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La très contestable « barémisation » des indemnités prud’homales. Par David Masson, Avocat.
Parution : jeudi 16 novembre 2017
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Le barème tant décrié ne concerne que les dommages intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse du licenciement. Pas de quoi céder à la panique, toutes les autres demandes prud’homales ne sont pas plafonnées et seront toujours réparées intégralement ! Par ailleurs, il semble manifeste que cette disposition se heurte à des obstacles juridiques et pratiques, qu’il conviendra d’exposer.

Jusqu’à présent quels étaient les dommages intérêts octroyés par les juges prud’homaux ?
Premièrement, les juridictions du fond, sauf exception due à une situation particulièrement abusive, n’accordent souvent que le plancher issu de l’article L 1235-3 du Code du travail, soit une somme de 6 mois de salaires. Et ce, quelle que soit l’ancienneté du salarié licencié.
Rappelons-nous que ce plancher n’est valable que dans les établissements comptant au moins 11 salariés, vis-à-vis d’un demandeur pouvant justifier au moins 2 ans d’ancienneté.

Alors, une fois ce constat fait, de quoi s’agit-il finalement quand on parle de barème des indemnités prud’homales ?
De deux barèmes pour limiter le pouvoir du juge. L’un concernant les entreprises d’au moins 11 salariés et l’autre, concernant les entreprises de moins de 11 salariés. Un plancher est prévu et des plafonds aussi. Inutile de parler du plancher, celui-ci est tellement bas (3mois de salaires) qu’il ne pourra être appliqué en tant que tel par les juges (surtout en appel).
Les plafonds eux, se situent environ à un mois de salaire par année d’ancienneté, jusqu’à 20 mois de salaires pour 30 ans d’ancienneté. Gardons à l’esprit que 20 mois de salaires bruts de dommages intérêts sont une somme considérable, exceptionnellement accordée aux demandeurs (même justifiant de 30 années d’ancienneté).

Ceci étant, l’instauration de ces planchers et plafonds posent de sérieux problèmes, tant vis-à-vis de leur constitutionnalité, que de leur conventionnalité que de leur effectivité vis-à-vis du principe de réparation intégrale des préjudices subis, puisqu’un seul critère est pris en compte : l’ancienneté du salarié concerné.

I) Une réforme en contradiction avec le droit international du travail.

L’ordre juridique français ne place pas la loi, ni les actes règlementaires au sommet de la hiérarchie des normes. Les traités internationaux et la constitution leurs sont supérieurs. A cet égard, en ce qui concerne les traités internationaux, la convention 158 de l’organisation internationale du travail a une valeur supérieure à l’ensemble des textes internes, dont la loi et les actes administratifs (telles les ordonnances). La charte européenne des droits sociaux aussi.

De ce fait, si on ne doute pas un instant, que lesdites ordonnances seront validées par le Parlement et deviendront prochainement des dispositions législatives à part entière, en revanche, il faut garder à l’esprit que les justiciables peuvent présenter au juge, dans le cadre d’un procès, une demande relative à l’analyse de la conformité de la loi interne au droit international.

Dans le cas où il est manifeste que le droit français n’est pas conforme au droit international, le juge doit écarter l’application du premier et, privilégier le second qui lui est supérieur.

De ce fait on constate que bon nombre de dispositions de la réforme de Macron se heurtent aux conventions internationales 158, 98 et 87 de l’OIT, dont la France est partie.

Exemple : en ce qui concerne notamment, le plafonnement des dommages intérêts prud’homaux.
Il est manifestement inconventionnel de limiter la réparation intégrale des préjudices subis par un salarié licencié sans cause réelle et sérieuse. Cela est contraire à l’article 10 de la convention OIT qui impose une réparation intégrale. Les salariés auront tout intérêt à demander aux conseils de prud’hommes, aux cours d’appel et à la Cour de cassation, d’écarter les dispositions nouvelles du code du travail prévoyant un plafonnement car celles-ci sont incompatibles avec l’article 10 de la convention internationale OIT, qui leur est supérieur.

De ce fait, il faudra soulever que les dispositions internes obligeant le juge à ne retenir que l’ancienneté du salarié, comme élément d’appréciation du préjudice subi, est incompatible avec les textes internationaux, lesquels obligent les juges internes, à procéder à la réparation intégrale des préjudices subis par les salariés licenciés, au-delà de la seule prise en compte de l’ancienneté.
Ainsi, sur le sujet, un nouveau contentieux risque d’apparaître et sera très abondant.
Au sein d’un autre article, nous avons déjà évoqué que ces barèmes, planchers et plafonds, ne concernaient uniquement que les contestations liées à l’absence de cause réelle et sérieuse des licenciements. Il faut donc immédiatement garder en tête que ce sont seulement ces demandes qui font l’objet d’un barème.

A ce titre, toutes les autres demandes, font l’objet d’une réparation forfaitaire (préavis, indemnité légale, indemnité forfaitaire pour travail dissimulé) et sont donc imposées au juge.

Et, concernant les autres demandes, visant la réparation de tout autre préjudice distinct, le juge dispose d’un entier pouvoir d’appréciation, sans aucun barème.

Ainsi, si dans les cas d’agissements de harcèlement, de discrimination ou de violation de liberté fondamentale, le juge évalue librement, en fonction de tous les éléments du dossier, la réparation à accorder au salarié.

II) La Cour de cassation hostile à cette atteinte à la fonction de juger.

Très récemment la Cour de cassation, à l’occasion de plusieurs arrêts rendus en date du 13 septembre 2017 a rappelé son opposition au plafonnement des dommages intérêts de la réforme Macron, en ce que les juges du fond disposent seul du pouvoir d’appréciation des préjudices subis par les salariés du fait de leurs pertes injustifiées de leurs emplois. Cela signifie que la Cour de cassation est farouchement opposée à l’application de ce barème par les conseils de prud’hommes et les cours d’appel.

En second lieu, au sein des arrêts rendus, la Cour de cassation réaffirme que les préjudices distincts de la perte d’emploi injustifiée (absence de cause réelle et sérieuse), doivent être réparés intégralement. C’est un rappel aux juges du fond qu’il leur est tout indiqué de ne pas hésiter à assortir leurs décisions de condamnation, à des dommages intérêts supplémentaires en cas de constatation de préjudices distincts subis.

A cet égard, ceux-ci ne font l’objet d’aucun plafonnement comme d’aucun plancher.

C’est le cas :
Dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail. Par exemple, dans le cas où l’employeur surcharge le salarié de travail, dans le cas où il ne lui donne pas les moyens de pouvoir exécuter ses missions..., une réparation intégrale doit être accordée par le juge, outre les dommages intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse du licenciement. Ce type de préjudice est de plus en plus souvent reconnu par les juges du fond.
Dommages intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat, provoquant un burn-out par exemple. Relativement à ce type de manquement de l’employeur, une réparation intégrale du préjudice distinct du licenciement doit être accordée au salarié. Aucun barème encore.
Dommages intérêts pour préjudices liés aux circonstances vexatoires du licenciement. Lorsqu’un licenciement est jugé comme étant dénué de toute cause réelle et sérieuse, si celui-ci est intervenu dans des circonstances, brutales, vexatoires, humiliantes... une réparation distincte et intégrale doit être allouée au salarié. Aucun barème non plus.
Enfin, en présence de sommes dues au titre de salaires, congés payés, heures supplémentaires, de repos compensateurs etc, les sommes allouées sont calculées intégralement et ne font l’objet d’aucun barème, ni forfait.

III) Un barème cantonné qu’à la réparation d’ un seul poste de préjudice : l’ancienneté du salarié.

Le but du gouvernement est de décourager les salariés de se défendre contre leurs licenciements abusifs, en tentant d’instaurer un barème défavorable aux victimes et, qui s’imposerait soi-disant au juge. A la lecture des ordonnances du 24 septembre 2017, on remarque que celles-ci fixent un plancher et un plafond, qui ne concerneront finalement que les simples dommages intérêts liés au seul préjudice lié à l’ancienneté.

Et, puisque la loi ne peut sous aucun prétexte, priver les parties de présenter d’autres demandes, basées elles-mêmes, sur la prise en compte d’autres postes de préjudices, elle ne peut non plus, interdire au juge d’apprécier l’existence d’autres préjudices du salarié, distincts de sa seule ancienneté. Ainsi, l’objectif dangereux du gouvernement d’attenter à la fonction de juger, s’effondre déjà inexorablement, comme un petit château de cartes.

Nous avons vu précédemment que ce barème voulu par le Gouvernement, en ce qui concerne les dommages-intérêts qui seraient octroyés aux salariés victimes de licenciement sans cause réelle et sérieuse, semblait manifestement non-conventionnel, pour être contraire aux conventions OIT de l’ONU et à la charte européenne des droits sociaux, qui imposent aux États membres, de garantir légalement, une réparation intégrale des préjudices subis et non calculée sur la seule prise en compte de l’ancienneté.

Nous avons aussi rappelé, que la Cour de cassation, à l’occasion de 8 arrêts rendus le 13 septembre 2017, rappelle aux juges du fond, qu’ils sont souverains pour décider de la réparation à allouer aux salariés victimes de licenciements dénués de cause réelle et sérieuse et que, lesdits juges sont tout aussi souverains pour apprécier l’existence de préjudices distincts de celui de la perte injustifiée d’emploi et d’en ordonner la réparation intégrale.

Lorsqu’on lit les ordonnances Macron-Philippe-Penicaud (qui ne font qu’exaucer une vieille lune stérile du MEDEF), on constate que celles-ci tentent de limiter le pouvoir souverain du juge en ne visant la réparation que d’un seul type de préjudice subi, l’ancienneté du salarié.

Mais cette façon de procéder du Gouvernement est juridiquement inopérante pour que celui-ci parvienne à ses fins, relatives à la restriction de leurs droits à réparation pour les victimes puisque. En effet, si seule l’ancienneté est barémisée, alors tous les autres préjudices relèvent par voie de conséquence, d’une appréciation souveraine du juge !

Dommage semblerait-il pour les auteurs de cette réforme.
Il semblerait que les auteurs de ces ordonnances n’aient pas réalisé que tout ce qui n’est pas compris dans la définition de ce barème, en échappe, fatalement, ne leur en déplaise.
Par conséquent, il est bien entendu loisible et hautement conseillé aux salariés victimes (outre le fait de demander au juge d’écarter ledit barème non-conventionnel) de présenter au juge des demandes de dommages intérêts supplémentaires, à ceux prévus par ledit barème ancienneté, lesquelles seront basées sur :
- L’âge,
- Les compétences et le degré de formation,
- L’employabilité,
- Le fait d’être chargé de famille et d’avoir des enfants à charge,
- Etc.

Chacune de ces demandes de réparation sera estimée sans barème et donc de manière souveraine par le juge. N’en déplaise encore aux auteurs des ordonnances, comme aux quelques supporters de ces dernières !

De ce strict point de vue, il sera possible pour les plaideurs, d’obtenir une réparation intégrale de leurs préjudices, pourvu que la démonstration de ceux-ci soit procédée, bien entendu.

Nous ne pouvons que conseiller aux salariés inquiets, de se rassurer et, d’oublier immédiatement les bien pauvres simulateurs d’indemnités, mis en place par certains sites internet (dont celui du Gouvernement Philippe), et qui forcément ne les renseigneront que sur leur préjudice restrictivement et faussement estimé, sur la seule base de leur ancienneté, alors que les juges tiendront compte de tous les autres préjudices subis et démontrés, par les salariés victimes de licenciements sans cause réelle et sérieuse.

Et pour cause, concernant par exemple 2 salariés justifiant de 6 années d’ancienneté, l’un a 25 ans et l’autre en a 50, les préjudices ne sont aucunement identiques. L’un a 3 enfants et l’autre 0, les préjudices ne sont absolument pas identiques.

Les juges ne pourront refuser de prendre en compte dans l’indemnisation allouée, les autres préjudices qui ne sont pas inclus dans la réparation « barémisée », du fait de la seule ancienneté.

Nous concluons donc, qu’il n’y a absolument pas lieu, plus que jamais, pour les salariés victimes de licenciements abusifs, de renoncer à faire valoir leurs droits.

David MASSON Avocat au barreau de GRASSE Associé-Gérant de la SELARL DMA www.davidmasson-avocat.fr