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« Décret Photoshop » ou dispositions « retouche photo » : contrainte… et opportunité ! Par Sara Byström, Avocat.
Parution : lundi 6 novembre 2017
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La mention de « Photographie retouchée », apposée obligatoirement depuis le 1er octobre 2017 sur certaines images de mannequins utilisées à visée commerciale, constitue à priori une contrainte. La force du marketing est toutefois de disposer d’une capacité importante à saisir et renverser les situations pour en faire aussi une opportunité... le tout dans un contexte dépassant l’objectif de la loi.

Dans un environnement on ne peut plus visuel, la communication commerciale a sans complexe longtemps utilisé le corps pour vendre tout type de produit et service ; entre assurances et crèmes de beauté en passant par les voitures.

Ces images de corps, souvent dévêtus, étant quasiment toujours manipulées après la prise de vue, souvent à l’aide de Photoshop, elles donnent pourtant l’illusion d’être vraies. L’omniprésence visuelle de ces corps « idéaux » devenues images normatives, participe ainsi à créer d’importants malaises et des maladies graves telles la boulimie et l’anorexie, notamment chez les jeunes.

La photo retouchée et le droit : une contrainte à s’approprier

La loi du 26 janvier 2016 sur la modernisation de notre système de santé et son décret d’application [1] ont pour objectif de protéger le public français de ces images retouchées dont le contenu est tout sauf transparent. Applicable depuis le 1er octobre 2017, toute photo à usage commercial de mannequins lorsque elle a été modifiée pour affiner ou épaissir la silhouette doit donc être accompagnée de la mention « Photographie retouchée » [2]. Peu importe d’ailleurs que le mannequin soit ou non professionnel [3].

N’est concernée que l’usage commercial ; des photos utilisées pour faire vendre ou faire connaître un bien, un service, un événement ou une personne. Cela exclut donc les publications éditoriales mais non les publi-reportages qui sont en réalité des communications commerciales.

Il convient aussi de noter que la mention ne concerne pas la photo ayant fait l’objet d’une retouche de couleur de cheveux mais bien une correction de la silhouette d’un corps, masculin ou féminin, dans le but de le rendre plus gros ou plus mince. Sont donc exclues de cette mention obligatoire les retouches visant par exemple à effacer des rides.

La responsabilité incombe à l’annonceur qui doit veiller au respect de ces dispositions et de faire paraître cette mention, qu’il acquière la photographie et les droits directement ou qu’elle est communiquée par un intermédiaire tel une agence [4].

L’absence de cette mention sur les photos concernées est sanctionnée de 37.500 € d’amende pouvant aller jusqu’au 30% des dépenses consacrées à la publicité [5].

La mention est donc obligatoire lorsque la photographie est insérée dans un message publicitaire diffusé par affichage, en ligne, dans les publications de presse, dans la correspondance publicitaire destinées aux particuliers ainsi que dans les imprimés publicitaires destinés au public [6]. Cette énumération de supports étant précédée du terme « notamment », la prudence devrait conduire à y inclure la publicité faite à la télévision, du moins en attendant que la jurisprudence apporte sa lumière sur la question. Une telle lecture semble d’autre part conforme à l’objectif de la loi de 2016 et à la philosophie des dispositions juridiques.

De plus, la mention de « Photographie retouchée » doit être accessible, lisible et clairement différenciée du message publicitaire ou promotionnel dont elle fait partie [7]. En conformité avec le droit de la publicité, du marketing et de la communication commerciale, elle doit d’autre part respecter les règles et usages de la profession [8]. La mention doit notamment être apposée de façon horizontale dans une police facilement lisible, être de taille suffisante et paraître dans une couleur différente de celle du fond du message [9].

La photo non retouchée : une opportunité à saisir et à développer.

Une illustration de la grande capacité d’adaptation du marketing et de la publicité, toujours prêts à rebondir sur une contrainte, nous vient la dernière campagne publicitaire de « Damart ». Celle-ci est construite sur la non-retouche des photos de ses mannequins [10]. Certes, il s’agit souvent de portraits et non pas de silhouettes de corps entiers. Sur l’une des photographies, les règles et usages de la profession ont même été fortement mis en avant par la présence très largement visible des mots « Photo non retouchée ». Dans sa version publiée dans la presse féminine, la mention occupe même près du tiers de la surface de l’image.

D’autres marques, Asos et Monki entre autres, ont également ouvertement pris le parti de ne faire aucune retouche sur leurs photos de mannequins.

Fournisseur de photographies, notamment pour des annonceurs et des agences de communication, « Getty Images » a elle aussi fait de cette contrainte juridique une occasion de positionnement fort. En effet, elle interdit dorénavant la présence dans sa base de données de toute photo retouchée. En retournant de la sorte la règle juridique en opportunité, elle est ainsi certaine d’avoir fait parler d’elle et a s’être différenciée de la concurrence.

Cette obligation légale, créée pour des raisons de santé publique, est ainsi malgré elle et dans un contexte général de demande de transparence, devenue un moyen pour des acteurs de la communication visuelle d’intensifier et aiguiser leurs stratégies de marketing.

Dans ce contexte, certains mannequins et personnalités exigent même clairement le droit de cité de l’aspect physique et naturel de l’être humain aux différents stades de la vie, en réclamant par exemple le droit à la cellulite visible, questionnant ainsi plus largement les normes mais aussi les limites de la communication commerciale.

Reste à savoir s’il s’agit juste d’une mode ou si le mouvement visant à imposer le respect des véritables corps et visages d’hommes et de femmes, jeunes ou mûrs, en somme de la vérité visuelle, est venu pour rester plus durablement.

Il est en tout cas intéressant de constater que ces dispositions relatives aux retouches photos ont brisé un tabou et ouvert à une plus large compréhension des enjeux de société derrière ces questions. Sur ce point, le droit et ses règles juridiques ont donc provoqué des réactions dépassant l’objectif de la loi de 2016.

De plus, ce fameux « Décret Photoshop » a également fait parler de lui au-delà des frontières françaises, notamment en Suède qui ne dispose pas de telles règles. Pour une fois donc, sur ce point, la France est ainsi citée comme pays exemplaire, chose assez rare pour être signalée.

SARA BYSTRÖM Avocat à la Cour Fransk Advokat || French Attorney Counsel sara.bystrom@bystrom-avocat.com www.bystrom-avocat.com

[1“Décret n° 2017-738 du 4 mai 2017 relatif aux photographies à usage commercial de mannequins dont l’apparence corporelle a été modifiée”.
Par ailleurs, les mannequins doivent dorénavant également être munis d’un Certificat Médical indiquant leur BMI, Body Mass Index. Voir « Arrêté du 4 mai 2017 relatif aux photographies à usage commercial de mannequins dont l’apparence corporelle a été modifiée ».

[2Article L. 2133-2 du Code de la Santé publique

[3Article L. 7123-2 du Code du Travail

[4Article R. 2133-6 du Code de la Santé publique

[5Article L. 2133-2 du Code de la Santé publique

[6Article R. 2133-4 du Code de la Santé publique

[7Article R. 2133-5 du Code de la Santé publique

[8Définies notamment par l’ARPP : organisme de régulation visant à promouvoir une publicité saine, véridique et loyale ainsi qu’une communication responsable

[9LE CODE DE L’ARPP, partie “Mentions et renvois” https://www.arpp.org/nous-consulter/regles/regles-de-deontologie/mentions-et-renvois/