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La clause d’indivisibilité stipulée dans les contrats de travail à durée déterminée est contraire à l’ordre public. Par Paly Tamega, Docteur en droit.
Parution : lundi 30 octobre 2017
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Par un arrêt en date du 5 juillet 2017, la Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que « les parties ne peuvent déroger aux dispositions d’ordre public de l’article L. 1243-1 du Code du travail en introduisant dans le contrat de travail une clause d’indivisibilité avec celui du conjoint du salarié, de sorte que la rupture de l’un n’entraîne pas la rupture de l’autre », Cass. soc, 5 juill. 2017, n°16/17.690.

Le droit du travail, emprunte régulièrement au droit civil [1], auquel il est attaché par des liens évidents de filiation. Aussi, en dépit de son accession au rang de branche juridique autonome [2], il s’appuie souvent sur des mécanismes civils qui, en retour, s’enrichissent de son influence spécifique [3]. Il en est ainsi du principe de liberté contractuelle qui trouve sa limite dans la notion d’ordre public.

C’est l’application de ces deux notions à un contrat de travail qui a donné naissance à l’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 5 juillet 2017.

En l’espèce M. Bruno X. a été engagé, par contrat de travail à durée déterminée saisonnier du 2 mai 2013, par la société Le Temps -Axeo services en qualité d’employé polyvalent. Son contrat contenait une clause d’indivisibilité aux termes de laquelle le contrat entraînait un rapport d’indivisibilité avec le contrat de Mme Y... Corinne et que l’engagement des deux conjoints avait pour conséquence d’unir le sort des contrats de travail du couple, au regard notamment et essentiellement de la rupture des engagements respectifs des parties.

A la suite de la rupture du contrat de travail de sa conjointe, Mme Y. Corinne, intervenue le 6 juin 2013, M. Bruno X a saisi la juridiction prud’homale.

Le Conseil de Prud’hommes a jugé que la rupture anticipée du contrat de travail de M. Bruno X n’est pas imputable à l’employeur et a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts.

Par arrêt en date du 25 mars 2016, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé le jugement du Conseil de Prud’hommes en retenant que le contrat de M. Bruno X..., lié par une clause d’indivisibilité au contrat de Mme Y..., son conjoint, a été rompu avant l’échéance du terme du fait de la rupture d’un commun accord du contrat de celle-ci, que le contrat de travail du salarié comporte une clause d’indivisibilité, que l’employeur produit plusieurs attestations concordantes établissant la réalité de l’accord des parties intervenu le 6 juin 2013, à l’initiative de la conjointe du salarié, sur le principe de la rupture anticipée du contrat de celle-ci.

La Haute juridiction a sèchement censuré cet arrêt en considérant que « les parties ne pouvaient déroger aux dispositions d’ordre public de l’article L. 1243-1 du Code du travail en introduisant dans le contrat de travail une clause d’indivisibilité avec celui du conjoint du salarié, de sorte que la rupture de l’un n’entraîne pas la rupture de l’autre ». [4]

Cette décision n’est pas critiquable tant la thèse de la rupture automatique du contrat à durée déterminée fait mauvais ménage avec les dispositions d’ordre public qui le régissent (I).
A contrario, la clause d’indivisibilité dans les contrats de travail à durée indéterminée serait licite mais sous certaines conditions (II).

I. La clause d’indivisibilité est illicite dans les contrats de travail à durée déterminée

La clause d’indivisibilité prévoit que le contrat de travail est indissociable d’un autre. Elle se rencontre dans des situations où l’employeur propose aux salariés des emplois complémentaires ou étroitement liés, voire des fonctions globalement définies mais individuellement non précisées [5]. Une telle situation suppose évidemment entente et collaboration entre les salariés. C’est pourquoi ce type d’emploi est généralement confié à des salariés vivant en couple, mariés ou non.

Ainsi, la volonté des parties est déterminante pour insérer un lien d’indivisibilité dans la formation du dispositif contractuel [6]. Les deux époux ne désirent pas entrer en fonction et s’adonner à leurs tâches respectives l’un sans l’autre.

Dès lors que le dispositif contractuel existant entre un employeur et un couple de salariés fait expressément ou tacitement référence à un rapport d’indivisibilité entre les fonctions des époux, le sort des deux contrats de travail va inévitablement en subir les conséquences.

Il est généralement admis qu’en raison de cette clause, l’employeur ne saurait mettre fin au contrat de l’un des salariés « sans provoquer du même coup la rupture du contrat l’unissant à l’autre » [7] ; le lien d’indivisibilité ne permettrait pas la survie d’une seule des conventions [8]. Le maintien du contrat de chaque salarié serait soumis au maintien de celui de l’autre ; dès lors que l’une de ces relations contractuelles serait rompue, la seconde cesserait automatiquement de produire ses effets.

La stipulation d’indivisibilité entraînerait ainsi l’extinction de plein droit du second contrat par suite de la rupture du premier.

En l’espèce, un salarié a été engagé par contrat de travail à durée déterminée saisonnier du 2 mai 2013 en qualité d’employé polyvalent. Ce contrat contenait une clause d’indivisibilité instituant un rapport d’indivisibilité avec le contrat de sa conjointe, de sorte que les deux conjoints étaient unis dans la rupture. A la suite de la rupture du contrat de travail de la salariée, le contrat du conjoint a été rompu ipso facto avant l’échéance de son terme. Le salarié a dès lors saisi la juridiction prud’homale aux fins de contester cette rupture. La cour d’appel d’Aix-en-Provence le déboute au motif, d’une part, que les conjoints salariés avaient consenti à un tel rapport et ses conséquences et, d’autre part, que la rupture du contrat de travail de la salariée n’était pas imputable à l’employeur puisqu’elle était intervenue après accord amiable.

L’analyse de la cour d’appel, quoique séduisante, n’emporte pas la conviction. En effet même si l’indivisibilité tient ici tout autant à la volonté des parties qu’à la nature des choses ; cette volonté est impuissante à écarter des dispositions légales d’ordre public.

C’est d’ailleurs sur le respect des dispositions d’ordre public que la censure intervint. En effet, la Cour suprême a jugé que « les parties à un contrat de travail à durée déterminée ne peuvent déroger aux dispositions d’ordre public de l’article L. 1243-1 du Code du travail en introduisant dans le contrat de travail une clause d’indivisibilité avec celui du conjoint du salarié, de sorte que la rupture de l’un n’entraîne pas automatiquement la rupture de l’autre. »

La solution est classique. Le principe de la liberté contractuelle n’est pas absolu. Il est limité par un tempérament de taille : le contrat, et plus largement toutes conventions, ne peuvent déroger à l’ordre public [9].

En l’espèce, la thèse de la rupture automatique conduit à l’éviction pure et simple des dispositions impératives édictées par la législation en matière de licenciement.

La décision de la Chambre sociale n’est ni surprenante ni nouvelle. En effet, par deux arrêts du 18 novembre 1998 et 12 juillet 2005, la Chambre sociale avait jugé que c’est au juge, et à lui seul, qu’il revient d’apprécier, en cas de licenciement, l’existence d’une cause réelle et sérieuse. Par conséquent, les parties ne sauraient par avance se constituer un motif légitime de rupture par une clause du contrat. Elles ne peuvent, notamment par une disposition du contrat de couple, tenir en échec les dispositions d’ordre public du Code du travail relatives au contrôle juridictionnel des licenciements. La spécificité du contrat de couple ne suffit pas pour considérer que la légitimité du licenciement initial constitue une justification automatique du licenciement second [10].

Il apparaît ainsi très clairement qu’en dépit d’une clause d’indivisibilité, la rupture du contrat de travail d’un salarié dont le conjoint a quitté l’entreprise ne peut s’opérer de plein droit. Il appartient en réalité à l’employeur qui désire mettre fin au contrat de prononcer le licenciement du salarié resté à son poste et celui-ci est dès lors en droit de prétendre aux indemnités afférentes à ce mode de rupture et, en particulier, le cas échéant, à l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour d’appel ne pouvait donc, comme elle l’avait fait, rejeter la demande du salarié sans examiner les conditions de la rupture du contrat.

La conclusion que nous tirons de l’arrêt du 5 juillet 2017 est que la clause d’indivisibilité ne peut contrevenir aux prescriptions d’ordre public du Code du travail et ainsi aménager la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée.

II. La licéité de la clause d’indivisibilité dans les contrats de travail à durée indéterminée

La Cour de cassation a admis la validité des clauses d’indivisibilité dans les contrats de travail à durée indéterminée à condition qu’elles soient justifiées par la nature du travail à accomplir et proportionnées au but poursuivi [11].

Il appartient donc au juge de vérifier si le licenciement prononcé en application d’une clause d’indivisibilité licite est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Le juge peut et doit donc neutraliser une clause d’indivisibilité dans un contrat de travail à durée indéterminée de couple.

Toutefois, la licéité de la clause d’indivisibilité stipulée dans les contrats de travail à durée indéterminée est douteuse en raison de sa contrariété avec les dispositions de l’article L.1231-4 du Code du travail qui énonce que l’employeur et le salarié ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles du licenciement.

Aussi, nous pensons que la solution énoncée dans l’arrêt examiné pourrait être annonciatrice d’une interdiction générale de ces clauses, y compris donc dans les contrats à durée indéterminée.

Nous espérons que la Haute juridiction interviendra pour sceller définitivement le sort des clauses d’indivisibilité dans les contrats de travail de couple.

Paly TAMEGA, Docteur en droit

[1G. Lyon-Caen, Du rôle des principes généraux du droit civil en droit du travail, RTD civ. 1974.229 ; G. Couturier, Les techniques civilistes et le droit du travail. Chronique d’humeur à partir de quelques idées reçues, D. 1975. Chron.151

[2G. Lyon-Caen, Les principes généraux du droit du travail, in Etudes G.-H. Camerlynck, 1979, p. 35 ; A. Supiot, Pourquoi un droit du travail ? Dr. soc. 1990.485

[3J. Mestre, L’influence des relations de travail sur le droit commun des contrats, Dr. soc. 1988.405

[4Cass. soc, 5 juill. 2017, n°16/17.690

[5Jean Mouly, Rec Dalloz, 1991, p.596

[6P. Malaurie et L. Aynès, Droit civil. Les obligations, Cujas, 4e éd., 1993, n° 725

[7B. Teyssié, JCP éd. E 1980.8465, p. 47, obs. sous Reims, 5 juin 1979

[8Reims, 5 juin 1979, préc

[9art 6 du Code civil

[10Soc. 18 nov. 1998, n° 97-42.854, D. 1999. 443, note J. Mouly ; Dr. soc. 1999. 192, obs. J. Savatier ; 12 juill. 2005, n° 03-45.394, D. 2006. 344, et les obs., note J. Mouly

[1112 juill. 2005, n° 03-45.394, D. 2006. 344, et les obs., note J. Mouly