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[Parution] Lettre à tous ceux qui persistent à vouloir faire leur droit.
Parution : jeudi 2 novembre 2017
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"Faire son droit", expression quelque peu désuète, mais qui évoque l’étude d’une matière qui de tout temps a été pressentie comme noble et vertueuse par de nombreux étudiants.
Du fait de l’évolution de notre société et de la perception qu’elle a du Droit, certaines personnes se posent la question de savoir s’il est toujours pertinent, judicieux de faire son droit et si oui comment cette matière mouvante doit-elle être appréhendée.
Dans son ouvrage, "Lettre à tous ceux qui persistent à vouloir faire leur droit, Thierry Charles apporte non pas une réponse, mais des pistes de réflexion sur ce que doivent être les juristes du futurs et le droit qu’ils créeront.

Dans son ouvrage "Lettre à tous ceux qui persistent à vouloir faire leur droit" sorti aux Editions L’Harmattan, Thierry Charles, Directeur des Affaires Juridiques, Docteur en Droit et membre du « Cerce Montesquieu » apporte une réflexion poussée sur ce qu’est le Droit de nos jours, sur la manière dont il est perçu et ce qu’il doit devenir.
Par son écrit, enrichi de nombreuses citations, il propose un éclairage sur le futur du professionnel du Droit dont "le pouvoir désormais ne réside, non plus dans le savoir, mais dans la capacité à partager ce savoir."
Il alerte également sur l’influence hégémonique de la Common Law en général et le Droit américain en particulier et de l’urgence faite aux acteurs et créateurs français du droit de réinvestir le droit international.

Marie Depay : Pourquoi pensez-vous que votre livre est nécessaire ?

Thierry Charles : Dans le « Jugement de Cambyse », le grand roi perse Cambyse fait écorcher vif le juge Sisamnès pour le punir de sa prévarication. Il ordonne que l’on découpe des bandes de peau du magistrat et qu’on les tende sur le siège du juge. Une fois le siège recouvert, Cambyse désigne alors Otanès, pour succéder à son père, en lui commandant de se rappeler sur quel siège il est assis lorsqu’il rend la justice. Il s’agit avant tout d’un devoir de mémoire [la mémoire de l’avenir surtout], devoir d’écoute, devoir de partage, devoir d’anticipation, devoir d’action.
J’ai voulu dans ce livre répondre à la question qui brulait les lèvres des étudiants du mastère spécialisé « Juriste Manager International » de l’EM Lyon qui m’interrogeaient à l’occasion d’une intervention du « Cercle Montesquieu » : est-il toujours judicieux aujourd’hui de « faire son droit » ? Et pour y répondre, j’ai placé ma réflexion « aux quatre vents » du droit afin de lui redonner du souffle.

Pourquoi avoir choisi ce titre quelque peu provocateur ?

"Quand le juriste est pris dans l’engrenage de la fatalité,... il a le devoir de s’expliquer."

Dans l’Utopie de Thomas More, tout le monde est docteur en droit, car les lois y sont en très petit nombre et leur interprétation la plus grossière, la plus naturelle est admise comme la plus raisonnable et la plus juste. Aujourd’hui, la machine à produire de la norme juridique est totalement débridée, la logorrhée législative est un mal français, sans que l’efficacité soit au rendez-vous. C’est qu’en effet nous vivons une époque de démolition des codes établis [crise existentielle, « moment Kodak » ou « moment Uber » en raison de la révolution numérique].
Si le droit est partout, en définitive il n’est nulle part. « Code is Law », écrit Lawrence Lessig : la loi du cyberespace dépend de la manière dont il est codé, mais nous avons perdu tout rôle dans le choix de cette loi.
Or, quand le juriste est pris dans l’engrenage de la fatalité, il n’a pas le droit de s’échapper, mais il a le devoir de s’expliquer. De non vigilantibus non curat praetor [des insouciants le préteur n’a cure] ! Henri IV estimait que Paris valait bien une messe, nous avons pensé que le droit valait bien une lettre !

Quel point fort, s’il ne fallait en retenir qu’un, souhaitez-vous mettre en avant dans ce livre ?

Thierry Charles

Au titre du droit d’inventaire, je citerai en premier lieu la révolution des Big Data qui déresponsabilisent ceux qui les appliquent en prétextant que leur « objectivité » dérive d’algorithmes prétendument inaltérables. C’est un asservissement de la loi au « calcul d’utilité ». Désormais, l’obtention d’un prêt ne dépend plus de la solvabilité individuelle, mais de celle du groupe supposé d’appartenance de celui qui le demande. Et dans l’hypothèse, où ces modèles sont appliqués à la justice, la récidive dépend autant du coupable que des comportements de ses « supposés semblables ».
Il s’agit même désormais de pronostiquer les décisions de justice grâce à des algorithmes brassant la jurisprudence : c’est bel et bien une justice « prédictive » ou l’augure des procédures.

Souvenons-nous que le discours juridique nazi a inventé un « droit pénal de la volonté » qui pénalisait à titre préventif l’intention coupable, ou supposée-t-elle. Le droit pénal de la volonté était prospectif, voire proactif. Il s’agissait d’un droit de la pénalisation de la volonté – supposée -, criminelle, du for intérieur, une volonté qui certes pouvait se manifester à travers l’acte mais qui pouvait tout autant exister avant ou indépendamment de la commission de l’acte.

Le cassandre PDG de Tesla et Space X Elon Musk décrète qu’il faut se méfier de l’intelligence artificielle [IA], la qualifiant de menace existentielle sur notre civilisation. Il a même réclamé d’urgence des textes de loi permettant de réguler les avancées selon lui incontrôlables de l’IA.
Prenons encore quelques exemples. Qui croit encore en la valeur de la propriété intellectuelle [PI] ? Comment défendre désormais un système de normes technologiques ouvertes face à la menace systémique d’un petit groupe de sociétés de la Silicon Valley qui veulent le remplacer par un système basé sur des technologies et plates-formes propriétaires ?
Autre exemple, avec l’avènement de la fabrication additive [l’impression 3D], le terrain de jeu de la contrefaçon devient mondial.
Si une société n’a pas les moyens d’appliquer ses brevets, ses droits de PI perdent tout leur sens si nous ne faisons pas en sorte qu’elle ait réellement accès à la justice.

"Les professionnels doivent de plus en plus faire preuve de curiosité intellectuelle."

Que dire enfin du droit international ? La Common Law en général et le Droit américain en particulier ont une influence hégémonique. A l’heure de la mondialisation, le modèle juridique américain est prédominant au détriment du modèle de droit civil. Battu en brèche, le principe de souveraineté ne résiste pas à l’état de nécessité.
L’extra-territorialité du droit américain se propage à la faveur de l’abandon du droit international, de la faiblesse du régalien et de la négation de la puissance de mise en Europe.
Selon Hervé Juvin : « l’application extra-territoriale du droit américain a détruit des entreprises françaises […], elle a permis d’extorquer des milliards d’euros à des entreprises européennes ».

A qui destinez-vous votre ouvrage ?

A tous les professionnels qui doivent de plus en plus faire preuve de curiosité intellectuelle et être prêts à se familiariser avec des sujets nouveaux.

Plus vos posez de questions, autrement dit, plus vous faites preuve de curiosité et plus vous avez confiance dans votre propre capacité à déchiffrer l’impact d’interrelations complexes.
L’ingénieur philosophe Luc de Brabandère qui est intervenu aux #AllizeDay 2017 considère qu’un philosophe n’est pas « ubérisable » à force de se remettre en question sans cesse.

D’ailleurs, le problème est moins de savoir ce qui doit disparaître ou se transformer et ce qui au contraire demeure essentiel, la question est de déterminer ce que le droit doit désormais « revêtir » et cette épineuse interrogation n’épargne rien ni personne.

Pouvez-vous en quelques mots nous indiquer votre parcours ?

Docteur en droit [Université Jean Moulin – Lyon III], j’ai soutenu une thèse à mi-chemin entre le droit et les sciences politiques et notamment sur « Chaban » le père de la « Nouvelle Société ».
Après une expérience universitaire, puis bancaire, je suis devenu le Directeur des affaires juridiques de l’organisation professionnelle Allizé-Plasturgie [également en charge du lobbying] qui compte à ce jour près de 900 adhérents sur tout le territoire. Membre du comité des relations industrielles de sous-traitance au sein de la Fédération de Plasturgie & des Composites et du Centre national de la sous-traitance, je suis membre du « Cercle Montesquieu ».
Ancien juge prud’homal, j’ai déjà publié cinq essais parmi lesquelles "Les nouvelles perspectives de la souveraineté" ou encore "Fahrenheit 4.0" aux éditions L’Harmattan.

"Lettre à tous ceux qui persistent à vouloir faire leur droit" :
Editions L’Harmattan ;
Broché, édité en août 2017 ; 204 pages ;
Prix : 20,50 euros ;
ISBN : 978-2-343-12343-1

Marie Depay, Rédaction du Village de la Justice.