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Réforme du Code du travail : ce qui va changer concernant les relations collectives de travail. Par Johan Zenou, Avocat.
Parution : vendredi 24 novembre 2017
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Après 3 mois de négociations avec les syndicats, la ministre du travail présentait le 31 août dernier cinq ordonnances destinées à réformer le Code du travail.

Ces ordonnances réforment le Code du travail en profondeur. S’agissant des relations collectives de travail, les ordonnances modifient l’articulation entre les diverses sources du droit du travail et prévoient la refonte des institutions représentatives du personnel.

1. L’articulation entre la loi, les accords de branche et les accords d’entreprise

Afin de comprendre l’apport des ordonnances dans ce domaine, il y a lieu de souligner que le droit du travail est régi par plusieurs sources : la loi et les accords collectifs.

Le Code du travail est régi par la loi : la loi impose des dispositions minimales. Les accords collectifs sont des actes écrits qui ont fait l’objet d’une négociation entre employeurs et syndicats. Les règles qu’ils prévoient améliorent toujours la loi.
Les accords collectifs peuvent être de branche ou d’entreprise. Ces accords peuvent porter sur le même sujet (conditions de travail, emploi etc.), mais n’ont pas le même champ d’application.

Là où l’accord collectif de branche aura vocation à régir l’ensemble d’une branche d’activité, l’accord collectif d’entreprise ne s’appliquera qu’au sein d’une même entreprise.

Ce qui existe actuellement :

Le principe qui prévaut en droit du travail est le principe de proximité : c’est la source la plus proche du salarié qui a vocation à lui être appliquée.

Toutefois, l’accord d’entreprise ne pouvait jamais être moins favorable que ce que prévoit l’accord de branche.
Depuis la loi El Khomri, le Code du travail prévoyait des domaines pour lesquels l’accord d’entreprise pouvait s’appliquer quand bien même il apporterait des garanties moindres que l’accord de branche.

Ainsi, en matière de temps de travail, la répartition était la suivante :
- L’accord d’entreprise est applicable
- A défaut d’accord d’entreprise, l’accord de branche est applicable – s’il existe un accord d’entreprise, l’accord de branche, même plus favorable, restait inappliqué
- Quoi qu’il en soit, ces accords doivent respecter un minimum prévu par la loi
- A défaut d’accord, la loi intervient et prévoit des dispositions

L’accord de branche pouvait toutefois prévoir des clauses de verrouillage, autrement dit, prévoir des garanties auquel il ne pouvait être dérogé par accord d’entreprise.

Ce qui va changer avec les ordonnances :

Avec la loi Macron, la modification de la répartition amorcée par la loi El Khomri se poursuit.

Le principe est que l’accord d’entreprise prime sur l’accord de branche, et ce, même s’il apporte des garanties moindres. La répartition alors applicable en matière de temps de travail devient donc la norme.

A titre d’exemple, les primes qui pouvaient jusqu’alors être contenues dans des accords de branche seront négociées directement dans l’entreprise.

En outre, les clauses de verrouillage insérées dans les accords de branche ne seront désormais possibles que dans des domaines restreints définis par les ordonnances : la pénibilité au travail, les primes pour travaux dangereux, l’insertion professionnelle des handicapés ainsi que les parcours militants.

Par exception, les ordonnances prévoient onze domaines pour lesquels l’accord de branche dispose d’une compétence exclusive : le salaire minimum, la classification, les fonds de mutualisation professionnelle, la mutualisation des fonds paritaires, la prévoyance, la définition des temps partiels, des heures d’équivalence, le recours au CDD (durée, nombre, renouvellement délais de carence) et la création de CDI dits d’opération.

Dans ces domaines, l’accord d’entreprise ne pourra intervenir que s’il améliore les dispositions contenues dans l’accord de branche.

Or, certains de ces domaines relevaient traditionnellement de la loi. Tel est le cas des dispositions relatives au CDD ou au CDI « d’opération », existant comme « CDI de chantier » que seule la loi pouvait encadrer.
Ainsi, un accord de branche pourra désormais prévoir la possibilité d’embaucher des salariés en CDI, mais un CDI qui se limiterait à la durée d’une mission. Une fois la mission réalisée, le salarié pourra être licencié pour cause réelle et sérieuse.

Enfin, pour être validés, les accords d’entreprise devront être approuvés par des organisations représentants 50% des voix, et non plus 30%.

Que faut-il en penser ?

L’objectif affiché est d’adapter le droit du travail en fonction des problématiques de chacune des branches d’activité, et, plus encore, de chaque entreprise.
Le gouvernement affiche une confiance en la négociation et compte sur le fait que les syndicats et employeurs sauront s’entendre sur des garanties suffisantes.

De leur côté, les syndicats mettent en avant un double argument : le morcellement du droit du travail et le déséquilibre qui existe dans la négociation.
En effet, au sein d’une même branche d’activité, différentes entreprises pourront se voir appliquer des règles différentes. Or, une entreprise dans laquelle les syndicats sont puissants apportera plus de garanties aux salariés qu’une entreprise dans laquelle il n’existe pas de syndicat.

2. La refonte des institutions représentatives du personnel

La deuxième des cinq ordonnances réformant le Code du travail entend réorganiser les institutions représentatives du personnel et la négociation en entreprise. Pour ce faire, le gouvernement prévoit la création d’une instance représentative unique et la possibilité de négocier dans les entreprises

- La mise en place d’une instance représentative unique :

Ce qui existe actuellement :

Actuellement, il existe trois instances représentatives du personnel :
- Les délégués du personnel (DP) : chargés de représenter les salariés auprès de l’employeur et le cas échéant de lui communiquer leurs réclamations. Il peut également alerter l’employeur ou l’inspection du travail s’il estime que les droits des salariés sont lésés.
- Le comité d’entreprise (CE) : composé de représentants élus, de représentants syndicaux et présidé par l’employeur, il est chargé de prendre en compte les intérêts des salariés dans les décisions relatives à l’entreprise – notamment à caractère économique.
- Le comité d’hygiène, de santé et de sécurité au travail (CHSCT) : a pour mission la protection de la santé et de la sécurité des salariés. Il peut ainsi mettre en place des mesures de prévention, veiller au respect de la loi, alerter l’employeur sur des risques professionnels voire même enquêter sur la réalisation d’un risque.

Ce qui va changer : Dans les entreprises de plus de 50 salariés, l’ordonnance prévoit la fusion de ces trois instances en un comité social et économique.

Dans les entreprises de 11 à 50 salariés, le comité social et économique prendrait le rôle des délégués du personnel.

Dans les entreprises supérieures à 300 salariés ou dès que l’inspection du travail l’estime nécessaire (entreprises à risques), une commission santé, sécurité et conditions de travail sera cependant rendue obligatoire.

L’ordonnance ne définit pas le nombre de personnes destinées à composer ce comité ni le volume de leurs heures de délégation, qui seront définis ultérieurement par décret.

Le comité social et économique devra se réunir une fois par mois dans les entreprises de plus de 300 salariés, et une fois tous les deux mois dans les entreprises dont le seuil est inférieur.

Il disposerait des mêmes attributions que les instances préexistantes. Un accord collectif pourra toutefois prévoir d’étendre ses prérogatives en lui octroyant la possibilité – alors réservée aux syndicats - de négocier, de conclure et de réviser les accords d’entreprise ou d’établissement.

Que faut-il en penser ? L’objectif affiché de ce nouveau comité social et économique est de revaloriser le dialogue social en entreprise.
Les syndicats craignent toutefois que la disparition des compétences spécifiques des représentants rende moins efficace cette nouvelle instance. La disparition des délégués du personnel est notamment contestée, ces derniers faisant office de lien de terrain avec les organisations syndicales.

- La possibilité de négocier dans les petites entreprises dépourvues de délégué syndical

Ce qui existe actuellement : Actuellement, la négociation en entreprise passe par la personne du délégué syndical.

Le délégué syndical est un salarié syndiqué désigné par ses pairs pour représenter son syndicat dans l’entreprise et assurer la défense des salariés.

La désignation d’un délégué syndical n’est obligatoire que dans les entreprises de plus de 50 salariés. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, la désignation d’un délégué syndical est possible si :
- Un accord d’entreprise ou de branche le prévoit
- Un délégué du personnel est désigné comme délégué syndical

Ce qui va changer :

Etant donné que la négociation au niveau d’entreprise primera sur la négociation de branche, le gouvernement a entendu prévoir la possibilité pour les petites entreprises de négocier, en dépit de l’absence de délégué syndical.

Plusieurs seuils sont envisagés par l’ordonnance :
- Dans les entreprises de plus de 50 salariés : la négociation est menée par un délégué syndical, ou, s’il n’existe pas, d’un salarié élu mandaté par un syndicat.
- Dans les entreprises de 11 à 50 salariés, la négociation pourra être menée par un élu du personnel, non mandaté par un syndicat.
- Dans les entreprises de moins de 11 salariés, la négociation pourra être menée par un salarié non élu, non mandaté. Techniquement, un projet d’accord sera présenté par l’employeur aux salariés, qui devront le voter à la majorité des deux tiers du personnel.

Que faut-il en penser ?

Le gouvernement entend élargir le « droit à la négociation » à toutes les entreprises, y compris les plus petites en permettant à la direction de négocier directement avec le personnel.

Les syndicats dénoncent quant à eux leur perte d’influence et craignent que les salariés des TPE ne soient pas en mesure de mener une négociation efficace compte tenu de la possibilité d’un « chantage à l’emploi ».

Johan ZENOU Avocat au Barreau de Paris www.cabinet-zenou.fr contact@cabinet-zenou.fr