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Expropriation : situation privilégiée et terrain agricole. Par Juliette Delgorgue, Avocat.
Parution : mercredi 22 novembre 2017
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Une précision quant à la définition de la notion de terrain de situation privilégiée en droit de l’expropriation.

Dans une décision rendue le 29 octobre 2015, la Cour de cassation saisie d’un pourvoi dirigé contre un arrêt rendu par la Chambre spéciale des expropriations de la cour d’appel de Douai est revenue sur la notion fondamentale en droit de l’expropriation, de terrain de situation privilégiée.

D’origine purement jurisprudentielle, cette notion englobe les parcelles qui ne peuvent être regardées ni comme des terrains à bâtir, ni comme des terrains agricoles.

Le Code de l’expropriation définit en effet restrictivement, dans son article L.322-3, la notion de terrain à bâtir.

Pour être qualifié comme tel, un terrain doit tout à la fois être situé dans un secteur constructible au document d’urbanisme et être desservi de manière effective par une voie d’accès et par des réseaux situés à proximité et d’une dimension adaptée à la capacité de construction de la parcelle.

Tirant le constat que bien des terrains ne pouvaient recevoir la qualification de terrain à bâtir mais que pour autant, ils n’étaient pas dénués d’intérêt au regard notamment de la présence de certains éléments d’équipements ou d’une situation géographique favorable (à proximité de zones urbanisées notamment), la Cour de cassation a reconnu l’existence de la catégorie intermédiaire dite des « terrains de situation privilégiée » (Cass. 3ème civ. 1er déc. 1993, Vigoureux c/ SNCF ; Cass. 3ème civ. 11 février 1998, Cne d’Othis c/ Taillade).

Outre l’intérêt purement juridique attaché à cette notion, cette création a eu un fort impact en termes financier pour les collectivités puisqu’elle a induit une forte majoration des indemnités dans le cadre de leur procédure d’expropriation, pour le plus grand bonheur des propriétaires qui, sans pouvoir prétendre à une indemnisation correspondant à une valeur de terrain à bâtir, se voyaient toutefois attribuer une valeur sensiblement supérieure à celle correspondant à des terres à vocation agricole sans spécificité particulière.

En pratique, dans l’hypothèse où la qualification de terrain à bâtir est retenue, cela interdit toutefois au juge d’allouer à l’exproprié une indemnité d’éviction agricole (Cass. 3ème civ. 11 juillet 2001) ou encore une indemnité pour suppression de plantations (Cass. 3ème civ. 6 février 2002).

La question se posait de savoir si le même raisonnement pouvait être appliqué pour les terrains de situation privilégiée.

Dans l’arrêt susvisé du 29 octobre 2015, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette interrogation.

La Haute Juridiction a en effet tranché dans un sens très favorable aux expropriés, en rappelant que les parcelles de situation privilégiée conservent leur caractère de terrain agricole, ce qui ouvre droit à une indemnité d’éviction, le but étant que l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation soit réparé.

Juliette DELGORGUE Avocat