise cette décision, et sera vraisemblablement considéré comme abusif par les juridictions prud’homales ;

Exemple 2 : Un licenciement pour faute grave en raison d’une activité ponctuelle, non rémunérée et non concurrente exercée pendant l’arrêt de travail est abusif, même si l’employeur en tire comme conséquence la capacité du salarié à travailler en dépit de son arrêt de travail ;

Exemple 3 : Un licenciement justifié par la désorganisation de l’entreprise du fait de l’absence prolongée du salarié ne sera valable qu’à la condition que le salarié soit définitivement remplacé par un salarié engagé aux mêmes conditions (contrat à durée indéterminée, temps plein etc.).

Le risque pour l’employeur si le motif n’est pas avéré est important car au-delà du caractère abusif du licenciement, le salarié pourrait réclamer la nullité de ce dernier au motif qu’en réalité le contrat de travail a été rompu en raison de sa maladie et qu’il s’agit donc d’une discrimination en raison de l’état de santé.

L’existence d’une telle discrimination permet également d’obtenir des dommages-intérêts supplémentaires qui échappent au plafonnement des indemnités pouvant être accordées par le Conseil de prud’hommes au titre du licenciement abusif suite aux récentes « ordonnances Macron » (Ordonnance n° 2017-1387).

Applications pratiques.

«  Je suis en arrêt de travail depuis plusieurs mois suite à une chute à mon domicile ; mon employeur peut-il me licencier ?  »
Dès lors que cette opération du dos et l’arrêt de travail afférent ne sont pas justifiés par un accident du travail ou une maladie professionnelle, vous ne bénéficiez pas d’une protection particulière contre le licenciement. Le licenciement devra cependant être motivé par une autre raison que votre état de santé.

«  Je suis en arrêt de travail depuis plusieurs mois suite à une opération de la hanche m’empêchant de me rendre sur mon lieu de travail, mais mon employeur est informé de mon retour dans 10 jours : peut-il me licencier ?  »

En soi et comme indiqué ci-dessus, rien n’empêche votre employeur de procéder à un licenciement dès lors que celui-ci n’est pas justifié par votre état de santé.

Toutefois, si votre employeur invoque un licenciement pour remplacement définitif rendu nécessaire par la désorganisation de l’entreprise (causée par votre absence prolongée/vos absences réitérées), le fait qu’il soit informé d’une date de retour déterminée et proche rend ce licenciement très contestable.

«  Je suis en arrêt de travail pour dépression depuis plusieurs semaines à cause de mon travail, mon employeur peut-il me licencier ?  »

Il est important d’avoir à l’esprit qu’une dépression, que vous considérez causée par des conditions de travail contestables :

- n’est en principe pas une maladie professionnelle, sauf à avoir été reconnue comme telle via une procédure très spécifique et complexe ;
- peut être d’origine professionnelle en tant qu’accident du travail, notamment lorsqu’elle fait suite à un évènement brutal et soudain s’étant déroulé sur le lieu et au temps du travail (ex : l’annonce d’une mise à pied conservatoire sur le lieu de travail).

L’appréciation du caractère professionnel est donc indépendante du ressenti et du vécu du salarié et répond à des conditions particulières posées par le Code de la sécurité sociale selon qu’il s’agisse d’un accident ou d’une maladie.

Dès lors que le caractère professionnel de la dépression n’a pas été établi (par une demande de reconnaissance d’une maladie à caractère professionnel ou déclaration d’un accident du travail), vous ne bénéficiez pas d’une protection particulière contre le licenciement, sauf à ce qu’il s’agisse d’une discrimination en raison de l’état de santé.

«  Je suis arrêté suite à un accident du travail qui n’a pas été contesté par mon employeur : suis-je protégé contre toute mesure de licenciement ?  »

Vous bénéficiez d’une protection relative puisque votre employeur ne pourra vous licencier qu’en raison d’une faute grave (ou lourde) ou de l’impossibilité de maintenir votre contrat de travail (hypothèse extrêmement restrictive).

La procédure de licenciement du salarié en arrêt de travail.

La procédure de licenciement reste la même que celle applicable à un salarié qui ne serait pas en arrêt de travail.

Toutefois, l’employeur doit prendre en compte cette circonstance : même si l’arrêt de travail autorise les sorties, le salarié (en tant qu’assuré social) doit être présent à son domicile « de 9 h à 11 h et de 14 h à 16 h » (Code de la sécurité sociale, article R. 323-11-1), sauf si le médecin a coché la case « sans restriction horaire ».

Un salarié convoqué sur ces plages horaires peut donc légitimement solliciter le report de l’entretien préalable à une date ultérieure. Ce report n’est pas de droit et l’employeur peut le refuser.
Cependant, lorsque la demande de report est justifiée par l’interdiction de quitter son domicile, l’employeur devrait l’accepter : à défaut, les juridictions prud’homales constateraient l’impossibilité dans laquelle l’employeur a mis le salarié de se rendre à cet entretien, attitude sans conteste fautive.

En conclusion, l’arrêt de travail ne fait pas obstacle au licenciement du salarié mais constitue une circonstance particulière que l’employeur doit prendre en compte dans sa décision.
En termes de procédure, il existe peu de garanties pour le salarié qui ne pourrait se rendre à l’entretien préalable, sans doute pour éviter que l’employeur ne se trouve « bloqué » face à un salarié sollicitant constamment le report de son entretien préalable.

Fort heureusement les juges prud’homaux veillent à ce que l’employeur n’ait pas agi dans le but d’échapper à cette obligation légale qui se fonde, rappelons-le, sur des principes fondamentaux tels que les droits de la défense et le principe du contradictoire.

Clémence VALLOIS Avocat au barreau de Rouen
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