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Réforme du Code du travail : ce qui va changer concernant les relations individuelles de travail. Par Johan Zenou, Avocat.
Parution : jeudi 23 novembre 2017
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Après 3 mois de négociations avec les syndicats, la ministre du Travail présentait le 31 août dernier cinq ordonnances destinées à réformer le Code du travail.
Ces ordonnances réforment le Code du travail en profondeur. S’agissant des relations individuelles de travail, les ordonnances entendent modifier le périmètre de reclassement du salarié, limiter le contentieux et enfin sécuriser celui-ci dans le cas où il aurait lieu.

1. Modification du périmètre d’appréciation des difficultés économiques

Ce qui existe actuellement :

Aujourd’hui, le licenciement pour motif économique permet de se séparer d’un salarié pour un motif exclusivement économique : des difficultés économiques ou mutations technologiques, la réorganisation de l’entreprise ou la sauvegarde de sa compétitivité.

Le licenciement économique n’étant pas motivé par une quelconque faute ou incompétence du salarié, il est soumis à de strictes conditions et s’accompagne d’obligations importantes pour l’employeur.

Jusqu’alors, s’agissant des sociétés multinationales, les difficultés économiques justifiant le licenciement s’appréciaient au niveau du groupe. Ainsi, si la filiale française de la société X souhaitait procéder à un licenciement économique, la société X devait démontrer que l’ensemble du groupe connaissait des difficultés économiques.

Ce qui va changer avec les ordonnances :

Les ordonnances réformant le Code du travail prévoient de modifier le périmètre d’appréciation des difficultés économiques de l’entreprise. Ainsi, le critère de « difficultés économiques » ne sera plus apprécié au niveau du groupe, mais uniquement au niveau des sociétés qui se trouvent sur le territoire français.

Que faut-il en penser ?

Le souhait affiché du gouvernement est d’encourager les investisseurs à s’implanter sur le territoire français sans qu’ils ne craignent une trop grande sévérité de la loi à propos des licenciements économiques.

Au contraire, les syndicats craignent que les groupes n’organisent volontairement une situation déficitaire sur le territoire français pour pouvoir licencier.

Quoi qu’il en soit, l’ordonnance prévoit qu’en cas de fraude, le périmètre d’appréciation international serait alors rétabli.

2. Modification du périmètre de reclassement du salarié

Ce qui existe actuellement :

En cas de licenciement pour inaptitude professionnelle, l’employeur est tenu d’essayer de reclasser le salarié à un poste adapté.
De la même manière, en cas de licenciement pour motif économique, l’employeur doit tenter de reclasser le salarié à un autre poste au sein de la société.

Jusqu’alors, cette obligation de reclassement s’appréciait au niveau du groupe de sociétés. Ainsi, si un salarié était licencié au sein d’une filiale française du groupe X, celui-ci pouvait être reclassé à un poste au sein de la filiale espagnole du même groupe.

Ce qui va changer avec les ordonnances :

S’agissant du licenciement pour motif économique comme du licenciement pour inaptitude professionnelle, l’employeur ne sera désormais tenu de reclasser le salarié que sur le territoire français.

Que faut-il en penser ?

La charge pesant sur les employeurs est certes moins lourde qu’auparavant, mais au prix d’un reclassement moins efficace des salariés.

3. Création d’un CDI d’opération

Ce qui existe actuellement :

Actuellement, tout salarié peut être embauché en contrat à durée indéterminée ou en contrat à durée déterminée s’il en remplit les conditions.

Par exception, le Code du travail dispose que le licenciement qui « revêt un caractère normal selon la pratique habituelle et l’exerce régulier de la profession » n’est pas soumis aux règles relatives au licenciement d’un CDI.
Compte tenu de cette définition, il est possible de procéder au licenciement d’un salarié en CDI dès lors que le chantier pour lequel il avait été embauché est terminé. Ce type de contrat était donc réservé dans la pratique à des chantiers de grande ampleur (chantiers navals, construction de lignes de chemin de fer etc.)

Ce qui va changer avec les ordonnances :

Les ordonnances réformant le Code du travail prévoient de généraliser ce type de contrat à l’ensemble des secteurs, et non plus au seul cas du « chantier ».

En outre, les ordonnances renvoient cette généralisation aux accords de branche, et non plus à la loi. Il sera donc désormais possible de prévoir, au sein d’une branche, qu’un CDI puisse être rompu dès la réalisation d’un projet.

Que faut-il en penser ?

Si le gouvernement entend se prévaloir d’une plus grande souplesse du contrat à durée indéterminée et ainsi encourager à l’embauche, les syndicats dénoncent quant à eux la précarisation de ce contrat.

4. Limitation et sécurisation du contentieux

A travers plusieurs dispositions, le gouvernement souhaite limiter le nombre de recours devant les juridictions prud’homales.

- Motivation de la lettre de licenciement :

Ce qui existe actuellement : Actuellement, tout licenciement doit être motivé par une cause réelle et sérieuse. Cette cause doit résulter des motifs inscrits dans la lettre de licenciement.

Si ces motifs n’apparaissent pas dans la lettre de licenciement – même s’ils existent en réalité – cette insuffisance de motivation prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Le licenciement sans cause réelle et sérieuse permet au salarié d’obtenir une indemnité prud’homale ne pouvant être inférieure à six mois de salaire ainsi qu’une éventuelle réparation de ses préjudices.

Ce qui va changer avec les ordonnances : Le projet d’ordonnances prévoit la possibilité pour l’employeur de modifier les motifs du licenciement tels qu’ils sont inscrits dans la lettre de licenciement.

Dès lors que l’employeur invoque des motifs constitutifs d’une cause réelle et sérieuse, l’insuffisance de motifs dans la lettre de licenciement ne donnera lieu qu’à une indemnité égale à un mois de salaire.

- Délai de contestation du motif de licenciement :

Ce qui existe actuellement : Actuellement, le salarié licencié pour motif personnel dispose de 24 mois à compter de la notification de son licenciement pour contester ce licenciement en Justice.

Ce qui va changer avec les ordonnances : Les actions portant sur la rupture du contrat de travail seront désormais prescrites sous 12 mois à compter de la notification du licenciement.

- La fin de la requalification automatique des CDD en l’absence de transmission

Ce qui existe actuellement : Actuellement, le contrat à durée déterminée doit être transmis au salarié dans les deux jours suivant son embauche.

Si l’employeur ne transmet pas le contrat au salarié, alors le contrat à durée déterminée est automatiquement requalifié en contrat à durée indéterminée.

Ce qui va changer avec les ordonnances : Désormais, les ordonnances prévoient que l’absence de transmission du contrat à durée déterminée sous deux jours n’ouvre droit au salarié qu’à une indemnité égale à un mois de salaire.

- Le plafonnement des indemnités prud’homales

Ce qui existe actuellement : Les indemnités prud’homales sont les indemnités qui doivent être versées par l’employeur au salarié en cas de licenciement abusif.

Le Code du travail prévoit aujourd’hui que ces indemnités ne peuvent être inférieures à 6 mois de salaire. Au-delà de ce plancher, les conseillers prud’homaux sont libres d’accorder les indemnités qu’ils estiment justes.

Ce qui va changer avec les ordonnances : Le projet d’ordonnances prévoit l’instauration d’un plafond et la réduction du plancher.

Le salarié licencié sans cause réelle et sérieuse pourra obtenir une indemnité au moins égale 3 mois de salaire et qui ne pourra pas dépasser un certain seuil variant selon l’ancienneté du salaire.

Ce plafond varie entre 1 mois de salaire pour une ancienneté inférieure à un an à 20 mois de salaire pour une ancienneté supérieure à 30 ans.

En outre, le plancher égal à 3 mois de salaire ne serait pas applicable pour les entreprises dont l’effectif est inférieur à 11 salariés. Le plancher serait alors d’un demi mois de salaire pour une ancienneté d’un an, à deux et demi mois de salaire pour une ancienneté supérieure à 10 ans.

- L’augmentation des indemnités de licenciement

Ce qui existe actuellement : Actuellement, tout licenciement autre que le licenciement pour faute grave ou lourde donne lieu à l’octroi d’une indemnité de licenciement.

Cette indemnité est également à 1/5 du salaire brut moyen, multiplié par le nombre d’années d’ancienneté.

Ce qui va changer avec les ordonnances : Afin de compenser le plafonnement des indemnités prud’homales, les indemnités de licenciement seront portées à 1/4 de mois de salaire par année d’ancienneté, soit une hausse de 25%.

Que faut-il en penser ? L’objectif de ces diverses dispositions est clair, il s’agit pour le gouvernement d’éviter d’éventuels recours des salariés devant les juridictions prud’homales, déjà très encombrées.

Outre une réduction du délai pour agir, les salariés pourraient être découragés par la baisse des indemnités susceptibles de leur être octroyées. En outre, les salariés pourraient s’accommoder du versement d’une indemnité de licenciement plus importante.

Dans le même temps, ces dispositions s’appliquent à une situation dans laquelle l’employeur n’a pas respecté le droit du travail et est fautif. Les syndicats craignent ainsi que des employeurs peu scrupuleux ne profitent de cette « sécurisation du contentieux » pour s’affranchir des règles relatives au licenciement.

Johan ZENOU Avocat au Barreau de Paris www.cabinet-zenou.fr contact@cabinet-zenou.fr