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De la recherche à l’analyse statistique interactive des décisions de justice.
Parution : mercredi 22 novembre 2017
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Au-delà de la recherche de décisions de justice, les professionnels du droit ont de plus en besoin de pouvoir analyser et réaliser des statistiques afin de trouver la solution la plus pertinente aux cas qui leur sont soumis. C’est pourquoi, un certain nombre d’acteurs développent des outils dits de justice prédictive afin de répondre à ce besoin. Parmi ces nouvelles offres, il faut compter sur la dernière nouveauté de LexisNexis, « Données quantifiées JurisData », qui propose d’aller plus loin dans l’analyse des décisions en offrant la possibilité de rendre interactives et dynamiques les données nécessaires à l’analyse d’un cas.

Faire de l’analyse statistique et interactive en agrégeant les décisions : la data visualisation.

Données quantifiées JurisData est un outil lancé en 2016 qui s’appuie sur un travail de veille du contentieux indemnitaire de plusieurs années, initialement effectué pour concevoir un ouvrage, « Contentieux de l’indemnisation ». L’ouvrage a ensuite été remplacé par un premier service en ligne qui proposait l’accès aux décisions de justice et l’évaluation des indemnités dans six types de contentieux : aliments, bail, divorce, dommage corporel, trouble de voisinage, licenciement. Chacun étant ensuite redécoupé en plusieurs sous-thématiques, une trentaine au total. Données quantifiées JurisData hérite de ce périmètre jurisprudentiel. Il permet comme son prédécesseur, grâce à des critères prédéterminés, d’avoir accès sous forme de tableau aux décisions les plus importantes et intéressantes en lien avec le cas qui est soumis au professionnel. Mais il va plus loin, car il permet de restituer visuellement l’analyse statistique des décisions en fonction des critères rentrés dans l’outil et de voir les corrélations entre les critères et l’indemnisation. Ainsi, sont affichés en permanence le nombre de décisions, le montant moyen et médian d’indemnité correspondant, données interactives qui sont mises à jour dès que le professionnel change un critère.

Cet outil est pour l’instant disponible pour les contentieux dommage corporel et prestation compensatoire, qui sont les plus demandés. « Mais d’autres thématiques devraient sortir prochainement à partir de la base de donnée initiale complétée et enrichie avec des croisements de données », explique Romain Cousin, Directeur développement et données éditoriales.

Un outil d’aide à la décision au service de la stratégie juridique.

"La recherche d’informations juridiques pertinentes (...) est le préalable à toute construction de la stratégie à adopter dans un dossier."


La recherche d’informations juridiques pertinentes, c’est-à-dire en lien ou proche du cas qui est soumis au professionnel du droit, est le préalable à toute construction de la stratégie à adopter dans un dossier. Lui permettre d’accéder aux décisions dans leur intégralité est donc fondamental. Mais pour aller plus loin, il faut aussi que l’outil puisse permettre d’anticiper le mieux possible, de qualifier les faits, quantifier le risque juridique et de donner tous les éléments à même d’élaborer la stratégie à mettre en œuvre. En proposant entre 17 et 40 critères suivant le contentieux choisi, Données quantifiées JurisData offre la possibilité de décrire le cas de façon très précise et ensuite de jouer avec les critères pour affiner la stratégie à adopter. « C’est un vrai enjeu de trouver le bon équilibre, explique Sébastien Bardou, Directeur Marketing & Business Développement. En donner trop rend l’outil très complexe, et ne pas en donner assez ne permet pas à l’outil d’être assez conclusif. »

"Avec le mode data visualisation, les données sont restituées sous forme de graphiques permettant une lecture des résultats beaucoup plus facile."


En rentrant le maximum de critères, l’utilisateur peut se retrouver avec un nombre très faible de décisions en lien avec son cas, les consulter et ensuite choisir d’enlever un ou plusieurs critères pour voir ce qui pourrait jouer le plus en sa faveur dans sa stratégie. La liste de résultats se met à jour dès qu’un critère est changé. Avec le mode data visualisation, les données sont restituées sous forme de graphiques permettant une lecture des résultats beaucoup plus facile. Le montant d’indemnité agrégé, la médiane et la moyenne sont aussi affichés. « Beaucoup de personnes se contentent de la moyenne mais c’est une information compliquée à manipuler car elle renvoie à un montant qui n’existe pas. Alors que la médiane indique le point de césure entre deux cas équivalents et donne un vrai montant. Mais avoir les deux est intéressant car cela permet d’avoir une notion de dispersion. Quand une médiane et une moyenne sont très éloignées, cela signifie qu’il y a quelques décisions où le montant d’indemnisation est très bas ou très haut. » poursuit Sébastien Bardou. L’ensemble de ces informations est donc fondamental pour fixer les indemnités demandées et/ou mener à bien une négociation.

La volonté d’élargir l’outil aux décisions de première instance.

"Disposer de l’intégralité de la chaine du contentieux permettrait de donner plus de perspectives."

L’outil tourne actuellement avec 50.000 décisions de cours d’appel environ et une antériorité à l’ouverture de JuriCa intégré en 2007, avec l’ambition d’élargir la base non pas aux décisions de la Cour de cassation mais aux décisions de première instance. « C’est d’ores et déjà une demande de nos clients, explique Sébastien Bardou. Disposer de l’intégralité de la chaine du contentieux permettrait de donner plus de perspectives. » En effet, un tel élargissement permettrait de connaitre l’évolution des décisions entre le premier et le second degré de juridiction, le potentiel de réussite en appel et la durée des procédures. « Avec les arrêts des cours d’appel, les professionnels ont déjà une base solide pour travailler. Disposer des décisions de la Cour de cassation a moins d’intérêt puisque si une décision est cassée, elle revient en appel alors que quand une décision est rendue en première instance, elle ne fait pas toujours l’objet d’un appel. Nos clients demandent ces informations qui ne sont pas encore accessibles aujourd’hui. Donc maintenant, le véritable enjeu, c’est l’Open Data. Et nous ne savons pas quand les décisions seront disponibles. 2019 ? 2020 ? » poursuit-il.

La sécurité juridique : un enjeu pour les outils d’aide à la décision.

"La réelle difficulté pour aboutir à ces outils d’aide à la décision, c’est de passer d’un flux textuel (la décision) à l’extraction de données pertinentes."

Au-delà de l’Open Data, un des enjeux majeurs pour les éditeurs est d’assurer la sécurité juridique des données et des analyses qu’ils mettent à disposition des professionnels. « Nos juristes contrôlent systématiquement les données qui sont extraites, tout en s’appuyant sur des outils qui vont leur faciliter le travail, explique Mathieu Balzarani, Directeur des Technologies et Systèmes d’Information. La réelle difficulté pour aboutir à ces outils d’aide à la décision, c’est de passer d’un flux textuel (la décision) à l’extraction de données pertinentes sachant que cette donnée n’est pertinente qu’au regard d’un domaine particulier. » Dans le cadre d’un contentieux concernant le préjudice corporel par exemple, ce qui est intéressant est d’arriver à extraire les causes de l’accident, les séquelles, l’âge, les différentes indemnités demandées et celles qui sont allouées. On ne va pas extraire les mêmes données suivant qu’il s’agit de divorce ou de licenciement.

« L’enjeu pour nous réside dans la capacité à automatiser le plus possible cette extraction de la substantifique moelle des décisions. Aujourd’hui, elle est semi-automatisée et se base sur les technologies d’intelligence artificielle qui regroupent des outils de sémantique, de reconnaissance, d’analyse automatique et de compréhension de texte mais aussi d’apprentissage. Mais pendant longtemps, nous avons eu des juristes qui faisaient cela manuellement. Leur travail constitue un set d’apprentissage exceptionnel. Par rapport à l’état de l’art de la technologie actuelle, c’est pour nous un trésor de guerre auquel s’ajoute le thésaurus juridique que nous avons développé il y a déjà quelques années. » poursuit-il.

C’est l’ensemble de ce dispositif qui permet de garantir la fiabilité des outils d’aide à la décision et l’enjeu demain avec l’ouverture de toute la jurisprudence contenant un nombre de données non quantifiables sera de pouvoir automatiser totalement ce travail.

La justice prédictive : réalité ou fantasme ?

"Le passé ne permet jamais de prédire totalement le futur mais il permet de l’anticiper."

Tout dépend de la définition et du sens que l’on donne à la justice prédictive. La naissance de l’expression a donné lieu à des débats laissant penser que les outils viendraient dire à l’avocat ce qu’il doit faire et juger à la place du juge. C’est pourquoi, beaucoup d’éditeurs ou de start-up ne parlent plus de « prédictif » aujourd’hui. « Pour nous, c’est de l’analyse des données que nous avons, affirme Sébastien Bardou. Le passé ne permet jamais de prédire totalement le futur mais il permet de l’anticiper. Nous ne sommes pas dans un modèle où nous prétendons dire ce qui va se produire donc ce n’est pas du prédictif, ni de la justice car la machine ne remplace pas le juge. C’est un outil d’aide à la décision qui permet de construire une stratégie contentieuse ou de négociation. »

Il s’agit donc d’une réalité, des machines analysent la jurisprudence pour en faire ressortir les éléments recherchés par le professionnel du droit pour adopter la meilleure stratégie possible pour la défense des droits de leurs clients. Le seul bémol est que pour le moment, elles se limitent à quelques contentieux seulement. Mais avec le mouvement d’Open Data insufflé par la loi Lemaire, nous pouvons prédire avec certitude qu’il ne s’agit que d’une question de temps avant que ces outils couvrent tous les domaines du droit.

Cet article est paru initialement dans le Journal du Village de la Justice n°82.

Laurine Tavitian Rédaction du Village de la Justice