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Saisie pénale : l’introuvable principe de nécessité. Par Matthieu Hy, Avocat.
Parution : mercredi 15 novembre 2017
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Par un arrêt en date du 25 octobre 2017 (Pourvoi n°16-87111), la chambre criminelle de la Cour de cassation manque une occasion de s’intéresser à la question de la nécessité de la saisie pénale.
En l’espèce, au cours d’une enquête préliminaire, un juge des libertés et de la détention rend une ordonnance autorisant la saisie en valeur d’une créance figurant sur un contrat d’assurance-vie, décision contestée en vain par le mis en cause devant la chambre de l’instruction.
A l’occasion de l’examen du pourvoi, la chambre criminelle de la Cour de cassation campe sur sa jurisprudence habituelle en matière de saisie pénale.

En premier lieu, elle réaffirme la conventionnalité de l’article 706-153, alinéa 2, du Code de procédure pénale aux termes duquel l’appelant d’une ordonnance de saisie de biens ou droits mobiliers incorporels ne peut prétendre « qu’à la mise à disposition des seules pièces se rapportant à la saisie qu’il conteste ».

Pour la Haute juridiction, cet accès limité au dossier garantit « un juste équilibre entre les droits de la personne concernée par la saisie et la nécessité de protéger le secret de l’enquête et de l’instruction », selon une formule déjà utilisée (à propos d’une saisie pénale de compte bancaire, Cass.crim, 25 février 2015, n°14-86447).

Cette solution ne résout pas la question posée par le requérant. En effet, ce dernier ne contestait pas le principe de l’accès limité aux seules pièces se rapportant à la saisie mais en discutait le périmètre. Selon lui, toutes les pièces relatives à la saisie pénale ne lui avaient pas été transmises. Cette critique ne manquait pas de pertinence. En effet, la saisie est une mesure conservatoire visant à garantir une éventuelle peine de confiscation. Elle porte donc en elle la potentialité soit que le bien saisi est en lien avec une infraction, soit que son propriétaire est pénalement responsable d’une infraction, soit les deux. En conséquence, il n’est pas déraisonnable de prétendre que l’intégralité d’une procédure se rapporte à la saisie contestée, d’autant plus quand, comme en l’espèce, le propriétaire saisi est clairement mis en cause comme auteur d’une infraction et qu’un calcul du préjudice causé par l’infraction est effectué pour déterminer le montant de la saisie.

En deuxième lieu, pour la Cour de cassation, « aucune disposition du Code de procédure pénale ne donne compétence à la chambre de l’instruction, saisie d’un appel formé contre une ordonnance de saisie, en l’absence d’ouverture d’information, pour statuer sur des demandes d’annulation de la procédure d’enquête ».

Devant la chambre de l’instruction, le requérant au pourvoi avait contesté la régularité formelle des perquisitions et saisies pratiquées lors de l’enquête.

Faute d’ouverture d’une information judiciaire, il reviendra à la juridiction du fond de connaître d’une éventuelle exception de nullité soulevée par le prévenu.

Pour cohérente qu’elle paraisse, cette solution est discutable. Devant la juridiction de jugement, le débat portera sur la question de la confiscation des biens. Or, la confiscation n’a pas pour préalable nécessaire la saisie. En conséquence, si rien ne fera obstacle à la contestation de la régularité des perquisitions, l’exception de nullité ainsi soulevée n’aura aucun intérêt s’agissant de biens à propos desquels la question n’est plus celle de la saisie mais celle de la confiscation.

En troisième lieu, la Cour de cassation rappelle le principe de proportionnalité de la saisie pénale. Selon elle, est inopérant le grief tiré de la violation de ce principe « dès lors que cette saisie a porté, sans en excéder le montant, sur la valeur de l’objet ou du produit direct ou indirect supposé de l’infraction ».

Là encore, la Haute juridiction élude une question pourtant intéressante. Le requérant ne remettait pas en cause la proportionnalité de la saisie ; il reprochait à la chambre de l’instruction de ne pas avoir démontré sa nécessité.

Selon le mis en cause, la saisie pénale constitue une mesure de contrainte dont l’article préliminaire du Code de procédure pénale précise qu’elle doit certes être proportionnée à la gravité de l’infraction mais également strictement limitée aux nécessités de la procédure.

Or, pour démontrer la nécessité d’une saisie pénale, il ne suffit pas d’affirmer qu’elle permettra de garantir l’exécution de la peine complémentaire de confiscation, encore faut-il démontrer en quoi existerait en l’espèce un risque de dissipation des biens.

Le parallèle avec une mesure de contrainte comme la détention provisoire rend cette argumentation particulièrement séduisante.

En effet, il est incontestable que la détention provisoire permet d’éviter la fuite du mis en examen. Pour autant, ce motif ne saurait être retenu qu’à la condition qu’existent, à l’égard du mis en examen concerné, des éléments circonstanciés démontrant l’existence de ce risque de fuite. La chambre criminelle censure systématiquement les décisions qui se limitent à des considérations générales et omettent de préciser en quoi les faits de l’espèce justifient la détention provisoire (par exemple, Cass.crim, 7 août 1990, n°90-83294).

Dès lors, il serait logique d’exiger que la motivation d’une saisie pénale porte non seulement sur la proportionnalité d’une telle mesure mais avant cela sur sa nécessité. Ainsi faudrait-il démontrer, par une appréciation in concreto, en quoi existe un risque de dissipation du bien justifiant l’existence même de la saisie. De la même manière que tout mis en examen n’a pas vocation à tenter une cavale à l’étranger, le propriétaire d’un bien n’a pas nécessairement l’intention ou les capacités de se livrer à l’exercice périlleux de l’organisation de son insolvabilité, d’autant que l’intervention de tiers de mauvaise foi ne ferait pas obstacle à la confiscation.

En l’état, la chambre criminelle paraît hermétique à cette argumentation et semble se satisfaire de la Lapalissade selon laquelle la saisie pénale vise à garantir l’exécution d’une éventuelle peine de confiscation.

Matthieu Hy Avocat au Barreau de Paris www.matthieuhy.com [mail->contact@matthieuhy.com]