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Rupture brutale de relations commerciales : action délictuelle ou contractuelle ? Par Olivier Vibert, Avocat.
Parution : mercredi 18 octobre 2017
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La Cour de cassation appliquant la solution édictée par la Jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne juge que "une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de ce règlement, s’il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite reposant sur un faisceau d’éléments concordants" (Cour de cassation, Ch. Commerciale , 20 septembre 2017 n° 16-14.812)

Une société belge conçoit et fabrique du matériel agricole. Ses produits sont distribués en France par une société française depuis 2003.

La Société Belge met un terme à sa relation commerciale avec son distributeur français 7 ans plus tard.

Le distributeur français assigne le fournisseur belge au titre de la rupture brutale de relations commerciales établies.

La Société belge invoque l’incompétence du juge français et la compétence du juge belge.

Le tribunal de commerce de Paris se déclare compétent.

La Cour d’appel se prononce en faveur de la compétence du juge belge. La Cour d’appel de Paris applique l’article 5 1° du règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000.

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre :

1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ; »

Cette disposition précise ensuite que le lieu d’exécution est :
-  pour la vente de marchandises le lieu où les marchandises devaient être livrées,
-  pour la fourniture de services, le lieu où le service devait être fourni

La Cour d’appel qualifie ainsi le litige comme étant de nature contractuelle.

Le distributeur soutenait que la demande d’indemnisation au titre d’une rupture brutale de relations commerciales était de nature délictuelle faute d’accord cadre ou de contrat entre le fournisseur belge et le distributeur français. Le distributeur souhaitait voir appliquer l’article 5 3° du même règlement pour rattacher le litige au territoire français.

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre : (…)

3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ; »

Selon le distributeur, en l’absence de contrat, la rupture brutale de relations commerciales, faute d’un contrat de distribution, est de nature délictuelle.

La Cour de cassation est saisie de cette question de compétence. Elle est appelée à qualifier la nature du litige.

Le Cour de cassation se réfère expressément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne.

Une demande de rupture brutale de relations commerciales est de nature délictuelle ou quasi délictuelle sauf s’il existait une relation contractuelle tacite.

Il suffit que la relation contractuelle tacite repose sur un faisceau d’éléments concordants, « parmi lesquels sont susceptibles de figurer, notamment, l’existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée ».

La Cour de cassation reprend ainsi mot pour mot la solution retenue par un arrêt de la CJUE du 14 juillet 2016 (Aff. C-196/15), décision rendue à l’occasion d’une question préjudicielle sur la qualification d’une demande d’indemnisation au titre de la rupture brutale de relations commerciales établies au regard du règlement 44/2001.

La Cour de cassation confirme la décision de la Cour d’appel en appliquant les critères fixés par la CJUE.

Plusieurs éléments permettaient de qualifier la relation de contractuelle selon la Cour de cassation :
- des ventes successives de produits par la Société belge au distributeur français pendant 7 ans.
- La distribution par la Société française de ces produits pendant cette même durée

La Cour de cassation applique strictement la solution de la Cour de justice.

La Cour de cassation confirme ensuite la compétence du juge belge car les conditions générales des contrats de vente comportaient une clause « lieu de livraison » précisant que « les marchandises sont censées être livrées à partir de nos magasins avant expédition ».

Cette clause précisait donc que la marchandise était mise à disposition du distributeur, en Belgique, chez le fournisseur. L’application de l’article 5 1° commandait donc de donner compétence au juge belge.

Après plus de deux ans de procédure, retour à la case départ, puisque le distributeur devra réassigner le fournisseur devant les juridictions belges.

Cette décision applique donc la jurisprudence de la CJUE et qualifie de contractuel ce type de contentieux entre un fournisseur et un distributeur.

La nature contractuelle d’un litige fournisseur / distributeur sera quasiment toujours contractuelle au regard des critères retenus par la Cour de cassation dans cette décision : vente pendant plusieurs années de produits destinés à être distribués en France.

Difficile d’échapper avec des critères aussi généraux à l’application de l’article 5 (1) du règlement 44/2001 pour les litiges nés avant le 10 Janvier 2015 ou à l’article 7 (1) du règlement 1215/2012 applicable aux actions engagées après le 10 janvier 2015.

Olivier Vibert Avocat, Paris www.frenchlaw.blog