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Quelques rappels sur la saisie pénale immobilière et la saisie pénale de créances de loyers. Par Matthieu Hy, Avocat.
Parution : vendredi 20 octobre 2017
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Bien que non publiés au Bulletin, deux arrêts en date du 11 octobre 2017 relatifs à la même affaire procèdent à d’intéressants rappels sur les saisies pénales spéciales.

En l’espèce, un bien immobilier appartenant en indivision à un mis en examen, des chefs de vol aggravé en bande organisée, association de malfaiteurs et blanchiment, et à sa sœur, non recherchée au plan pénal, a fait l’objet d’une ordonnance de saisie pénale par le juge d’instruction (Cass.crim, 11 octobre 2017, n°17-80987). Le même magistrat a rendu six ordonnances de saisie pénale de créances de loyers relatives aux six appartements en location composant l’immeuble saisi (Cass.crim, 11 octobre 2017, n°17-80978, 17-80980, 17-80981, 17-80983, 17-80986). Le mis en examen et sa sœur ont interjeté appel de l’ensemble des décisions du juge d’instruction.

S’agissant de la saisie pénale immobilière

En premier lieu, la discussion portait, devant la Chambre de l’instruction, sur le fondement de la mesure. L’hésitation était permise entre l’article 706-150 du Code de procédure pénale, relatif à la saisie immobilière, et l’article 706-148 du même Code, relatif à la saisie de patrimoine. Cette dernière disposition est applicable aux biens confiscables en application des alinéas 5 et 6 de l’article 131-21 du Code pénal, c’est-à-dire aux biens qui ne constituent pas le produit de l’infraction.

Alors que l’article 706-148 du Code de procédure pénale prévoit, en cas de saisie ordonnée par un juge d’instruction, l’avis obligatoire préalable du Procureur de la République, l’article 706-150 du même Code n’y fait pas explicitement référence.

En l’espèce, l’immeuble saisi ne pouvait, compte-tenu notamment de sa date d’acquisition, représenter le produit de l’infraction. Il entrait donc dans les prévisions des deux dispositions s’agissant d’un bien immobilier d’une part, ne constituant pas le produit de l’infraction d’autre part.

Dans ces conditions, pour la Cour de cassation, et contrairement à la position tant de la Chambre de l’instruction que des requérants au pourvoi, les articles 706-148 et 706-150 du Code de procédure pénale étaient cumulativement applicables.

En deuxième lieu, la Cour de cassation rappelle la règle posée à l’article 706-151, alinéa 2, du Code de procédure pénale, particulièrement préjudiciable au co-indivisaire du mis en examen, selon laquelle un bien immobilier n’est saisissable qu’en totalité.

En troisième lieu, tout en approuvant la Chambre de l’instruction d’avoir estimé que la saisie immobilière ne portait pas atteinte au droit de propriété du tiers indivisaire, la Cour de cassation paraît apporter une nuance d’importance en soulignant que « la requérante n’a pas explicité en quoi cette saisie porterait une atteinte disproportionnée à son droit de propriété ». De son côté, la Chambre de l’instruction affirmait que la saisie immobilière était une mesure conservatoire qui n’entraînait pas transfert du droit de propriété et ne portait donc pas atteinte au tiers indivisaire. Si la nuance est subtile, alors que la Chambre de l’instruction paraît affirmer que la saisie pénale, du fait de sa nature conservatoire, ne peut en aucun cas porter au droit de propriété du tiers indivisaire, la Cour de cassation semble rappeler qu’une saisie, bien que n’ayant pas les effets d’une confiscation, est susceptible de porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété (déjà en ce sens : Cass.crim, 4 mai 2017, n°16-87330). Naturellement, pour que l’atteinte soit considérée comme disproportionnée, encore faut-il que la personne dont le bien est saisi le démontre.

S’agissant de la saisie pénale de créances de loyers

En premier lieu, la Cour de cassation admet que puissent être saisies, sur le fondement de l’article 706-155 du Code de procédure pénale, des créances de loyers. Elle rejette l’argumentation des requérants qui faisaient valoir que, s’agissant des créances ayant pour objet une somme d’argent non exigibles, l’article 706-155 du Code de procédure pénale n’envisage que la saisie des « créances conditionnelles ou à terme » et non celle des « créances à exécution successive » que sont les créances de loyers.

En deuxième lieu, la Cour de cassation confirme que les sommes d’argent résultant des loyers ne pouvant évidemment pas constituer le produit de l’infraction, l’article 706-148 du Code de procédure pénale instituant l’avis obligatoire préalable du ministère public est applicable.

En troisième lieu, il convient de relever qu’en l’espèce, la Chambre de l’instruction avait partiellement infirmé les ordonnances de saisies de créances de loyer en limitant la saisie des loyers à la moitié du montant mensuel. La Cour de cassation ne se prononce pas sur cet élément mais l’arrêt donne l’occasion de constater que contrairement à la saisie pénale immobilière qui répond au principe du tout ou rien, la saisie de créances de loyers peut n’être que partielle, ce qui facilite le respect du principe de proportionnalité de l’atteinte au droit de propriété.

Matthieu Hy Avocat au Barreau de Paris www.matthieuhy.com [mail->contact@matthieuhy.com]