Village de la Justice www.village-justice.com

Un Directeur Exécutif de Ernst & Young obtient 166 000 euros en appel pour travail dissimulé, harcèlement moral et résiliation judiciaire. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : jeudi 26 octobre 2017
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/directeur-executif-ernst-young-obtient-166-000-euros-appel-pour-travail,26284.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Cet arrêt de la cour d’appel de Versailles du 12 octobre 2017 (CA Versailles, 11 ch. 12 oct. 2017) illustre qu’une société ne peut pas utiliser une « méthode de harcèlement » pour faire signer une rupture conventionnelle à un salarié.
En outre, le Directeur Exécutif avait été contraint de travailler (sans être déclaré) pour la société de Conseils avant le début d’exécution de son contrat de travail ce qui lui permet d’obtenir en appel une indemnité pour travail dissimulé.
Enfin, il obtient la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour ces 2 griefs.

Par contrat de travail à durée indéterminée du 12 octobre 2012, à effet du 19 novembre 2012, repoussé au 7 janvier 2013 par avenant, la société ERNST, YOUNG ET ASSOCIES a embauché M. X en qualité de directeur exécutif.
M. X percevait une rémunération fixe de 15 000 euros bruts par mois à laquelle s’ajoutait une rémunération variable.

Au cours du mois de mars 2014, les parties ont eu des entretiens pour évoquer la rupture conventionnelle du contrat de travail.
Lors du second entretien du 13 mars 2014, M. X a refusé la rupture conventionnelle.

Le 14 mars 2014, la société ERNST, YOUNG ET ASSOCIES a convoqué M. X à un entretien préalable à son éventuel licenciement.
Le 17 mars 2014, M. X a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre de sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail.

L’entretien préalable au licenciement a eu lieu le 25 mars 2014 en présence de M. A P qui a assisté le salarié.
La société ERNST, YOUNG ET ASSOCIES a notifié à M. X son licenciement pour insuffisance professionnelle le 4 avril 2014.

M X a été dispensé d’effectuer son préavis ; qu’il a quitté l’entreprise le 4 juillet 2014.

1) Sur la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail :

M X demande à la cour de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société ERNST, YOUNG ET ASSOCIES qui :
- l’aurait fait travailler de manière dissimulée avant son embauche et mis à l’écart par la suite ;
- aurait employé des méthodes de harcèlement moral pour qu’il accepte une rupture conventionnelle, appliqué de manière illicite sa convention de forfait annuel en jours et omis de contrôler sa charge de travail ;
- lui aurait fait réaliser des heures supplémentaires sans respecter les dispositions légales relatives au contingent annuel des heures supplémentaires, à la durée quotidienne maximale du temps de travail et au repos quotidien.

La société ERNST YOUNG ET ASSOCIES s’oppose à la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail.

S’agissant du travail non payé, que M X devait initialement intégrer la société ERNST YOUNG ET ASSOCIES le 19 novembre 2012.

Sur la demande de M X, la société ERNST YOUNG ET ASSOCIES a accepté de différer son arrivée au 7 janvier 2013 pour lui permettre de terminer des dossiers qu’il avait en cours chez son ancien employeur, la société A.

La société ERNST YOUNG ET ASSOCIES conteste avoir fait travailler M X avant qu’il ne commence son travail le 7 janvier 2013.

Il ressort néanmoins des courriels versés aux débats par M X que la société ERNST YOUNG ET ASSOCIES représentée par Mme D. avait demandé avec insistance à M X de participer à un appel d’offres organisé par la Banque N.

Que sur sa demande, il lui a remis des éléments de travail notamment le « slide » qu’il avait réalisé pour présenter des exemples de gains ; qu’il lui avait proposé de relire le slide qui devait être retravaillé ainsi que d’avoir un échange (call) rapide en cas de besoin ; que toujours sur sa demande, le 26 novembre 2012, il a participé par téléphone à l’oral voulu par la banque N. qui organisait l’appel d’offres ; que Mme D l’a remercié pour sa prestation et lui a demandé de la poursuivre le 20 décembre 2012 en lui produisant une « mini analyse de benchmark » ;

La société ERNST YOUNG ET ASSOCIES a reconnu dans ses conclusions la participation de M X à l’appel d’offres mais en la minimisant.

La cour d’appel relève que la société ERNST YOUNG ET ASSOCIES ne saurait valablement tirer argument du fait que M X se montrait de façon peu visible lors de l’échange du 26 novembre 2012 alors qu’il était censé travailler pour un autre employeur qu’elle-même.

Elle ajoute qu’elle ne saurait davantage opposer utilement au salarié que le travail d’étude qu’il avait fourni était peu important dès lors qu’il est établi par des courriels qu’elle a insisté auprès de M X pour qu’il accomplisse ce travail ; qu’elle lui a laissé la liberté de sélectionner à sa convenance les données qui lui semblaient les plus opportunes ; qu’elle est revenue auprès de lui pour qu’il réalise une petite étude supplémentaire après être restée en compétition avec une autre société seulement.

La société ERNST YOUNG ET ASSOCIES fait valoir que M X pouvait refuser ses demandes ce qu’il avait d’ailleurs fait en refusant de se déplacer à Paris les 22 et 26 novembre 2012 et qu’il n’établit pas avoir été placé sous l’autorité hiérarchique de Mme D. qui s’adressait toujours à lui en des termes courtois qui ne siéent pas à des relations hiérarchisées.

Il sera rappelé que M X allait intégrer les effectifs de la société ERNST YOUNG en qualité de Directeur Exécutif ; que la société tenait à sa venue puisqu’elle avait accepté de différer la date de son arrivée ; que les demandes qu’elle lui avait adressées sur la période comprise entre le 10 novembre et le 31 décembre 2012 montrent qu’elle l’impliquait directement dans un dossier qu’elle prévoyait de lui confier ; que M X n’a pas participé à la procédure d’appel d’offres « pour se familiariser avec les méthodes de travail de la société ».

Il lui a été demandé d’intervenir notamment compte tenu de son expérience et parce que les équipes étaient en congé.

La cour d’appel conclut qu’il est établi que la société ERNST YOUNG ET ASSOCIES n’a pas payé de salaire à M X pour ses prestations.

2) Sur le harcèlement moral et la conclusion d’une rupture conventionnelle

Considérant que M X reproche à la société ERNST YOUNG ET ASSOCIES :
- d’avoir constitué un dossier contre lui depuis le 3 février 2014 en vue de son licenciement ;
- d’avoir exercé des pressions sur lui pour qu’il accepte une rupture conventionnelle contre le paiement d’une indemnité de 48 000 euros - soit l’équivalent de l’indemnité compensatrice de préavis à laquelle il aurait eu droit - notamment en refusant qu’il soit assisté par un représentant syndical lors des entretiens organisés pour organiser la rupture conventionnelle ;
- de l’avoir convoqué le lendemain du jour où il a refusé toute rupture conventionnelle à un entretien préalable à son licenciement.

Ces éléments pris dans leur ensemble font présumer un harcèlement moral.

La société ERNST YOUNG fait valoir que M X ne pouvait être accompagné par un tiers à des entretiens organisés pour faire un point sur sa situation professionnelle.

Après le premier entretien du 10 mars 2014, la société ERNST YOUNG avait pris la décision de rompre le contrat de travail de M X.

Souhaitant parvenir rapidement à une rupture conventionnelle elle a convoqué dès le 11 mars à 9h15 M X chez M DE B., partner en charge des ressources humaines.

Prenant en compte la demande de M X de disposer d’un délai de réflexion, elle l’a convoqué de nouveau le 13 mars 2013 mais sans lui permettre d’avantage d’être assisté d’un salarié titulaire d’un mandat syndical ou d’un salarié membre d’une institution représentative du personnel ; qu’au même moment, M DE B. était assisté par M D., responsable des ressources humaines du département FSO.

Contrairement à ce que soutient la société ERNST YOUNG ET ASSOCIES il n’existait aucune raison légitime pour refuser que M X soit assisté lors des entretiens des 11 et 13 mars 2013.

En conséquence que l’absence de paiement de salaire et le harcèlement moral constituent des manquements suffisamment graves pour justifier la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de M X sans qu’il soit besoin d’examiner les autres manquements invoqués.

La cour d’appel décide que résiliation produit les effets d’une rupture abusive du contrat de travail.

3) Sur la demande en paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

Le préjudice subi du fait du harcèlement moral sera réparé par l’octroi de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.

4) Sur la demande en paiement de l’indemnité pour dissimulation d’emploi

Sur le fondement de l’article L 8223-1 du Code du travail, la dissimulation d’emploi sera réparé par l’octroi d’une indemnité de 90 000 euros.

5) Sur la demande de rappel de salaire

Le salaire de base brut de M X était de 15 000 euros bruts.

La cour dispose des éléments d’appréciation pour évaluer à 50 heures le travail effectué par M X entre le 10 novembre et le 31 décembre 2012.

La somme de 3 461,50 euros en brut lui est due au titre des salaires ainsi que celle de
346,15 euros en brut au titre des congés payés.

6) Sur la convention de forfait en jours

Le Directeur Exécutif soulève l’illicéité de la convention de forfait en jours qui lui est appliquée.

Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles ;

Les dispositions de l’article 8.1.2.5 de la convention collective nationale des cabinets d’experts-comptables et de commissaires aux comptes du 9 décembre
1974 ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé de celui-ci ; que dès lors la convention de forfait en jours appliquée à M X est nulle.

Au surplus que la société ERNST YOUNG ET ASSOCIES, qui fait état de deux entretiens organisés avec M X au cours de la période du 7 janvier 2013 au 4 avril 2014 ne justifie pas avoir expressément évoqué sa charge de travail liée au forfait jours, au cours des entrevues.

Dès lors que la société ERNST YOUNG ET ASSOCIES ne démontre pas avoir respecté son obligation de contrôle régulier de la charge de travail de M X alors même que celui-ci dans un courriel du 15 mai 2013 dénonçait sa surcharge : « je suis sur tous les points portés à ma connaissance, malheureusement je ne peux pas tout faire et être partout en même temps même si je travaille 17 heures par jour ».

7) Sur les heures supplémentaires

M X affirme avoir accompli 1 072 heures supplémentaires entre le 7 janvier 2013 et le 4 avril 2014.

Considérant qu’à l’appui de sa demande, M X se prévaut : du courriel précité du 15 mai 2013, du projet Banque Postale qui avait été identifié comme comportant le risque d’une charge trop importante de travail dès le comité de pilotage du 15 mai 2013, du fait que ce projet entraînait plus de 60 réunions certains mois lesquelles demandaient des préparations qui s’ajoutaient à son travail quotidien, des courriels qu’il a envoyés tard et très tôt le matin ainsi que des week-ends et jours fériés, et, de son agenda électronique.

Il réclame le paiement de la somme de 210 672,21 euros bruts au titre des heures supplémentaires impayés outre celle de 21 067,22 euros bruts au titre des congés payés incidents ;

Du fait de ses fonctions, M X disposait d’une autonomie pour organiser son travail ; que l’heure d’envoi des courriels est insuffisante pour établir un travail effectif d’autant que la société ERNST YOUNG avait mis en place un système déclaratif et que le salarié n’y avait pas inscrit d’heures supplémentaires puisqu’il déclarait :

- pour l’exercice fiscal 2013 (allant du mois de juillet 2012 au 30 juin 2013) : 450 heures « chargeables » c’est à dire des heures de travail effectif facturables au client, 366 heures « authorized project » c’est-à-dire des heures d’activité professionnelle mais non facturables au client et 128 heures de disponibilité c’est-à-dire des heures qui ne se rapportent pas à une activité professionnelle précise soit un total de 944 heures ;

- pour l’exercice fiscal 2014 (allant du mois de juillet 2013 au 30 juin 2014) : 858 heures chargeables, 446 heures « authorized project » et 124 heures de disponibilité soit un total de 1428 heures de travail ;

La société ERNST YOUNG affirme que les 128 et 124 heures de disponibilité sont des heures pendant lesquelles, M X n’a pas exécuté de travail effectif.

Si M X n’avait pas travaillé pendant 252 heures courant 2013 et
4 mois en 2014, la société ERNST YOUNG n’aurait pas manqué de le lui reprocher ;

La cour retient que M X a travaillé 944 heures en 2013 et 1428 heures en 2014.

Il s’ensuit que sur la base d’un temps plein, M X n’a pas déclaré avoir effectué
des heures supplémentaires.

En conséquence que la demande en paiement des heures supplémentaires est rejetée.

8) Sur la demande en paiement de la somme de 1 237 900 euros à titre de prime individuelle de performance :

L’article 5 du contrat de travail prévoit le versement éventuel d’une prime individuelle en fonction des performances du salarié au cours de l’exercice écoulé.

Le versement de la prime est laissé à la libre appréciation de l’employeur.

L’article 5 alinéa 3 du contrat de travail impose que le salarié soit présent dans l’entreprise au moment du versement de la prime.

Au mois d’août 2014, soit deux mois après la clôture de l’exercice, M X n’était pas éligible au versement de cette prime.

La cour d’appel considère que la demande de M X ne peut prospérer.

En conclusion, dans son arrêt du 12 octobre 2017, la cour d’appel de Versailles octroie au salarié, Directeur Exécutif les sommes suivantes :
- 3 461,50 euros bruts à titre de rappel de salaire,
- 346,15 euros bruts au titre des congés payés incidents,
- 90 000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article L 8223-1 du Code du travail,
- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- 68 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,
- 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum