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Une entreprise peut-elle fouiller dans la vie de son (futur) salarié ? Par Clémence Vallois, Avocat.
Parution : jeudi 26 octobre 2017
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La mode est aux « background checks » aux Etats-Unis et les entreprises ne s’en cachent pas : outre-Atlantique, les candidats et salariés se voient remettre des questionnaires sur leurs antécédents, professionnels certes, mais aussi criminels et personnels : les questions fusent, de l’identité du précédent employeur à des questions beaucoup plus intrusives telles que « trompez-vous votre conjoint ? ».

Si de tels extrêmes ne sont pas encore à déplorer en France, il n’en reste pas moins que l’implantation de grandes sociétés américaines sur le territoire national entraine une prolifération des « background checks », autrement dit de la recherche des antécédents des candidats et salariés.

Trois questions : Cela est-il légal ? Quelles sont les limites à cette pratique ? Quelles conséquences l’employeur pourra-t-il tirer des résultats de ces investigations ?

Deux méthodes : demander à l’intéressé ou se renseigner à son insu. La seconde est bien sûr à éviter.

Deux situations : celle du candidat d’une part, celle du salarié en poste d’autre part.

La vérification d’antécédents du candidat

Certains recruteurs tentent d’obtenir les informations recherchées à l’insu du candidat : cela est fortement déconseillé, les recherches et le recrutement devant être régis par le principe de loyauté. En outre, la recherche de certaines informations, telles que la recherche d’antécédents judiciaires, passe nécessairement par le candidat pour des raisons pratiques, celui-ci étant le seul à pouvoir faire la demande d’un extrait de casier judiciaire.

Restent alors la possibilité de « fouiller » par le biais de questions, de plus en plus souvent posées via un formulaire à remplir par le candidat.

La loi encadre expressément les questions pouvant être posées : « Les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, au candidat à un emploi ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles. Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé ou avec l’évaluation des aptitudes professionnelles ». (C. trav. art. L. 1221-6)

Concernant la manière de collecter ces informations, le candidat doit être expressément informé, au préalable, des méthodes et techniques d’aide au recrutement utilisées à son égard, étant précisé que les résultats obtenus seront confidentiels. (C. trav. art. L. 1221-8)

Aucune information le concernant personnellement ne pourra être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance (C. trav. art. L. 1221-9).

Enfin, le comité d’entreprise devra être informé, préalablement à leur utilisation, sur les méthodes ou techniques d’aide au recrutement des candidats à un emploi ainsi que sur toute modification de celles-ci (C. trav. art. L. 2323-47). Il est aussi informé, préalablement à leur introduction dans l’entreprise, sur les traitements automatisés de gestion du personnel et sur toute modification de ceux-ci. (C. trav. art. L. 2323-47)

Il convient donc, pour chaque question que l’employeur envisage de poser au candidat et pour chaque information qu’il tente d’obtenir, de s’interroger systématiquement de la manière qui suit :
- Cette information permet-elle de déterminer si le candidat est objectivement fait pour ce poste ?
- La question posée a-t-elle un lien direct avec l’emploi proposé ou les aptitudes professionnelles requises pour occuper ce poste ?
- Cette information est-elle indispensable pour décider du recrutement du candidat à ce poste précis ?

Ainsi, s’il est possible de demander la production des diplômes dont le candidat fait mention dans son curriculum vitae, il n’apparait pas justifié de demander la production d’un diplôme sans rapport avec le poste à pourvoir.

Autre exemple : il est possible de demander à un candidat son précédent contrat de travail s’il s’agit de vérifier l’absence de clause de non-concurrence, afin d’éviter une action en responsabilité du précédent employeur en cas d’embauche.

Toute question sans rapport avec le poste à occuper ou les qualités professionnelles objectives à avoir pour occuper ledit poste doit purement et simplement être oubliée.

Il n’apparait ainsi pas possible de demander à un candidat à un poste d’assistant s’il fume, à un travailleur sédentaire s’il a son permis de conduire, à un caissier s’il est sous le coup d’une procédure de surendettement, à un juriste s’il a déjà utilisé des stupéfiants etc.

Au-delà du manque de pertinence de la question qui n’a pas de lien direct et nécessaire avec le poste à occuper et/ou les qualifications nécessaires pour ce faire, d’autres questions sont purement et simplement à proscrire en raison du principe de non-discrimination.

Ainsi, il n’apparait pas possible de demander (bien que cela puisse souvent être tentant pour un recruteur…) :
- à une hôtesse de l’air si elle est mariée ou souhaite avoir des enfants ;
- à un manutentionnaire s’il a une appartenance syndicale ;
- à un juriste quel est son bord politique ;
- à un informaticien quel est son état de santé ; etc.

Au contraire, certaines professions justifient des recherches plus poussées soient effectuées, à titre de précautions particulières à prendre avant le recrutement d’un candidat. L’exemple le plus parlant est celui des entreprises de surveillance, de gardiennage et de transport de fonds (voir not. Code de la sécurité intérieure, art. L. 612-1) : le candidat ne doit pas avoir fait l’objet, entre autres, d’une condamnation à une peine correctionnelle ou criminelle figurant au bulletin n° 2 de son casier judiciaire, ou encore avoir commis des actes contraires à la probité ou aux bonnes mœurs. (Code de la sécurité intérieure, art. L. 612-7 ; anciennement L. n° 83-629, 12 juill. 1983, art. 6, JO 13 juill.) A défaut, le candidat ne pourra pas obtenir l’agrément nécessaire pour exécuter ses fonctions : dès lors, il existe un lien direct et nécessaire entre le poste à pourvoir et la demande de production d’un extrait de casier judiciaire. (Étant précisé que le bulletin n° 2 n’est accessible que par certaines administrations)

Les conséquences du refus de répondre

En l’absence de lien direct et nécessaire avec le poste à occuper et/ou les qualités professionnelles requises, le candidat est en droit de refuser de répondre.
En cas de doute sur la légitimité de la question, il est conseillé de refuser de répondre, quitte à ne pas être recruté, plutôt que de se faire engager sur un mensonge.
En effet, si les questions posées ou informations sollicitées par l’entreprise remplissent les conditions rappelées en début d’article, alors le candidat doit en principe y répondre. Cette réponse devra alors être honnête.

Par exemple, le salarié qui, à trois reprises, avait volontairement dissimulé la réalité de sa situation professionnelle en faisant croire qu’il avait été précédemment engagé par une entreprise dont l’activité consistait dans la vente de produits correspondant à la spécialisation de son futur employeur, a commis une faute qui justifie son licenciement. En effet, cette prétendue expérience professionnelle avait été déterminante pour l’employeur dans le recrutement et le salarié ne s’était pas contenté de garder le silence, mais avait réellement mis en œuvre des manœuvres dolosives ayant pour but de tromper le recruteur. (Cass. soc. 25 nov. 2015, n° 14-21.521)

La recherche auprès des précédents employeurs

La seconde méthode consiste à se renseigner directement auprès des précédents interlocuteurs du candidat, qu’il s’agisse d’écoles, d’universités, d’associations ou autres.
Nombreux pourraient être tentés d’appeler ainsi le(s) précédent(s) employeur(s) d’un candidat afin de vérifier les dires de ce dernier lors de l’entretien, d’avoir un « feedback » dudit candidat ou tout simplement de vérifier la réalité de l’expérience professionnelle figurant au curriculum vitae de la personne qui se tient en face du recruteur.

Cette méthode n’est pas illicite mais il conviendra (i) d’informer le candidat au préalable, (ii) de lui demander quelle est la personne la mieux placée chez son ancien employeur pour évoquer cette précédente expérience (l’idée étant ici d’éviter de prendre des références auprès de quelqu’un n’ayant pas effectivement travaillé avec le candidat ou n’étant pas en position d’évaluer ses prestations).

Les risques relatifs aux « background checks » dans le cadre d’un recrutement

Le recruteur n’ayant pas, en principe, à motiver son refus d’embaucher tel ou tel candidat, le risque est peu présent en pratique.

Le principal risque est celui d’une condamnation pour discrimination à l’embauche : le scénario est assez simple, bien que peu courant : un candidat, mécontent d’avoir vu sa candidature écartée, à tort ou à raison, agit en justice, estimant que ce refus d’embauche n’est pas fondé sur ses compétences professionnelles, mais sur son âge, son sexe, son origine ethnique, etc.

Devant le Conseil de prud’hommes, la charge de la preuve étant aménagée en matière de discrimination, il appartiendra au recruteur (bien qu’en défense) de démontrer que le refus d’embauche n’était pas lié au facteur avancé par le candidat, en justifiant par exemple avoir embauché un candidat avec plus d’expérience, un diplôme plus élevé/pertinent, etc..

Et une fois que le salarié est en poste ?

Les règles sont les mêmes : toute information/question doit avoir un lien direct et nécessaire avec le poste occupé et/ou les qualités professionnelles nécessaires.

Toutefois, en pratique, il est plus risqué de procéder à de telles « investigations » concernant un salarié qu’un candidat : le recruteur n’a pas à motiver sa décision de ne pas engager ce dernier. Dès lors, le risque de contentieux est faible, sauf à ce que le candidat suspecte une discrimination, comme expliqué ci-dessus.

Concernant un salarié, le risque est plus élevé, car l’employeur est réputé connaître le salarié qu’il a embauché et avec qui il travaille.

En conséquence, la recherche d’antécédents, les questions posées et informations sollicitées, seront nécessairement moins cohérentes et opportunes au regard de l’objectif poursuivi. En outre, la décision de sanctionner ou licencier le salarié en raison des résultats de cette recherche devra, elle, être motivée.

Les risques sont donc plus présents concernant un salarié qu’un candidat, mais ils sont aussi plus élevés en termes financiers : en effet, si l’employeur a notifié une sanction ou un licenciement en raison du résultat de recherches sur les antécédents professionnels ou la vie privée d’un salarié, et que ces recherches ne remplissent pas les conditions rappelées ci-avant, alors la sanction/le licenciement sera nul ou abusif selon sa motivation.

Si des recherches ou informations tirées de la vie privée du salarié ont fondé une telle sanction ou licenciement, celui-ci pourrait également solliciter des dommages-intérêts additionnels pour violation du droit au respect de la vie privée (C. civ. art. 9 ; CEDH, art. 8).

L’exception à cette règle reste, conformément à une jurisprudence constante, le grief tiré de la vie privée, certes, mais qui cause un trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise. Reste que l’employeur devra avoir « découvert » ledit grief par un moyen loyal ou de manière fortuite.

En conclusion, la législation et jurisprudence tant française qu’européenne, par le biais de la CEDH, devrait permettre d’éviter l’écueil que représente les « background checks  » à l’américaine avec tous ses excès. Il convient toutefois de rester vigilant à toute dérive en gardant à l’esprit la lettre de l’article L. 1221-6 du Code du travail.

Clémence VALLOIS Avocat au barreau de Rouen