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Professions du droit et legaltech : après la défiance, la collaboration.
Parution : vendredi 8 décembre 2017
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L’année 2017 a été un tournant dans l’économie des legaltech. Les start-up et les créateurs se diversifient, et les professions du droit intègrent de plus en plus l’idée que le monde du droit a changé. Plutôt que des ennemies, elles sont perçues comme des alliées de poids. La seconde édition du Village de la Legaltech, co-organisée par Open Law et Village de la Justice, les 6 et 7 décembre 2017, a été l’illustration parfaite de cet engouement, en attirant 2.000 visiteurs et intervenants.
La conférence inaugurale [1] a été l’occasion de démontrer l’évolution de cet écosystème grâce aux témoignages de différents acteurs du droit. Les partenariats se multiplient, les initiatives et les innovations fleurissent, créant une réflexion commune sur ce que sera la pratique du droit de demain.

Des braconniers du droit au statut de partenaire.

Ça y est : « legaltech » n’est plus un mot tabou. « Des peurs et des angoisses, on est passé à du plus concret, souligne Melik Boudemagh, consultant en innovation de l’agence Hercule. La notion de braconnier du droit a été remplacée par la co-construction. » Du statut d’ennemi, elles sont donc devenues des partenaires. L’ensemble des acteurs du droit – professions réglementées, directions juridiques, protection juridique, éditeurs, … - ont ainsi pris conscience que leur rôle premier est d’améliorer la manière d’exercer le droit. « La legaltech n’a pas de sens si elle ne sert pas les professions du droit » confirme Vincent Henderson, Chief digital content officer chez Wolters Kluwer France. Raison pour laquelle les professions du droit elles-mêmes, comme les avocats, se lancent dans la création de legaltech. Cette pacification des relations ne peut être que bénéfique. Maintenant que cette rivalité est dépassée, quelles sont donc les opportunités ?

Plus récentes, s’appuyant sur les nouvelles attentes du justiciables, les legaltech sont à même d’accompagner les acteurs traditionnels dans leur transformation, au-delà de la technologie. C’est une logique de travail et d’organisation qui est ainsi repensée, comme en témoigne Xavier Boutiron, notaire associé chez Chevreux Notaires : « Nous n’avions pas changé notre méthode de travail depuis 20 ans. Nous avons changé d’outils, mais pas notre organisation, notre méthode de production et notre relation-client ». Un nouveau savoir-faire permet ainsi de dépasser les limites internes. « Nous avions très peu fait évoluer notre chaîne de valeur, explique Jean-Manuel Caparros, chief digital, marketing & communication officer chez Axa Protection juridique. Nous sommes venus la densifier, ce qui nous a permis de maîtriser la résolution du litige au bénéfice du client. »

Patrice Gras, Jean-Manuel Caparros, Morgan De Sauw, Vincent Henderson.

Si les publics visés ne sont pas (encore) entièrement conquis, des acteurs comme le Réseau des incubateurs des avocats veulent agir en véritable moteur. « Il y a encore beaucoup de pédagogie à faire, explique Morgan de Sauw. Il faut que les confrères comprennent qu’il s’agit d’une opportunité formidable. On peut trouver une clientèle qui ne poussait pas la porte d’un avocat sur le marché du numérique. » Car la legaltech n’enlève rien : elle amène les professionnels à repenser l’essence de leur métier, de leurs missions, et de les valoriser auprès de leur clientèle. Ainsi, Patrice Gras, président de l’Union nationale des huissiers de justice, qui souhaite que leur métier devienne « une marque », insiste sur l’importance de « la protection du justiciable » : « c’est une notion moderne, et elle doit rester notre préoccupation. »

Un échange d’expérience au profit des legaltech.

Mais les acteurs traditionnels ne sont pas les seuls à profiter de ce mouvement de collaboration : les legal start-up profitent aussi de leur expérience, et se confrontent à la réalité du terrain. « Nous essayons de travailler avec des start-up pour les aider à mieux répondre à des cas d’usage » confirme Christian Le Hir, directeur juridique de Natixis. Car la logique de la relation-client s’applique aussi ici, et les legal start-up n’ont pas toujours conscience des nombreuses contraintes qui pèsent sur les professionnels. Magali Granger, chef de projet Open-Innovation d’Axa Protection juridique / Juridica, évoque par exemple les critères de conformité ou de confidentialité très présents dans les métiers du droit. « Les start-up devraient êtres accompagnées pour ne pas perdre de temps au début de la gestion de projet. Une autre problématique est aussi le pricing. Fixer un prix à leur service peut être difficile, surtout par rapport à un grand groupe. »

Xavier Boutiron, Magali Granger, Christophe Lemée, Christian Le Hir

Les legaltech élaborent encore l’étendue de leurs offres et des solutions qu’elles peuvent apporter. Et les perspectives sont larges. Natixis travaille ainsi sur l’automatisation de la production de contrats, l’analyse de documents et de contrats, et un système alternatif de règlement des litiges.
Wolters Kluwer se penche sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans leur métier d’éditeur juridique, que ce soit pour la production de documents, l’évaluation du préjudice ou l’élaboration de stratégie juridique.
Deep Block, qui propose une solution qui simplifie l’utilisation de la blockchain au quotidien, a identifié 180 cas d’usage, comme le recouvrement des honoraires d’avocats.

Les conférences et les débats qui ont animé ces deux jours de salon ont ainsi démontré que nous ne sommes qu’aux prémices du potentiel des legaltech. Pour faire le tri entre les fantasmes et les applications concrètes, dans la variété des outils et des besoins, la synergie de l’ensemble des acteurs de ce marché du droit est indispensable, et sera bénéfique à tous. « On ne se serait jamais imaginé il y a un an qu’on puisse avoir des retours d’expérience de tous ces acteurs, a conclu Melik Boudemagh. Cela montre la diversité et les enjeux qui animent ce que j’aimerais qu’on appelle maintenant l’écosystème legaltetch. Nous ne sommes pas juste des start-up, des avocats, … mais nous sommes tous des innovateurs, des entrepreneurs, en train de subir et de créer une transformation, et ensemble nous créons un tissu commun économique et d’intelligence. »

Clarisse Andry Rédaction du Village de la Justice Crédit photo : Laurine Tavitian