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L’entreprise adaptée, vecteur de justice sociale en faveur des salariés fragilisés. Par Jennifer Darmaillacq, Responsable ressources humaines.
Parution : vendredi 17 novembre 2017
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En vertu de l’article L. 144-1 du Code de l’action sociale et des familles, « toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté ». L’accès à l’emploi, qui constitue l’un de ces droits fondamentaux, reste pourtant une garantie précaire.

Les personnes en situation de handicap font face, d’une part, à des périodes d’inactivité particulièrement importantes, et d’autre part, à un taux de chômage qui se développe deux fois plus rapidement que celui des personnes valides. Ces difficultés sont d’autant plus préjudiciables que la fonction intégratrice de l’emploi est essentielle, tant matériellement par le revenu d’activité qu’il procure, que symboliquement, le travail étant perçu comme un moyen de réalisation personnelle.

Face à ce constat, une législation sociale spécifique a été adoptée, afin d’encourager l’emploi des personnes bénéficiant d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. L’accès à l’emploi des personnes fragilisées passe désormais par deux modalités : le travail en milieu ordinaire, et le travail en milieu protégé et adapté.

Le travail en milieu ordinaire concerne la majorité des personnes handicapées. Cet état de fait est notamment dû à la loi n°87-517 du 10 juillet 1987, qui a institué une obligation pour les employeurs publics et les établissements privés de 20 salariés et plus, d’employer des travailleurs handicapés dans la proportion de 6% de leurs effectifs. Afin de remplir cette obligation, les employeurs peuvent soit employer directement des personnes handicapées, soit recourir à la sous-traitance avec des entreprises adaptées (EA) ou des établissements et services d’aide par le travail (ESAT).

Les EA sont de véritables entreprises, qui appartiennent au milieu ordinaire du travail, tandis que les ESAT sont des organismes du milieu protégé, qui offrent des activités professionnelles et un soutien médico-social à des personnes handicapées dont il a été reconnu qu’elles n’étaient pas capables « momentanément ou durablement, à temps plein ou à temps partiel, ni de travailler dans une entreprise ordinaire ou dans une entreprise adaptée ou pour le compte d’un centre de distribution de travail à domicile, ni d’exercer une activité professionnelle indépendante ».

Afin de vous dresser un panorama exhaustif de la règlementation applicable aux entreprises adaptées, il convient tout d’abord de définir ces structures juridiques spécifiques (I), avant d’exposer la réalité socio-économique à laquelle elles sont confrontées (II).

I. L’entreprise adaptée : une structure juridique spécifique

I.I. La définition juridique de l’entreprise adaptée

L’EA est une entreprise à part entière, qui permet à des personnes reconnues travailleurs handicapés d’exercer une activité professionnelle salariée dans des conditions adaptées à leurs besoins.

La vocation d’une EA est de soutenir et d’accompagner l’émergence et la consolidation d’un projet professionnel du salarié handicapé à efficience réduite, en vue de sa valorisation, sa promotion et sa mobilité au sein de la structure elle-même, ou vers les autres entreprises.

Les effectifs de production d’une EA doivent comporter au moins 80% de travailleurs handicapés.
Ce pourcentage s’applique aux effectifs qui concourent directement à la production, et exclut donc par conséquent la main d’œuvre indirecte, l’encadrement de production, le personnel de direction, de gestion ou commercial, pour lequel l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés n’est pas exigée. Leur emploi n’est toutefois pas impossible sur ces postes de travail.

Remarque :
Le fait que les effectifs de travailleurs handicapés soient comptabilisés uniquement sur des postes de production n’est pas sans poser une problématique morale. Cette disposition présuppose en effet l’incapacité des travailleurs handicapés à accéder à des fonctions qualifiées.

Le travailleur handicapé employé dans une entreprise adaptée reçoit un salaire, fixé compte tenu de l’emploi qu’il occupe et de sa qualification, par référence aux dispositions légales ou conventionnelles applicables dans la branche d’activité. Ce salaire ne peut être inférieur au salaire minimum de croissance.

L’employeur a donc pleine responsabilité des salaires, et des charges y afférentes dans le cadre des textes en vigueur.

I.II. L’agrément administratif de l’entreprise adaptée

L’EA conclue, avec l’autorité administrative, un contrat d’objectif triennal (COT), valant agrément.

Le COT conditionne la reconnaissance en tant que telle de l’EA, et l’octroi du soutien financier de l’État, qui se décompose de la manière suivante :

- une aide au poste, destinée à aider l’employeur à rémunérer ces salariés à hauteur du SMIC ;
- une subvention spécifique, destinée à soutenir les structures pour permettre leur modernisation, améliorer leur stratégie commerciale et de ressources humaines, et permettre l’adaptation aux mutations économiques.
Elle-même est composée d’une partie forfaitaire, d’une partie affectée sur la base de critères et d’une partie variable correspondant aux projets incluant les aides pour structure en difficultés.

Le COT détermine les caractéristiques, les projets de la structure, et fixe ses engagements sur trois ans.

II. L’entreprise adaptée : une structure à la réalité socio-économique singulière

II.I. Les surcouts inhérents à l’entreprise adaptée

Les EA supportent des surcoûts par rapport aux entreprises ordinaires. Dans le cadre d’une étude établie par KPMG, trois types de surcoûts ont été identifiés :
- des surcoûts liés à un différentiel de productivité ;
- des surcoûts liés à un encadrement supplémentaire ;
- des surcoûts techniques.

Le surcoût par entreprise adaptée représente en moyenne 66% de son chiffre d’affaires par an.

II.II. Les critères d’éligibilité à l’aide au poste et à la subvention spécifique

Au terme de l’arrêté du 24 mars 2015, le recrutement en EA peut être direct, ou indirect (grâce à l’intervention du service public de l’emploi ou des organismes de placement spécialisés).

Pour être éligibles à l’aide au poste et à la subvention spécifique, outre le fait d’être titulaires d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé et être orientées vers le marché du travail par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, les personnes handicapées recrutées directement par les entreprises adaptées ou les centres de distribution de travail à domicile, et non proposées par le service public de l’emploi ou les organismes de placement spécialisés , doivent :
- soit bénéficier de l’allocation adulte handicapé ;
- soit sortir d’un établissement ou service d’aide par le travail, d’une autre entreprise adaptée ou d’un centre de distribution de travail à domicile ;
- soit sortir ou être suivies par un établissement de santé et notamment un centre hospitalier régional, un centre hospitalier spécialisé ou un établissement de soins de suite et de réadaptation ou un service d’hospitalisation à domicile ;
- soit sortir d’une institution ou services spécialisés et notamment d’un institut médico-éducatif, d’un institut d’éducation motrice, d’un institut médico-professionnel, d’un service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés ;
- soit sortir d’une unité localisée pour l’inclusion scolaire ou d’apprentissage adapté ;
- soit être suivies par un service d’accompagnement social : service de soins et d’aide à domicile, service d’éducation spéciale et de soins à domicile, service d’aide à la vie sociale.

Remarque :
Ces critères se révèlent parfaitement inadaptés, tant dans le cadre d’un recrutement indirect (a) que direct (b).

a. Recrutement indirect

Les travailleurs bénéficiaires d’une RQTH, et proposés par le service public de l’emploi peuvent ne pas avoir été orientés vers le marché du travail (OMT). Il s’agit d’un document établi à la demande du travailleur, et délivré en même temps que la RQTH. Peu de personnes en connaissant l’existence, très peu de salariés en sont bénéficiaires. Par ailleurs, de nombreuses Maison Départementale des Personnes Handicapées refusent d’attribuer des OMT au motif que le défaut d’orientation vers le milieu protégé, vaut orientation vers le milieu ordinaire.

Les travailleurs bénéficiaires d’une RQTH et d’une OMT doivent, pour être éligibles à l’aide au poste, demander à leur conseiller référent au Cap emploi, au Pôle emploi, ou à la Mission Locale une prescription en EA.
Malgré un travail de formation au sein de ces institutions, peu de conseillers Pôle emploi sont sensibilisés aux spécificités d’emploi des travailleurs handicapés. En outre, une grande incompréhension demeure car les conseillers ont la conviction que de leur signature dépendra l’attribution d’une aide au poste. Or, il n’en est rien. En effet, la réunion de l’ensemble des critères (dont la prescription) permet seulement à l’EA de demander l’aide au poste.

Les travailleurs bénéficiaires d’une RQTH peuvent ne pas avoir été orientés vers le marché du travail, et ne pas remplir les critères pour l’établissement d’une prescription (alors même qu’ils sont suivis et nous ont été adressés par le Pôle emploi, le Cap emploi, ou la Mission Locale).

L’ensemble des critères concernés devant être réuni au jour de l’embauche, n’est pas éligible à l’aide au poste un salarié répondant aux exigences en cours de contrat.

b. Recrutement direct

Les travailleurs handicapés recrutés, bénéficiaires d’une RQTH et d’une OMT, peuvent ne pas répondre à l’un des critères permettant d’être éligible à l’aide au poste dans le cadre d’un recrutement direct.

En conclusion, les EA font face à une règlementation contraignante, et inadaptée à la réalité économique et sociale actuelle. La multiplicité des critères, la diversité des interlocuteurs et les délais inhérents au dialogue avec l’administration française complexifient les démarches.
Ces éléments sont un frein non négligeable au recrutement de travailleurs handicapés, dans un contexte de développement des entreprises adaptées.

Jennifer Darmaillacq Responsable Ressources Humaines - HOTRAVAIL
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