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Le plafonnement des indemnités de licenciement, première étape vers un plafonnement général de la réparation des préjudices ? Par Hélène Rousseau-Nativi, Avocat.
Parution : vendredi 1er décembre 2017
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Le débat ayant entouré les ordonnances travail et particulièrement la question du plafonnement des indemnités de licenciement nous interpelle sur la possibilité de voir un tel plafonnement appliqué à d’autres matières, par exemple en matière d’indemnisation des victimes d’accident de la route ou de responsabilité.

Peut-on imaginer le plafonnement de l’indemnisation d’une victime d’accident de la circulation causé par la faute du conducteur ? A ce stade, la réponse est évidemment non. Pourtant en matière de licenciement, l’employeur fautif bénéficiera d’un tel plafonnement, créant ainsi de toutes pièces une catégorie de privilégiés, libérés du risque de devoir réparer la totalité du préjudice causé par leur faute.

Les ordonnances sur le droit du travail, première attaque contre le principe de réparation intégrale du préjudice

Chacun a suivi les péripéties qui ont conduit à la réforme du Code du Travail par ordonnances. L’Ordonnance n° 2017-1387 relative à la « prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail », est appelée à être ratifiée le 28 novembre 2017. Cette ordonnance va radicalement modifier les dispositions relatives à la réparation financière de ce qui s’appelle désormais « irrégularités de licenciement » en particulier, par l’établissement d’un « référentiel obligatoire en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

En d’autres termes, en cas de licenciement abusif, qui suppose donc une faute commise par l’employeur, la réparation des préjudices des salariés sera plafonnée, en fonction de l’ancienneté. Le maximum, étant en tout état de cause limité à 20 mois de salaire brut (pour les salariés ayant 29 années complètes ou plus d’ancienneté). Plus encore le Juge pourra intégrer dans le plafond, pour fixer ces dommages et intérêts, les indemnités perçues en application de la convention collective.

Or, derrière ces termes techniques est à l’œuvre un méthodique « détricotage » d’un principe plusieurs fois centenaire qui veut que toute faute, « en relation de causalité directe et certaine avec le dommage » doit conduire, obligatoirement, à une indemnisation totale et non partielle du préjudice subi : « le préjudice, rien que le préjudice, mais tout le préjudice… ». Il y a là un dévoiement de nos principes, profondément choquant, mais qui n’est peut être que la première étape d’un « détricotage » plus large, attaquant la capacité des parties les plus faibles à obtenir une juste réparation de leur préjudice.

Le principe de réparation intégrale du préjudice, facteur de paix sociale

C’est, en droit, le principe dit de la réparation intégrale du préjudice. C’est un principe essentiel de notre droit, en ce qu’il est un des plus puissants facteurs de paix sociale et de maintien de l’ordre public. La certitude de la justice, même imparfaite comme l’est par définition la justice humaine, fait accepter ce qui serait sinon inacceptable : celui qui m’a causé un dommage doit en réparer toutes les conséquences pourvu qu’elles soient directes, certaines et en relation de causalité avec la faute.

Le site public du service public est allé jusqu’à mettre en ligne un simulateur des indemnités en cas de licenciement abusif, permettant aux entreprises de prévoir précisément le coût d’un licenciement abusif.

Certes, le dispositif prévoit le cas des licenciements résultant d’une faute de l’employeur d’une « exceptionnelle gravité ». Il s’agira principalement des cas de harcèlement, de discrimination. Dans ces cas, l’employeur sort alors du champ du plafonnement pour retrouver le « droit commun » c’est-à-dire l’application de la règle commune : doit être réparé tout le préjudice, et rien que le préjudice. Que sera la faute d’une « exceptionnelle gravité » ? La jurisprudence le déterminera. L’on voit là les prémices d’une jurisprudence byzantine, qui loin de simplifier les rapports entre salariés et employeurs, alimentera les contentieux prudhommaux. Il y a fort à parier que nombreux seront les cas qui seront soumis à leur censure.

Le principe de réparation intégrale du préjudice dévoyé pour remplir un prétendu « objectif d’intérêt général »

Il faut savoir que l’atteinte à un principe essentiel, comme celui de la réparation intégrale du préjudice, reste possible dans notre droit, à condition toutefois qu’elle soit justifiée par un intérêt général, et que cette atteinte soit proportionnée à la protection de cet intérêt général. Au nom de quel intérêt général cette atteinte, a-t-elle été justifiée ? Le Conseil Constitutionnel, saisi de la question de la constitutionnalité de la loi d’habilitation des ordonnances a, peureusement et fort imparfaitement, décerné à cette loi son brevet de constitutionnalité [1] : « …en principe tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (…) Toutefois (…) le législateur, pour des motifs d’intérêt général (…) peut prévoir des exclusions ou des limitations (…) Le législateur a entendu renforcer la prévisibilité des conséquences qui s’attachent à la rupture du contrat (…) ». Pour lui, la « prévisibilité des conséquences » d’une faute se trouve hissée au rang d’intérêt général, suffisamment important à ses yeux donc pour justifier une absence de réparation d’une partie du préjudice. S’attaquer ainsi à un tel principe, sans véritable justification, autre que le souci de créer une catégorie de justiciables, les employeurs, exonérés partiellement de responsabilité en cas de faute, constitue un puissant ferment d’insatisfaction et de révolte qui aura immanquablement des conséquences graves.

La C.E.D.H., dernier rempart protégeant la réparation intégrale du préjudice

La mise en œuvre de cette nouvelle législation, risque de susciter des recours devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. La jurisprudence de cette juridiction est déjà très riche. A terme, la condamnation de la France pour cette législation n’est pas une hypothèse d’école.

A terme également, qui ne pourrait envisager, utilisant ce précédent que la « prévisibilité » des conséquences des accidents, et des fautes médicales, soit invoquée et érigé comme principe qui justifierait le plafonnement des réparations des victimes, pour le plus grand profit des compagnies d’assurance.

Article paru dans le magazine mensuel Paroles de Corse n°47 du mois de Novembre 2017

Avocat au Barreau de Paris https://www.avocat-nativi-rousseau.fr/

[1Décision du Conseil Constitutionnel n° 2017–751 du 16 septembre 2017

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