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Les avocats et la conduite du changement.
Parution : mercredi 20 décembre 2017
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La conduite du changement recouvre un aspect humain fort pour laquelle un accompagnement est souvent nécessaire. Chez les avocats, elle s’inscrit souvent dans une démarche plus globale et classique en matière de développement et de communication du cabinet. Pourtant, derrière celle-ci se cache souvent un changement pour lequel il va s’agir de débloquer les peurs et d’avancer au rythme et à la manière de l’avocat.
Pour nous éclairer sur cet accompagnement, nous vous proposons un entretien avec Elodie Teissèdre, consultante chez Clearcase et spécialiste de cette question.

Le changement suscite de façon naturelle la peur chez l’individu, comment faites-vous pour débloquer cette situation ?

Quand on travaille en posture de conseil, c’est un point auquel on est confronté dès le départ. La réponse à cette question est en fonction du profil de la personne en face. Or je rencontre des avocats réellement différents, qu’ils exercent en cabinet de taille moyenne ou en individuel.

"Le premier travail va être de déterminer l’appétence individuelle au changement et finalement au risque."


Certains ont besoin d’un fil rouge, de comprendre la logique du changement pour s’approprier la nécessité de faire évoluer leur pratique, une posture intellectuelle, un positionnement… ou de mettre en place une action un peu nouvelle pour eux. A l’inverse, d’autres agissent sur la base de leur intuition… et à leurs côtés, il ne va pas falloir traîner dans l’adoption du changement !

Il y a donc autant de réponses que de personnes et le premier travail va être de déterminer l’appétence individuelle au changement et finalement au risque. C’est la personnalité du client qui conditionne le rythme mis en place ou l’ampleur des actions.

Je peux prévoir un plan d’actions progressif pour faire évoluer un positionnement mois après mois. Si l’avocat souhaite en revanche faire des grands pas tout de suite, mon travail consiste plutôt à vérifier le sens des actions engagées au vu des objectifs, de l’ADN du cabinet… voire à l’alerter sur les éventuels risques. Il faut à la fois du volontarisme et de la prudence, et en fonction de la personnalité que je conseille, j’essaie de compléter dans un sens ou dans l’autre !

Une fois cette étape franchie, en quoi consiste un accompagnement à la conduite du changement ?

"Montrer des exemples de travaux et d’actions engagées par d’autres peut rassurer."


Lorsqu’il y a une réticence au changement, je propose un benchmark d’initiatives similaires ou proches de ce qui est souhaité. Montrer des exemples de travaux et d’actions engagées par d’autres peut rassurer. Je montre d’abord des actions « réplicables », demandant le moins de risques possibles. De cette façon, je cherche à éloigner les frontières de ce que l’avocat imagine comme étant le pas le plus large qu’il est susceptible de faire sur un sujet.

Pour lever les barrières de la peur, je fais aussi parler la personne de ses objectifs de développement. J’essaie ainsi de recentrer mon accompagnement sur ce qui est important pour elle. Prenons un avocat ne sachant pas jusqu’où il est prêt à aller pour développer son activité. Le faire parler de ses dossiers, de ceux qu’il aurait besoin d’avoir pour se développer convenablement à un rythme qui lui convienne, a pour effet de rationaliser les choses. L’avocat peut alors mieux vivre une petite prise de risque comme le fait de se mettre en scène dans une vidéo, d’engager des contacts avec des prospects, avec des personnes d’un cercle élargi sur les réseaux sociaux…

"Avoir des démarches « ouvertes » est de nature à rassurer les personnes inquiètes ou manquant d’historique dans la mise en place d’actions de communication."

Quand le cabinet est de taille unipersonnelle, je propose parfois de former un petit cercle de personnes de confiance pour l’avocat. Il peut s’agir du conjoint, d’un ami journaliste ou dans l’audiovisuel, d’un autre avocat… Cela permet d’échanger des idées et d’aboutir à une solution finale avec laquelle l’avocat se trouve à l’aise parce qu’il y aura eu un niveau d’interaction suffisant. Il n’a pas l’impression de prendre la mauvaise direction sous l’influence d’un conseil unique qui ne serait pas le meilleur. Avoir des démarches « ouvertes » est de nature à rassurer les personnes inquiètes ou manquant d’historique dans la mise en place d’actions de communication.

Vous nous en avez déjà donné quelques-unes de vos méthodes mais en avez-vous d’autres ?

En matière de communication digitale et de gestion de projet, de nouveaux outils ou plateformes se lancent presque chaque jour. Je passe donc un certain temps avec mon équipe et une communauté de beta-testeurs à essayer des solutions et à évaluer leur intérêt pour les avocats. Aujourd’hui, il est possible de trouver des outils très faciles à prendre en main, collaboratifs et accessibles. Lorsque les objectifs sont définis, j’incite les avocats à s’y mettre eux aussi de façon à contribuer directement à ce que nous faisons ensemble : un support de communication, une animation, un site, un événement... Après cette expérience, ils se sentent concernés d’une autre façon. Ils ont compris « en faisant », et deviennent alors véritablement acteurs de leur communication, avec pour conséquence des choix plus éclairés.

"Par les rencontres, on se donne l’occasion de prendre de la hauteur et de préciser son point de vue."


Une autre méthode, certainement traditionnelle, est de faire dialoguer l’avocat réticent au changement avec d’autres. Par les rencontres, on se donne l’occasion de prendre de la hauteur et de préciser son point de vue. J’utilise donc mon carnet d’adresses pour proposer des rencontres choisies, autant que possible loin de la sphère habituelle de l’avocat. Cela peut aussi aider à mieux faire entendre mon discours. Il ne faut pas croire qu’un seul conseil suffit…On se donnerait beaucoup trop de poids à penser cela !

Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ?

Il peut s’agir de la meilleure façon de faire de la sollicitation personnalisée, d’utiliser la vidéo, de faire des relations publiques pour rechercher des partenaires ou se faire connaître… . Mais aussi de lancer un service innovant, de se constituer une communauté de prescripteurs... . Les actions vont alors viser à élargir un positionnement, à faire évoluer la perception d’un cabinet par sa clientèle, ou encore à créer des stratégies d’engagement.

"Souvent, on voit le terrain de la communication comme une récréation mais la communication est aussi très porteuse de changement."


Souvent, on voit le terrain de la communication comme une récréation - c’est vrai qu’on s’amuse !- mais la communication est aussi très porteuse de changement. Prenons l’exemple d’un cabinet qui, pour rendre certaines de ses expertises plus visibles, décide de mettre en avant certains collaborateurs comme porte-paroles. La stratégie de communication a fait naître des questions RH, de progression interne… les incidences sur l’organisation du cabinet peuvent être profondes.

Autre exemple : un avocat souhaite lancer un service basé sur la technologie a priori très innovant auprès de ses confrères. Dès le début, l’envie est là de commencer à commercialiser son idée, mais le marché n’est pas encore prêt. Non pas que la technologie fasse défaut, mais les utilisateurs potentiels ont besoin de temps pour faire évoluer leur perception. Car il faut prendre conscience de ce changement de posture fondamental : l’avocat ne propose pas des prestations dans le cadre d’un exercice « traditionnel », mais un service pour lequel il va devoir expérimenter et fonctionner de façon agile. Cette aventure singulière me paraît devoir être racontée pour peut-être, fédérer une nouvelle communauté. J’ai donc conseillé une campagne pour « recruter » des personnes acceptant de tester l’innovation dans le temps.

Enfin, quels changements avez-vous constaté dans votre métier ?

J’ai l’impression qu’il y a encore quelques années, les avocats cherchaient un conseil en communication très sachant et dans l’exécution d’une stratégie à laquelle ils n’auraient pas (trop) participé. Venant d’un autre secteur que le juridique, j’ai pu trouver qu’il y avait parfois un manque d’implication et une grande distance entre l’avocat et son conseil.

Le fait que le marché soit concurrentiel incite désormais les professionnels du droit à entrer dans des considérations nouvelles. Dans leur grande majorité, ils ont tout intérêt, comme d’autres entrepreneurs hors du droit, à s’interroger sur le type de clients qu’ils souhaitent avoir, le type de dossiers qu’ils veulent traiter, leur proposition de valeur, leurs projections par type d’activité…

"Quel que soit le point de départ de l’avocat, je les incite à se féliciter des risques qu’ils prennent et à voir la suite comme un chemin de progression."


Les professionnels que je côtoie sont peut-être plus pragmatiques et à l’écoute qu’il y a quelques années, plus enclins à expérimenter, à l’assumer voire à le revendiquer. Et c’est plutôt une réaction saine, dans un monde porteur de beaucoup d’opportunités nouvelles. Quel que soit leur point de départ, je les incite à se féliciter des risques qu’ils prennent, car ils sont formidables, et à voir la suite comme un chemin de progression. A écouter, mais sans toutefois se limiter aux frontières de la profession…car la partie se joue aussi ailleurs !

Propos recueillis par Laurine Tavitian Rédaction du Village de la Justice