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Le droit de rétention de l’avocat postulant. Par Dimitri Seddiki.
Parution : mardi 24 octobre 2017
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La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques – ou « loi Macron » – a assoupli le régime de la postulation de l’avocat sur deux points essentiels : le champ géographique d’intervention de l’avocat postulant ainsi que la nature de sa rémunération. Le décret n°2017-862 du 9 mai 2017 complète ladite loi en étendant notamment à l’avocat le droit de rétention appartenant autrefois à l’avoué.

Rappel sur les modifications apportées par la loi Macron.

En premier lieu, la loi Macron a modifié l’article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 pour élargir les possibilités de postulation non plus au seul « tribunal de grande instance dans le ressort duquel [l’avocat a établi sa] résidence professionnelle » mais à « l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de cour d’appel dans lequel [il a] établi [sa] résidence professionnelle et devant ladite cour d’appel ».
Ainsi, avant le 1er août 2016, un avocat inscrit au barreau de Valenciennes ne pouvait exercer son activité que devant le tribunal de grande instance de ladite ville alors que, désormais, il pourra également exercer tous les actes de sa profession devant les tribunaux de grande instance dépendant de la cour d’appel de Douai, soit Lille, Douai, Cambrai ou encore Avesnes-sur-Helpes, et ce sans avoir à recourir obligatoirement à un confrère postulant.

En second lieu, la loi Macron a modifié l’article 10 alinéa 1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 qui prévoit désormais que « les honoraires de postulation [...] sont fixés en accord avec le client », supprimant ainsi le principe de rémunération de l’avocat postulant sur la base d’émoluments (rémunération faisant l’objet d’un tarification officielle). Il est toutefois à noter que l’anachronisme de la tarification officielle avait déjà poussé les avocats postulants à solliciter du client du dominus litis (l’avocat chargé de l’affaire) des honoraires, et ce alors même que la loi imposait un tarif précis et qu’il n’existait généralement aucun lien contractuel entre le client et le postulant...

Sur un plan pratique, et selon l’article L.441-3 du Code de commerce, le tarif de chaque prestation sera arrêté conjointement par les ministres de la justice et de l’économie et « révisé au moins tous les cinq ans ».

Au 23 octobre 2017, l’arrêté de fixation des tarifs n’avait pas encore été publié.

Les limites de la réforme

Tant sur l’aspect géographique que la question de la rémunération de l’avocat postulant, la loi Macron laisse subsister des exceptions.

En effet, aussi bien l’article 5 (pour l’aspect territorial) que l’article 10 (pour la rémunération) de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 excluent de la réforme les procédures suivantes : les saisie immobilière, de partage et de licitation, ni au titre de l’aide juridictionnelle, ni dans des instances dans lesquelles ils ne seraient pas maîtres de l’affaire chargés également d’assurer la plaidoirie.

Ainsi, dans ces domaines, non seulement l’avocat ne peut accomplir des actes de procédure seul que devant le tribunal de grande instance dont dépend le barreau où il est inscrit mais il reste tenu, de surcroît, de ne solliciter que des émoluments faisant l’objet d’une tarification officielle, tout honoraire étant alors exclu.

Le domaine (lui aussi limité) du droit de rétention de l’avocat postulant.

Schématiquement, le droit de rétention, envisagé par l’article 2286 du Code civil, permet au créancier de refuser de restituer au débiteur la chose appartenant à ce dernier tant que la dette n’est pas payée.

L’interdiction de principe faite à l’avocat de se prévaloir de cette sûreté est généralement fondée sur les dispositions de l’article 9.2 du règlement intérieur national de la profession d’avocat (RIN) qui prévoit : « L’avocat dessaisi, ne disposant d’aucun droit de rétention, doit transmettre sans délai tous les éléments nécessaires à l’entière connaissance du dossier ».
Déduire une interdiction générale de cet article visant spécifiquement l’hypothèse d’une succession d’avocats dans un même dossier n’a pourtant rien d’évident...

Il n’en reste pas moins que le décret du 9 mai 2017 a pris le soin de modifier l’article R.444-15 du Code de commerce pour accorder à l’avocat – comme à l’avoué autrefois – un droit de rétention « pour garantir le paiement des tarifs régis par le présent titre, et, le cas échéant, le remboursement des frais et débours ».

Il est donc essentiel de constater que le droit de rétention est exclu s’agissant de recouvrer des honoraires : seuls sont concernés les émoluments prévus dans les quatre procédures susvisées ainsi que les frais et débours induits.

L’article R.444-75 du Code de commerce limite toutefois l’ « effet gênant » inhérent à l’usage d’un droit de rétention en prévoyant que lorsque l’avocat « exerce son droit de rétention sur les actes qu’il a faits, sur les pièces qui lui ont été remises pour soutenir le procès ou les titres qu’il s’est procurés au cours de la procédure, la communication de ces actes, pièces ou titres à tout officier public ou ministériel mandataire de la partie doit toujours être faite à titre provisoire, lorsqu’un intérêt légitime est reconnu par le bâtonnier de l’ordre des avocats près le tribunal de grande instance concerné. Il appartient à l’officier public ou ministériel mandataire de la partie de rétablir ces actes, pièces ou titres aux mains de l’avocat lorsqu’ils ne lui sont plus nécessaires ».

Reste surtout la question de l’articulation entre le droit de rétention prévu par l’article R.444-15 du Code de commerce et l’interdiction de ce même droit faite par le RIN en cas de succession d’avocats. Quelle est la règle la plus spéciale ? Celle envisageant une rémunération tarifée et ouvrant ce droit ou celle visant une succession d’avocats dans un même dossier ?

Dimitri Seddiki