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Homicide involontaire et accessibilité à une peine pénale. Par Michel Benezra, Avocat.
Parution : jeudi 16 novembre 2017
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Quelle peine pénale, quelle sanction pénale risque un homme impliqué dans un accident de la route, poursuivi pour homicide involontaire devant le tribunal correctionnel alors qu’il a lui-même été gravement blessé dans l’accident, de sorte qu’il se présente à son procès, handicapé et complètement atteint psychologiquement ? Se pose alors la question de l’accessibilité à la peine pénale du prévenu poursuivi pour homicide involontaire.

Les faits sont d’une gravité assez rare pour être soulignés. Le prévenu circulait à contresens sur autoroute, et de surcroit avec un taux d’alcool assez important. L’accident fut inévitable, le passager du prévenu et le conducteur du véhicule avec lequel le véhicule du prévenu est entré en collision frontale, sont décédés tous les deux. L’affaire a fait la Une de tous les journaux locaux, et tout le monde s’est indigné de ce comportement irresponsable du chauffard impliqué et poursuivi pour homicide involontaire.

Le prévenu était néanmoins gravement accidenté, et était entre la vie et la mort. Il survivra et le juge des libertés et de la détention tentera de l’incarcérer provisoirement dans une partie de l’hôpital où il recevait ses soins. La chambre de l’instruction en décidait autrement et le plaçait sous contrôle judiciaire au motif que son état était incompatible avec la détention.

Les mots nous manquent parfois pour décrire l’horreur d’un accident, mais ils nous manquent aussi souvent pour décrire l’acharnement procédural de certains magistrats.
Le prévenu dans cette affaire était condamné à passer le reste de ses jours en chaise roulante, sa colonne vertébrale ayant été touchée, et avait de graves problèmes de mémoire et d’élocution.
En deux ans d’instruction, le magistrat instructeur n’a jamais pu obtenir de réponse à ses questions. Le prévenu, interrogé sur son lit d’hôpital dans un premier temps, puis dans le bureau du juge, n’avait aucun souvenir et avait de graves problèmes d’élocution, oubliant dans 90% des questions le début de la question à la fin de cette dernière. Il manifestait de la compassion pour les victimes tout en ne se rappelant de rien, ni même de l’identité de la victime présente à ses côtés le jour du drame.

En 2016, le magistrat souhaitant s’assurer de la réalité des absences psychologiques, des pertes de mémoire, et de la compréhension par le prévenu, faisait intervenir un expert judiciaire.
Ses conclusions étaient sévères, le prévenu ne simulait certainement pas mais contre toute attente, restait accessible à une peine pénale.
Lorsque le juge d’instruction a été muté, un autre est venu prendre la relève et renvoyait alors le prévenu (sans l’avoir vu une seule fois) devant le tribunal correctionnel en 2017.

Pendant la durée de l’article 175 du CPP notifiant la fin de l’instruction, les avocats du prévenu n’ont pas hésité à déposer une requête pour faire constater l’aggravation de la santé du prévenu et surtout pour faire constater, un an plus tard, qu’il ne comprenait pas la moindre question et n’était donc pas accessible à une peine pénale.

Le magistrat instructeur rejetait la demande et la chambre de l’instruction a été saisie dans la foulée.
Contre toute attente, le prévenu recevait une convocation à une audience devant le tribunal correctionnel de Macon.
Les avocats soucieux pour leur client, contactaient alors la Chambre de l’instruction qui n’avait pas statué sur leur demande d’expertise (très rare) au motif que la cour d’appel avait été trop chargée que cette expertise n’allait pas dans le sens de la manifestation de la vérité.
C’est donc par une ordonnance motivée de la sorte, jamais notifiée, que la Chambre de l’instruction avait botté en touche.

C’est tout naturellement que les avocats du prévenu déposaient alors une requête afin de faire désigner un expert avec à l’appui, de nombreuses pièces médicales constatant l’aggravation de la santé du prévenu depuis la première expertise en 2016.

Rappelons, que le prévenu risquait jusqu’à 10 ans d’emprisonnement en théorie, et entre 5 et 6 ans de prison fermes en pratique (contresens, alcool, 2 morts, 2 blessés). Le parquet s’opposait par principe à cette demande considérant qu’une nouvelle expertise n’excluait pas une nouvelle demande dans 6 mois pour aggravation de nouveau et qu’il fallait le juger alors immédiatement avant que son état se détériore vraiment.
Le président du tribunal rejoignait les observations de Madame le procureur considérant, comme les parties civiles, que le prévenu comprenait le sens du procès et était alors accessible à une peine pénale.

Il faut noter que ce débat, sur l’octroi ou pas de la désignation d’un médecin expert, s’est déroulé avant qu’on ait pu poser la moindre question au prévenu. En effet, cette demande doit être introduite in limine litis avec l’inconvénient que les magistrats n’évaluaient l’état psychologique que sur pièces.

Il était essentiellement reproché l’absence d’expertise psychologique du prévenu en amont pour justifier cette demande d’expertise sauf que les avocats ont découvert le rejet de leur demande auprès de la chambre de l’instruction lorsque le prévenu a reçu sa citation à comparaître pour homicide involontaire (ordonnance de rejet jamais notifiée aux parties d’où l’inaction) soit il y avait moins d’un mois.
L’affaire a donc été prise en l’état.

L’avocat de la défense, en accord avec la famille, a quitté la salle pendant 20 minutes afin de laisser seul le prévenu face à ses juges.
De retour dans la salle, l’avocat interrompait le président pour demander à son client s’il avait compris tout ce que lui disait ce dernier.
La réponse du prévenu fut troublante car elle n’était constituée que de mots, sans phrase et elle traduisait l’ambiance de ce procès : « comprends rien, parle vite, fatigué, rentre… »

Le président s’emportait alors : « Maître respectez la décision du Tribunal qui a considéré qu’il n’y avait pas besoin d’expertise »

Et l’avocat de répondre : « je la respecte intégralement, je ne tire que les conséquences de votre propre décision ».

Après 3 heures de débats, en la forme d’un monologue, les magistrats se rendaient à l’évidence que le prévenu n’avait pas forcément toutes ses facultés.
Le Président sans doute exaspéré par ce silence, interrogeait alors directement la femme du prévenu qui tenait le micro.
L’avocat de la défense rappelait alors au Président que sa femme n’avait ni la qualité de prévenu, ni celle de témoin et qu’il fallait interroger exclusivement le prévenu.

En conclusion, certaines parties suspectaient le prévenu de simuler. Néanmoins, en refusant l’expertise, les magistrats se sont enfermés dans un raisonnement qui imposait une sanction modérée. En effet, comment sanctionner sans tenir compte de cet état de dépendance totale, de cette absence de compréhension et autres. Les avocats ne sont pas médecins et les juges le sont encore moins. Comment rendre la justice qui doit être impartiale sans prendre un avis d’un médecin. Pour la bonne administration de la justice, nous pensons que les demandes d’expertise ne doivent pas être négligées et surtout demandées systématiquement au moindre doute.
Dans tous les cas, cette demande qu’elle soit acceptée ou refusée, vous l’aurez compris, servira les intérêts du prévenu. Le prévenu dans cette affaire a été condamné à 4 ans d’emprisonnement avec sursis.

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