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Un avocat pour tous ! Par Brigitte Charles-Neveu, Avocat.
Parution : jeudi 23 novembre 2017
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L’idée paraît parfois s’ancrer, au sein de la profession, particulièrement chez les jeunes avocats fortement impliqués dans la défense pénale, qu’il n’y aurait d’Avocat avec un grand A qu’à la défense des prévenus et des accusés, qu’il n’y aurait de Défense avec un grand D que celle des prévenus et des accusés, voire que la valeur de l’Avocat serait proportionnelle à l’atrocité des actes commis par la personne défendue.

Dans une profession vouée à la défense de tous, aucune « pensée unique » ne saurait naturellement s’installer.
Particulièrement en ces temps troublés, la dimension politique de l’actualité judiciaire interroge l’avocat lui-même sur le sens de son engagement [1]

Si les projecteurs sont volontiers braqués sur les criminels et leurs défenseurs, se souvient-on en revanche des avocats choisis ou désignés d’office et qui, invoquant la clause de conscience, ont refusé ou renoncé à une mission qui leur aurait pourtant assuré une notoriété certaine, fut-elle éphémère ?

Ce sont aussi des Avocats.

Lorsqu’ils assistent ou représentent une victime, ce sont toujours des Avocats.

Aux côtés des victimes, parties civiles, l’avocat n’est pas un « sous-avocat » ; il est parfaitement dans son rôle séculaire de défenseur « de la veuve et de l’orphelin », même si la scène médiatique lui laisse souvent moins de place.

La défense des victimes n’est pas une « sous défense » ; les victimes sont aussi des Hommes et ont aussi des droits, au sens de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’Homme [2]

La directive n° 2012/29/UE du 25 octobre 2012 (JOUE 14.11.12) a prévu notamment les droits qui doivent être garantis à la victime dans le cadre de la procédure pénale, au nombre desquels celui de demander le réexamen d’une décision de ne pas poursuivre.

Ce droit ne se confond pas cependant avec celui de relever appel d’une ordonnance ou de la disposition d’une ordonnance relative à la détention de la personne mise en examen ou au contrôle judiciaire (art. 186 du Code de procédure pénale - CPP), ni a fortiori d’une décision de condamnation.

L’appel est ici limité, en matière correctionnelle et devant les cours d’assises respectivement par les articles 497 3° et 380-2 4° du CPP, aux seuls intérêts civils.

Le Conseil constitutionnel a estimé par décision n° 2013-363 QPC du 31 janvier 2014 que la question prioritaire de constitutionnalité relative à la constitutionnalité de cette limitation du droit d’appel de la partie civile (par l’article 497 3°, mais la solution ne serait sans doute pas différente pour l’article 380-2 3° du CPP) ne présentait pas de caractère sérieux.

Le 16 décembre 2013, une proposition de loi n° 1647 avait cependant été déposée par divers parlementaires afin d’ouvrir aux parties civiles le droit d’interjeter appel des décisions de relaxe et d’acquittement [3].

Certains avocats s’étaient alors offusqués de la place qui serait ainsi consentie à la partie civile dans le procès pénal et souhaitaient notamment que « la profession » s’oppose catégoriquement à l’ouverture d’un éventuel droit d’appel pour les victimes.

Si pour certains, les victimes sont tout juste tolérées dans le procès pénal - seuls leur sont concédés la dignité et le pardon -, pour d’autres au contraire, la place de la victime apparaît insuffisante et mérite d’être renforcée.

Mais comment « la profession » pourrait-elle toute entière s’engager dans un sens, ou dans l’autre ?

Nul ne contestera au demeurant à tel avocat la liberté de s’indigner de la place des victimes dans le procès pénal et de déplorer qu’un droit d’appel leur soit peut-être un jour reconnu, comme à tel autre celle de se battre âprement pour que les droits des victimes de la criminalité soient mieux garantis et plus étendus.

Mais « la profession » n’est pas attachée à telle ou telle catégorie de parties, et l’Avocat peut naturellement choisir de défendre avec la même conviction un prévenu ou une partie civile, un coupable ou une victime, tout comme en dehors de la sphère pénale, il est libre de plaider pour un employeur ou un salarié, pour un locataire ou un bailleur, pour l’administration ou un administré…

La grande corporation des avocats, si riche et diversifiée, devrait seulement veiller à ne pas accréditer, tant dans son sein que dans l’opinion, l’idée qu’elle ne s’accomplit véritablement qu’au service de certaines causes ou de certains justiciables.

Brigitte Charles-Neveu

[1Défendre les terroristes est-il éthique ? Alexandre GREGOIRE, Sarah TOUBAL, Laboratoire d’études et de recherches appliquées au droit privé, université Lille II, 24 avril 2017

[2La victime sur la scène pénale en Europe, 2008, Presses Universitaires de France- voir également : décret n° 2017-1240 du 07/08/2017, communiqué de presse du FGTI 25/09/2017

[3Ce projet, qui ne concernait que certains verdicts de cours d’assises, n’est pour l’heure plus d’actualité, mais il est soutenu par des associations de victimes