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Synthèse du traitement fiscal des principaux flux financiers autour du bail commercial. Par Arnaud Boix, Avocat.
Parution : jeudi 2 novembre 2017
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Le bail commercial est un contrat important pour une entreprise, dans la mesure où il assure un engagement à long terme, il est un des éléments indispensables au fonctionnement et à la pérennité du fonds de commerce.
Or, la soumission au statut des baux commerciaux de la relation entre le propriétaire d’un bien immobilier et l’exploitant de son activité qui en envisage l’occupation, implique une réflexion relative au traitement fiscal d’un tel régime locatif et de l’ensemble des flux y afférents.

Les deux parties se doivent en effet de connaître a minima le régime fiscal du bail commercial afin d’éviter toute mauvaise surprise, tout piège d’imposition, tant pour le bailleur que pour le preneur.
La particularité est que, dans le silence de la loi, l’organisation du régime fiscal du bail commercial suit les règles génériques gouvernant les diverses formes d’imposition (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, TVA, bénéfices industriels et commerciaux, revenus fonciers…).
Ainsi, le régime général du bail commercial s’articule autour de l’assujettissement à l’impôt sur les bénéfices et/ou à la TVA des divers flux monétaires inhérents au bail (pas-de-porte, dépôt de garantie, loyers, indemnités).

Pas-de-porte

En droit fiscal, le pas-de-porte est défini comme étant la somme d’argent que le propriétaire d’un local à usage industriel, commercial ou artisanal exige d’un preneur, outre le prix annuel du loyer.
Le traitement fiscal de cette somme dépend de la nature de son versement. En effet, le régime fiscal applicable au bailleur et au preneur dépend du point de savoir si les sommes acquittées constituent un supplément de loyer versé d’avance ou la contrepartie de l’acquisition par le preneur, ou de l’abandon par le bailleur, d’un élément du patrimoine.
Imposition du bailleur

Pas-de-porte - constitutif d’un supplément de loyer
Si le pas-de-porte constitue une contrepartie des avantages que le locataire tire de l’occupation de l’immeuble loué, il constituera un supplément de loyer. C’est le cas, par exemple, lorsque la conclusion du contrat de location a pour effet de faire naître au profit du nouvel occupant un droit au bail de nature commerciale (BOI-BIC-PDSTK-10-30-20 n°10).
En telle hypothèse, le pas-de-porte constitue alors pour le bailleur une recette exceptionnelle imposable.
Les modalités d’imposition du bailleur vont différer selon qu’il relève de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés.

Lorsque le bailleur (personne physique ou SCI n’ayant pas opté pour le régime irréversible de l’IS) relève de l’impôt sur le revenu, les sommes qu’il perçoit à titre de pas-de-porte sont soumises au barème progressif de l’impôt sur le revenu (dans la catégorie des revenus fonciers ou des bénéfices industriels et commerciaux) :
- Le pas-de-porte doit être intégralement déclaré dans les revenus fonciers perçus au titre de l’année au cours de laquelle il a été versé, sans possibilité d’étalement.
- En revanche, le pas-de-porte doit être étalé sur la durée du bail lorsqu’il est imposé dans la catégorie des BIC, dans la mesure où il rémunère des prestations continues au sens de l’article 38, 2 bis du Code général des impôts (CGI).

Toutefois, lorsque le pas-de-porte perçu par le bailleur rémunère une prestation ponctuelle, telle que des travaux d’aménagement du local avant prise à bail, les sommes correspondantes doivent être comprises dans les résultats de l’exercice au cours duquel le droit d’entrée est réputé acquis en vertu des stipulations contractuelles (BOI-BIC-PDSTK-10-30-20 n° 30).
Le bailleur soumis à l’impôt sur les sociétés bénéficie de l’étalement de l’imposition sur toute la durée du bail dans les mêmes conditions ci-exposées en matière de BIC.

Pas-de-porte - constitutif d’un prix de cession d’un élément d’actif
La dation à bail commercial, par une société bailleresse soumise à l’IS ou une entreprise exerçant une activité industrielle, commerciale ou artisanale, d’un immeuble dans lequel elle exerçait précédemment son activité économique peut être regardée comme la cession d’un élément d’actif commercial.
Dans cette hypothèse, les sommes perçues par le bailleur relèveront du régime des plus-values professionnelles.
La fiscalisation du pas-de-porte comme prix de cession d’un élément d’actif diffère selon que le bailleur est soumis à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés.
Lorsque le bailleur relève de l’impôt sur le revenu, le pas-de-porte est imposable selon le régime des plus-values professionnelles.
Lorsque le bailleur est soumis à l’impôt sur les sociétés, le pas-de-porte constitue une plus-value imposable au taux de droit commun.

Pas-de-porte - contrepartie d’une dépréciation patrimoniale
En certaines circonstances, le pas-de-porte peut ne pas constituer un supplément de loyer, mais être regardé comme un gain en capital et ainsi échapper à l’impôt sur les bénéfices (CE 24 février. 1978, req. n°97347). Autrement dit, le pas-de-porte présente alors un caractère indemnitaire.
Cette exonération procède d’une appréciation casuelle des conditions de location et des prérogatives accordées au preneur. Il n’existe pas de liste exhaustive des circonstances permettant de revêtir le pas-de-porte d’une nature indemnitaire, l’appréciation se fait in concreto.
A titre d’exemple, l’engagement de non-concurrence du bailleur, dans l’hypothèse d’une absence de cession de clientèle au preneur (CAA Bordeaux 20 novembre 1990, req. n°1596), l’absence de situation concurrentielle du preneur (CE 23 janvier 1980, req. 17060) ou la renonciation, par le bailleur, à toute faculté de résiliation du bail, sauf en cas de non-paiement des loyers (CE 29 septembre 1989, req. n°68212) génèrent une dépréciation patrimoniale pour le bailleur.

Imposition du preneur
Lors de la conclusion du bail commercial, le montant versé au bailleur par le preneur à titre de pas-de-porte peut être qualifié de charges déductibles ou d’éléments du coût de revient d’un élément incorporel de l’actif immobilisé.
Pour qualifier les versements de droits d’entrée comme une charge ou comme le coût de revient d’un élément de l’actif immobilisé, il convient de se fonder essentiellement sur le caractère normal ou anormal du loyer, que l’on apprécie par rapport à la valeur locative réelle de l’immeuble.

Versements effectués en présence d’un loyer inférieur à la valeur locative.
Lorsque le montant versé par le preneur augmenté du loyer convenu, ne dépasse pas la valeur locative réelle de l’immeuble loué, le droit d’entrée est considéré comme un supplément de loyer et par conséquent déductible.
La déductibilité qui s’étale sur une période au moins égale à la durée du bail initial peut se justifier également par les prestations fournies par le bailleur.

Versements effectués en présence d’un loyer normal.
Lorsque le prix du loyer stipulé est normal eu égard à la valeur locative réelle des locaux, les sommes versées au bailleur est constitutif du prix de revient d’un élément incorporel du fonds de commerce. Dans ce cas, le locataire ne peut ni le déduire, ni l’amortir.
Par contre, il peut en tenir compte pour le calcul de la plus-value réalisée lors de la cession du droit au bail.

Le « dépôt de garantie »

Le bailleur peut exiger le versement d’un dépôt de garantie pour couvrir d’éventuels manquements du locataire à ses obligations contractuelles.
Le Conseil d’État (CE, 8 mai 1981, req. n°8294) considère que le dépôt de garantie ne constitue pas une recette rémunérant une prestation consentie par le bailleur :
Il s’agit en effet que « simples dépôts, non imposables pour le bailleur et non déductibles pour le preneur, qui ne peuvent être considérés comme définitivement acquis au propriétaire tant que celui-ci ne les a pas utilisés pour se couvrir du montant de loyers impayés ou de frais de remise en état des locaux après le départ du locataire ; qu’ainsi elles ne constituent pas dès leur versement des recettes perçues par le propriétaire ».
Autrement dit, le dépôt de garantie est défiscalisé.
Pour autant, la solution de principe rendue par cet arrêt est assortie d’une réserve permettant la soumission du dépôt de garantie à l’impôt ou à la TVA.

Imposition du bailleur
Au regard de la solution précitée, le dépôt de garantie ne saurait être inclus dans les bénéfices du bailleur dès lors qu’il ne s’agit que d’un dépôt entre les mains du bailleur.
Toutefois, si les sommes sont conservées par le propriétaire pour financier des charges locatives ou des travaux de remise en d’état, le dépôt de garantie perd sa nature de gage et subit le même régime fiscal que le versement ou la prestation.

Imposition du preneur
Les versements réalisés à titre de dépôt de garantie par le preneur ne donnent pas lieu à une déduction immédiate.

TVA
En suivant la logique propre à la TVA, le dépôt de garantie versé aux bailleurs en sus du loyer n’est pas soumis à la TVA dès lors qu’il n’est pas la contrepartie des prestations prévues au contrat de bail.
Toutefois, il ne le sera que si le bailleur l’a définitivement acquis en cas d’inexécution de certaines obligations du preneur, le dépôt de garantie étant considéré alors comme des frais accessoires.
Une autre hypothèse de soumission à la TVA du dépôt de garantie doit être évoquée : celui de l’abandon par le preneur des sommes versés à ce titre.
En effet, sur le fondement de l’article 256-I du Code général des Impôts et de l’enseignement tiré de la jurisprudence « Apple and Pear Development Council » de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE, 8 mars 1988, aff. 102/86), le dépôt de garantie doit être soumis à la TVA dès lors qu’il existe un lien direct entre le service rendu, c’est-à-dire la mise en jouissance de l’immeuble, et la contre-valeur reçue.

Le « loyer »

Imposition du bailleur
Le loyer constitue pour le bailleur un profit imposable, trouvant sa source dans l’exploitation d’un patrimoine immobilier ou dans un élément de l’actif immobilisé.
Pour le bailleur particulier (personne physique plein propriétaire ou usufruitier de l’immeuble donné à bail, ou société civile immobilière soumise à l’impôt sur le revenu), les loyers perçus en contrepartie de la jouissance accordée au preneur sont imposés au titre des revenus fonciers, conformément à l’article 29 du Code général des impôts.
Pour le bailleur commerçant, c’est-à-dire une entreprise commerciale donnant à bail un immeuble inscrit à l’actif de son bilan, les loyers perçus sont pris en considération pour la détermination du bénéfice d’exploitation de l’entreprise (BIC ou IS).

Imposition du preneur
Les loyers versés par le locataire constituent des charges déductibles du bénéfice d’exploitation, sous réserve que leur montant ne présente pas un caractère excessif et que les locaux loués soient effectivement affectés à l’exercice de son activité économique.

TVA
Le loyer perçu par le bailleur participe d’un projet susceptible d’être assujetti à la TVA, de plein droit ou sur option, selon que les locaux sont aménagés ou nus.
Lorsque les locaux sont aménagés (locaux munis du mobilier, du matériel nécessaire à l’exercice de l’activité), le montant du loyer versé est soumis de plein droit à la TVA (CGI, art. 35, I-5°).
A l’inverse, les locations de locaux nus, c’est-à-dire dépourvus de tout matériel ou mobilier, sont en principe exonérées de TVA (CGI, art. 260, 2°).

Il existe néanmoins deux exceptions à cette exonération :
- En vertu de l’article 261 D, 2° dudit Code, la location d’un local nu est soumis à la TVA lorsqu’elle constitue pour le bailleur un moyen de poursuivre, sous une autre forme, l’exploitation d’un actif commercial, lorsqu’elle constitue pour le bailleur un moyen d’accroître ses débouchés ou lorsque le bailleur participe aux résultats de l’entreprise locataire.
- En vertu de l’article 260, 2° du même code, le bailleur peut opter pour l’assujettissement du loyer à la TVA.

« L’indemnite de déspécialisation »

Indemnité de déspécialisation
Pour mémoire, la déspécialisation est la possibilité pour le locataire d’obtenir, en cours d’exécution du bail commercial, le changement total ou partiel de la destination d’origine ou contractuelle des lieux définie par les parties.
L’article L. 145-50, alinéa 1er du Code de commerce prévoit qu’en telle hypothèse, le bailleur peut exiger le versement d’une indemnité correspondant au préjudice tiré de ce changement de destination dont il établirait l’existence.

Imposition du bailleur
Le traitement fiscal de l’indemnité dépend alors de la cause de son versement.
Lorsque le versement de l’indemnité de déspécialisation est destiné à compenser la perte de recette ou un accroissement des charges du propriétaire/bailleur (augmentation du montant de l’indemnité d’éviction par exemple), l’indemnité constitue un supplément de loyer.
Elle doit alors être incluse dans le montant des revenus fonciers perçus par le bailleur.
Il en va de même lorsque son versement est destiné à compenser un préjudice pour le bailleur, dont il établit l’existence. De plus, si le montant dépasse celui du préjudice subi, quel que soit la nature du dommage, l’excédent est aussi considéré comme un supplément de loyer imposable.

A ce titre, l’indemnité de déspécialisation sera assujettie à la contribution sur les revenus locatifs si le bailleur est redevable de cette imposition, ou à la TVA, si les parties ont opté pour l’assujettissement de loyer à cette taxe.
En revanche, lorsque l’indemnité n’a pas pour objet de compenser une perte de recette ou un accroissement des charges du propriétaire, l’indemnité doit être regardée comme le prix d’acquisition d’éléments incorporels du fonds de commerce, c’est-à-dire un gain en capital qui n’entre pas dans la détermination du revenu foncier.

Imposition du preneur
Lorsque le loyer est inférieur à la valeur locative des locaux, l’indemnité de déspécialisation versée par le locataire est un supplément de loyer déductible de ses résultats imposables.
Si le niveau de loyer pratiqué est normal, cette indemnité est alors considérée comme le prix d’élément incorporels du fonds de commerce et non comme une charge de loyers déductibles.

« L’indemnite d’éviction »

Indemnité d’éviction
Lorsque le bailleur refuse le renouvellement d’un bail commercial à son terme (à l’exclusion de toute responsabilité du preneur) ou lorsqu’il reprend les locaux loués, il est tenu de payer au preneur une indemnité d’éviction. Elle est destinée à compenser le préjudice subi par le preneur du fait de la perte de son droit bail.
Le traitement fiscal de l’indemnité d’éviction dépend, pour le bailleur, du motif de l’éviction, et pour le preneur, de la nature de la charge ou du préjudice qu’elle compense.
Relevons par avance que l’indemnité d’éviction ne constitue pas la contrepartie d’une prestation de services individualisés rendue à celui qui la verse, de telle sorte qu’elle n’est pas assujettie à la TVA.

Imposition du bailleur
Pour le bailleur commerçant, l’indemnité d’éviction est susceptible de constituer le prix de revient d’un élément d’actif lorsqu’il souhaite reprendre les locaux afin de les vendre, de les démolir, d’y exercer la même activité professionnelle que celle du locataire sortant, ou les affecter à un usage d’habitation.
En revanche, l’indemnité d’éviction constituera une charge immédiatement déductible de son résultat imposable lorsque la finalité du bailleur est de louer l’immeuble à des conditions plus avantageuses ou de s’y installer afin d’y exercer une activité génératrice de revenus différente de celle du locataire sortant.
Pour le bailleur particulier, l’indemnité d’éviction est déductible des revenus fonciers lorsqu’elle a pour but de libérer les locaux en vue de les relouer dans de meilleures conditions ou pour effectuer des travaux permettant une relocation avantageuse.

En revanche, l’indemnité versée n’est pas déductible lorsqu’elle présente le caractère d’une dépense personnelle ou d’une dépense personnelle ou d’une dépense engagée en vue de la réalisation d’un gain en capital.
Tel est le cas lorsque le congé a pour effet de libérer les locaux en vue de la reprise par le propriétaire pour son usage personnel ou de permettre la démolition des locaux, l’admission ou l’exclusion de l’indemnité d’éviction versée permettre la libre vente.

Imposition du preneur
Les règles d’imposition varient selon la nature du préjudice que cette indemnité est destinée à réparer.
Lorsque l’indemnité d’éviction a pour objet de compenser une charge ou un manque à gagner, elle représentera un produit d’exploitation immédiatement imposable dans les conditions du droit commun.
Si elle est destinée à compenser la perte d’un élément d’actif (droit au bail ou clientèle), l’indemnité suivra en conséquence le régime des plus-values professionnelles. Le preneur relevant de l’impôt sur le revenu pourra bénéficier du régime d’imposition à taux réduit, voire à une exonération.  

« L indemnité d’occupation »

L’indemnité d’occupation est la contrepartie financière du droit au maintien dans les lieux du locataire à l’échéance du bail non renouvelé et calculée d’après la valeur locative des locaux. Dès lors, elle revêt une nature compensatrice et indemnitaire qui ne saurait être assimilée à un loyer.
Ainsi, pour le bailleur, la perception de l’indemnité d’occupation ne saurait être prise en considération dans le bénéfice imposable.
En revanche, l’indemnité d’occupation versée par un occupant dont le bail commercial a été résilié est soumise à TVA, dans la mesure où il existe un lien direct entre ce versement et une prestation individualisable, tel est l’enseignement de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes en date du 16 juin 2016 (CAA Nantes, Chambre 1, 16 Juin 2016 n° 14NT02456).

Le bail commercial donne donc lieu à divers versements, lesquels emportent des incidences fiscales aussi bien pour le bailleur, particulier ou commerçant, que pour le preneur.
L’appréhension des règles fiscales applicables aux différents flux entre le bailleur et le preneur est nécessaire aux parties tant pour échapper à l’intervention de l’Administration que pour arbitrer et par la optimiser la construction relation.

Arnaud Boix, Avocat Cabinet Eloquence Avocats Associés www.eloquence-avocats.com
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