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Salariés, sachez contester le harcèlement moral dont vous êtes victime en 2017. Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : samedi 18 novembre 2017
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Le législateur a mis en place un barème obligatoire pour les licenciement notifiés à compter du 24 septembre 2017 qui fixe l’indemnité due au salarié lorsque son licenciement est jugé sans cause réelle ni sérieuse.

Ce barème n’est pas applicable aux victimes de harcèlement moral (article L.1235-3-1 du Code du travail) qui sollicitent la nullité de leur licenciement. L’indemnité pour licenciement nul ne peut alors être inférieure au salaire des 6 derniers mois.

C’est dire que la jurisprudence protégeant le salarié victime de harcèlement moral développé par les Juges conserve sa pleine autorité (en savoir plus).
En 2017 les juges ont priorisé l’obligation de sécurité de résultat en matière de harcèlement moral (1), la protection du salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral (2), les règles de preuve du harcèlement moral (3).

1. L’employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat de prévention, et de sanction du harcèlement moral.

Contrairement à l’interprétation qui a pu être faite de l’arrêt « AIR France » du 25 novembre 2015 (n°14-24444), la Cour de cassation maintient une application étendue de l’obligation de sécurité de résultat en matière de prévention et de sanction du harcèlement moral.

Deux décisions rendues en 2017 sanctionnent l’employeur qui n’a pas agi suffisamment en amont pour prévenir le harcèlement moral dans son entreprise.

1ère espèce : Dans son attendu, la Cour de cassation réaffirme l’obligation de résultat de l’employeur en matière de prévention du harcèlement moral qui ne semble pas pouvoir échapper à une sanction pour défaut de prévention du harcèlement moral « quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements » :
« Mais attendu que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements ».

Certes dans cette décision l’employeur apparaissait avoir agi très tardivement et la cour d’appel avait souverainement déduit « tant de l’absence de justification par l’employeur d’éléments objectifs étrangers à tout harcèlement que de son absence de réaction immédiate et appropriée aux faits dénoncés par le salarié » que l’employeur avait manqué à son obligation de résultat (Cassation chambre sociale arrêt du 13 juillet 2017 n°16-13734).

Néanmoins on peut comprendre cette décision comme un rappel à l’ordre de la Cour de cassation sur l’obligation de résultat de l’employeur de prévenir très en amont le harcèlement moral et de le faire cesser immédiatement dès qu’il en a été informé.

2ème espèce : La seconde décision s’inscrit dans la cohérence de l’arrêt « AIR France », l’employeur sanctionné n’ayant pas pris toutes les mesures permettant de prévenir le harcèlement moral :
« Mais attendu qu’ayant relevé par des motifs non critiqués que la salariée avait été victime d’agissements de harcèlement moral à l’origine d’un arrêt de travail pour maladie, la cour d’appel, qui a exactement rappelé les dispositions de l’article L.4121-1 du Code du travail dont il résulte qu’elles imposent à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, et qui a constaté, d’une part, que l’employeur ne justifiait pas avoir pris toutes les mesures propres à prévenir la survenance des agissements de harcèlement moral dont était victime la salariée…., n’a fait qu’appliquer les dispositions des articles L.1152-2 et L.1152-3 du Code du travail en statuant comme elle l’a fait » (Cassation chambre sociale arrêt du 5 juillet 2017 n°16-14216).

2. Les juges protègent le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral.

L’article L.1152-2 du Code du travail protège le salarié qui ne doit faire l’objet d’aucune sanction, licenciement, ou mesure discriminatoire pour avoir dénoncé, témoigné de faits de harcèlement moral.

Or, dans les faits il n’est pas toujours aisé pour un salarié de démontrer que la sanction, le licenciement qui lui a été notifié constitue une mesure de rétorsion prohibée de l’employeur.

C’est ici que les juges interviennent, souverains dans l’interprétation des faits, pour caractériser ou non l’existence d’une sanction illicite à l’encontre du salarié harcelé ou témoin d’un harcèlement moral, sous le contrôle de légalité de la cour suprême qui a :

1ère espèce  : Approuvé les juges du fond d’avoir « relevé qu’à la suite de la dénonciation des agissements de harcèlement moral de son supérieur par le salarié, jamais sanctionné au cours des 10 années précédentes, l’employeur avait pris à son encontre deux mesures disciplinaires successives et que les faits reprochés étaient intervenus concomitamment aux agissements de harcèlement moral, la cour d’appel en ayant exactement déduit la nullité du licenciement » (arrêt précité 13 juillet 2017 n°16-13734).

2ème espèce : cassé l’arrêt d’appel :« Attendu cependant que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ;
Qu’en se déterminant comme elle a fait, alors qu’elle avait constaté que le salarié avait informé la société de son action prud’homale par lettre du 21 octobre 2010 en raison de faits de harcèlement moral dont il se prétendait victime de la part du président du groupe, que ce dernier avait réfuté cette accusation par lettre du 29 octobre et que la lettre de licenciement du 16 novembre faisait état de cette accusation de harcèlement évoquée comme stratégie de défense inacceptable, la cour d’appel, qui ne s’est pas expliquée sur la concomitance entre la dénonciation des faits et le déclenchement de la procédure de licenciement, ni sur les termes des lettres précitées du président du groupe reprochant au salarié les accusations de harcèlement moral formulées à son encontre, n’a pas légalement justifié sa décision » (Cassation chambre sociale 3 février 2017 n°15-16340).

Dans ces deux arrêts c’est la concomitance entre la dénonciation de faits de harcèlement et la procédure de licenciement engagée qui a permis de caractériser une sanction prohibée par l’article L.1152-2 du Code du travail du salarié harcelé.

3. La loi n°2016-1088 du 8 août 2016 a assoupli les règles de preuve du harcèlement moral par le salarié harcelé.

Alors qu’il devait « établir » des faits de harcèlement moral, le salarié harcelé doit désormais « présenter » au Juge des éléments de fait laissant supposer l’existence du harcèlement moral, l’employeur devant de son côté établir que les agissements invoqués ne constituent pas un harcèlement moral et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (article L.1154-1 du Code du travail).

Dès lors, la Cour de Cassation veille à ce que les juges du fond examinent «  l’ensemble » des éléments présentés par le salarié pour accueillir ou rejeter sa demande (en savoir plus).

C’est l’un des contentieux le plus important en matière de harcèlement moral puisque la Cour de cassation sanctionne régulièrement la méthodologie inadéquate des juges du fond qui rejettent le harcèlement moral invoqué par le salarié sans examiner l’ensemble des éléments qu’il présente :

1ère espèce : La cour d’appel a rejeté le harcèlement moral aux motifs que le CHSCT saisi par l’employeur n’aurait pas constaté l’existence d’un harcèlement moral tout en constatant que le Responsable hiérarchique qui avait un comportement inadapté avait été sanctionné par un avertissement de l’employeur, et que le salarié victime avait été écarté ponctuellement de l’agence pour une mission temporaire.

Relevant ces contradictions des juges du fond, la Cour de cassation juge : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que l’employeur avait sanctionné son supérieur hiérarchique pour les agissements dénoncés par la salariée à laquelle il avait proposé un éloignement ponctuel, de nature à apaiser la situation, ce dont elle aurait dû déduire que la salariée établissait des faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés » (Cassation chambre sociale 13 juillet 2017 n°16-12701).

2ème espèce  : Alors que l’arrêt d’appel constate que « seules les déclarations de la salariée à son médecin traitant permettent d’attribuer la constatation d’un stress et d’une anxiété intense à un harcèlement moral subi au travail…et que le rapport d’enquête du CHSCT établi que la salariée n’était pas victime de pressions et de conditions de travail difficiles », la Cour de cassation juge au contraire :
« Vu les articles L. 1152-1 et L.1154-1 du Code du travail... Qu’en statuant ainsi, sans examiner l’ensemble des éléments invoqués par la salariée à l’appui de ses allégations de harcèlement moral, parmi lesquels la mutation géographique à quatre-vingt kilomètres de son domicile, la mise en place d’une formation préalable et le refus de lui verser des congés payés la cour a violé les textes susvisés » (Cassation chambre sociale 22 février 2017 n°15-22378).

On remarquera dans ces deux décisions que la Cour de cassation fait fi de l’absence de reconnaissance du harcèlement moral du salarié par le CHSCT.

3ème espèce : S’agissant d’un salarié Responsable Technique et Délégués du Personnel la Cour de cassation constate :
« Qu’en se déterminant ainsi, sans prendre en compte l’ensemble des éléments allégués par le salarié, notamment l’absence de paiement par l’employeur du complément de salaire pendant l’arrêt maladie et le maintien de la mise à pied conservatoire nonobstant le refus de l’inspection du travail d’autoriser son licenciement, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » (Cassation chambre sociale 8 mars 2017 n°15-27579).

4ème espèce : De même à l’égard d’un salarié conseiller commercial licencié pour inaptitude qui invoquait un harcèlement moral en lien avec son inaptitude :
« Qu’en statuant ainsi, sans examiner tous les faits invoqués au titre du harcèlement par le salarié, lequel faisait valoir des comportements répétés de dénigrement et d’agressivité de la part du nouveau directeur et sans rechercher si dans leur ensemble, ces faits ne permettaient pas de présumer l’existence d’un harcèlement moral, et dans l’affirmative, d’apprécier les éléments de preuve fournis par l’employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». (Cassation chambre sociale 22 février 2017 n°15-28841).

Également :
- Cassation de l’arrêt de rejet de la cour d’appel relevant « des documents médicaux établissant la dégradation de l’état de santé » présentés par le salarié alors que les juges du fond n’ont pas « examiné les éléments invoqués par le salarié et (pris) en considération les documents médicaux produits afin d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral » (Cassation chambre sociale 26 janvier 2017 n°15-26202) ;
- En l’absence de prise de compte par la cour d’appel « des retenues sur son salaire dans des proportions dépassant le dixième et pour partie non justifiées par le versement d’acomptes préalables, » (Cassation chambre sociale 3 février 2017 n°15-15119) ;
- En l’absence de prise en compte par les juges du fond d’un salarié dont les attributions ont évolué avec un chargement de supérieur hiérarchique, un éloignement du siège social, des pièces médicales constatant une altération de sa santé psychique postérieure à son licenciement, ensemble de faits qui aurait dû être pris en considération par la cour d’appel laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral (Cassation chambre sociale 2 février 2017 n°15-27336) ;

En 2017, les juges démontrent qu’ils restent un rempart des plus efficaces aux abus et atteintes aux droits du salarié harcelé.

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com
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