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L’interdépendance contractuelle à l’aune de la réforme du droit des contrats. Par Sofiane Djeffal.
Parution : mercredi 18 octobre 2017
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La récente réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations instituée par l’ordonnance du 10 février 2016, entrée en vigueur le 1er octobre 2016, est venue tenter de régler le sort des contrats dits interdépendants.

Nous voyons poindre ici ce qui est indistinctement nommé « interdépendance contractuelle », « ensemble contractuels », « contrats liés » ou encore « indivisibilité entre les contrats », terminologies faisant référence à la même notion selon les sensibilités de chacun.

Interdépendance objective appliquée à la location-financière.

Un contentieux s’était développé initialement concernant les opérations de location-financière conclues conséquemment à un contrat principal dont elle est l’accessoire, sans qu’une clause d’indivisibilité ne soit stipulée. C’est ce qui a poussé la Cour de cassation, puis aujourd’hui le législateur, à developper cette notion aux contours flous. Par ces deux arrêts de chambre mixte du 17 mai 2013 (n°11-22.768 ; n°11-22.927), érigé au rang de principe, la Cour de cassation vient consacrer une approche objective de l’interdépendance contractuelle en ce sens qu’elle rend non-écrite la clause contractuelle stipulant la divisibilité des conventions litigieuses. Comme le souligne un auteur, il s’agit d’instituer une « forme d’ordre public de protection du locataire financier » (H. Barbier, RTD civ. 2013. 597).

Cependant, cette jurisprudence de principe cantonne cette appréciation objective de l’interdépendance contractuelle aux locations financière uniquement, sans l’étendre de façon automatique, à des contrats d’autres natures dont les acteurs économique subiraient les mêmes effets. L’attendu le principe de chambre mixte est clair à ce sujet : « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants ; […] sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance ».

Certains auteurs ont pourtant cru voir dans un arrêt du 10 septembre 2015 (n°14-13.65) la consécration d’un principe général d’interdépendance contractuelle. Or, il n’en est rien et cet arrêt relatif à la caducité d’un prêt suite à l’anéantissement d’un contrat de vente, porte l’ « effet subliminal du droit de la consommation » comme le souligne le Professeur Laithier.
La Cour continue d’osciller entre appréciation objective et subjective, selon son bon vouloir, dans les hypothèses où une clause de divisibilité serait stipulée au contrat.

La codification malhabile par le nouvel article 1186 du Code civil.

Parmi les codifications de notions prétorienne qu’a subis le droit des contrats, un nouvel article 1186 al.2 a été inséré au Code civil qui dispose que « Lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie ».
L’alinéa 3 ajoute une condition cumulative qui a son importance, puisqu’il dispose que « La caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement ». L’article ne dit rien concernant la forme de la preuve à apporter quant à la connaissance du contractant de l’ensemble contractuel, ce qui laisse toute la latitude nécessaire à la partie s’en prévalant.

Le législateur codifie la notion prétorienne d’interdépendance contractuelle, posant ainsi une exception au principe de l’effet relatif des contrats figurant à l’article 1199 du Code civil.

Concrètement, il s’agit de réputer caduc par voie de conséquence un contrat attaché à un autre contrat anéanti préalablement. En effet, il est difficile d’imaginer pour un contractant continuer d’exécuter un contrat devenu inutile et onéreux en raison de l’annulation d’un premier contrat lui étant étroitement lié économiquement.

Avec les nouvelles dispositions de l’ordonnance, le législateur ne tranche pas puisque l’on perçoit aisément la codification des deux conceptions. La première partie de l’alinéa 2 optant pour la conception objective tandis que la seconde consacre l’approche subjective.

Le nouveau texte ne tranche pas pour une des deux conceptions afin de mettre fin aux divergences de la chambre commerciale, partisane de la conception objective, et la 1ère chambre civile plutôt subjective.

La caducité érigée en sanction.

Afin de rendre aux dispositions de l’ordonnance ses mérites, il convient de signaler que le nouvel article 1187 du Code civil consacre comme sanction une caducité rétroactive, ce qui est une exception puisque c’était ce qui la différenciait, quant à ses effets, de la résolution, en principe rétroactive.
Ainsi, dès lors qu’une interdépendance contractuelle est reconnue, la caducité prononcée pourra être rétroactive en s’appuyant sur le fondement de l’article 1187 nouveau du Code civil et ainsi provoquer des restitutions.

Par deux arrêts rendus le 12 juillet 2017 (n° 15-23.552 n° 15-27.703), outre le choix de la conception objective la Cour de cassation juge, concernant un ensemble contractuel incluant une location financière, que « la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, sauf pour la partie à l’origine de l’anéantissement de cet ensemble contractuel à indemniser le préjudice causé par sa faute ». Ainsi, la réforme, muette sur une éventuelle responsabilité du cocontractant fautif, laisse aux juges leur pouvoir « créateur » en matière de sanction de la partie fautive. (X. Delpech, Dalloz actu, 26 juillet 2017).

L’on regrettera que les récents arrêts rendu en la matière ne concerne que des contrats incluant une location-financière, ce qui ne nous permet pas de connaître la position de la Haute juridiction concernant les autres contrats.

Au regard de l’interprétation du nouvel article 1186 du Code civil, la Cour de cassation optera t-elle pour une conception objective ou subjective ou continuera t-elle à faire preuve de prudence comme par la passé ? La question est posée, et la réponse appartient aux juges qui devront à l’avenir trancher au regard du nouveau droit en vigueur...

S. Djeffal