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Marché du droit : le poids économique d’une filière en pleine croissance.
Parution : vendredi 27 octobre 2017
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Que vaut la filière du droit ? C’est concrètement ce qu’a souhaité mettre en lumière l’Observatoire des acteurs économiques du marché du droit, avec sa première étude intitulée « L’industrie du droit est-elle en marche ? », réalisée par EY Avocats et l’Université Paris 2 Panthéon Assas. Elle fait ainsi un état des lieux général, en englobant les nombreux métiers qui y sont rattachés, mettant à plat les données disponibles. Les premiers constats sont positifs, et ouvrent aussi de nombreuses pistes de réflexion.

Une filière pesant 31,1 milliards d’euros

Stéphane Baller, avocat associé cher EY Avocats, et Bruno Deffains, professeur à Paris 2 [1], en partenariat avec l’AFJE et Le Cercle Montesquieu, ont ainsi présenté mercredi 18 octobre la première partie de cette étude, consacrée à l’activité générale de la filière. La seconde, consacrée à l’actualité des legaltech, sera présentée lors du Village de la Legaltech le 7 décembre prochain.

Pour faire ressortir des chiffres significatifs, les observateurs ont adopté une « approche de comptabilité nationale, explique Stéphane Baller. Nous sommes partis du microéconomique pour donner une impression macroéconomique. » De nombreux secteurs sont soumis à cette logique, étonnamment pas la justice. « Nous pallions les défaillances d’un système public qui aurait les moyens de le faire. »

Les chiffres sont importants : les contributions économiques de la filière du droit sont ainsi estimées à 31,1 milliards d’euros. Elle représente également 431 820 emplois directs identifiés, comprenant :
- le secteur concurrentiel (44%) : juristes d’entreprise, avocats, CPI, éditeurs, prestataires de service, communicants, conseil et legaltech, et univers des experts comptables,
- les professions relevant du tarif réglementé (17%) : notaires et huissiers,
- l’ordre administratif et judiciaire (34%),
- les autorités indépendantes (1,7%),
- l’enseignement (3%).

« La filière est en croissance, dynamique, créatrice de valeur et d’emplois, avec un véritable poids économique » confirme Stéphanie Fougou, présidente de l’AFJE. En regardant par exemple le secteur concurrentiel, on constate ainsi les chiffres importants que représentent non seulement les emplois directs mais les fonctions supports qui soutiennent leurs activités.

Connaître son marché pour anticiper

« Toute approche économique suppose une analyse de marché » soutient Bruno Deffains. Et tout l’enjeu de cette analyse économique, et donc de marché, est de pouvoir anticiper son évolution et donc déterminer les orientations à mettre en place. L’étude montre ainsi que « l’offre de droit crée sa propre demande », et qu’il s’agit « d’une activité et d’un service de confiance », au même titre que la santé. Des informations qu’il faut prendre en compte lorsque l’on travaille dans cette filière du droit, et qui manquent très souvent aux juristes.

Par exemple, « on ne dit pas aux avocats qu’ils doivent connaître le marché dans lequel ils travaillent » souligne Stéphane Baller. Cette approche est pourtant nécessaire pour savoir où l’on met les pieds, et anticiper les changements à opérer au fur et à mesure dans son approche, son offre et sa concurrence. « Pour l’instant, les avocats n’ont pas véritablement de legaltech en face d’eux, mais ça monte. »

Du côté des juristes d’entreprise, on constate une croissance sur plusieurs volets : si les budgets sont stables, les équipes sont en hausse, et les fonctions dérivées du droit finalement prises en charge par les directions juridiques, se multiplient. Une charge importante pour les départements, mais aussi une opportunité : pour Stéphane Baller, « les directions juridiques ont tout en main pour être une autorité au sein de l’entreprise. »

Réflexions et perspectives d’avenir

Faire un état des lieux de la filière et de ses évolutions économiques a principalement pour but de réfléchir à l’avenir. Et en premier lieu, à celui des étudiants qui se destinent à ces métiers du droit ... alors que, la plupart du temps, ils ne mesurent pas la multiplicité des opportunités qu’offre cette filière. « L’objectif était de dépasser les corporatismes et d’avoir une approche de la filière : quelle est son évolution et qu’a-t-on à proposer aux jeunes de demain ? confirme Stéphanie Fougou. Il y a une quinzaine voire une vingtaine de métiers qui sont en train de se créer autour du droit, et c’est une question qui est anxiogène pour les étudiants. » Difficile, effectivement, de se projeter dans des métiers qui n’existent pas. Mais compte tenu des bouleversements qui ne font que commencer (et ce, dans toutes les filières), il faut impérativement voir plus loin. Face à ces questions, le principal enjeu est donc celui de la formation, initiale pour les étudiants, mais aussi continue, pour que les professionnels s’adaptent et évoluent dans cette filière prometteuse. Des initiatives existent, mais encore trop éparses pour les auteurs de l’étude.

L’autre question prospective est celle de la relation-client. Si elle semble être devenue omniprésente, pour Stéphane Baller pourtant, « le travail n’a même pas commencé. Nous sommes au début de la construction d’un écosystème. Nous avons déjà tous les éléments en mains, il nous faut maintenant des gens avec de l’imagination. »
Enfin, en arrière plan se dessine la question de la pertinence des segmentations entre les différents métiers du droit. Professions distinctes et inconciliables … ou annonce d’une « grande profession du droit » plus mobile ?

Ces questions seront en tout cas débattues à l’occasion du Grenelle du droit organisé le 16 novembre prochain par l’AFJE, et dont le Village de la Justice est partenaire. « Il permettra de déterminer la place du droit dans l’écosystème global et la société, et donnera ensuite naissance à une plateforme pour continuer à travailler sur les questions qui auront été abordées au cours de cette journée » explique Stéphanie Fougou. Un événement qui permettra d’initier, on peut l’espérer, une première réflexion globale des professionnels du droit indispensable aujourd’hui. « Chacun a une part de responsabilité et doit y participer … y compris l’autorité publique. »

Clarisse Andry Rédaction du Village de la Justice

[1Stéphane Baller et Bruno Deffains sont aussi à l’origine de la création du DU Transformation digitale du droit et legaltech, lancé cette année. Voir leur interview sur Le Village.