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L’équité contre le droit, ou la dérive dangereuse du contentieux TEG. Par Jean-Marc Varallo, ancien avocat, et Océane Auffret de Peyrelongue, Avocat.
Parution : mardi 12 décembre 2017
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Que constate-t-on depuis quelques années, à la lecture des décisions rendues, surtout à Paris, mais de plus en plus en Province ?
Le recul de l’application des principes directeurs du droit de la consommation au profit de ceux de la responsabilité contractuelle, qui entraîne une totale confusion.

L’habillage de ces décisions mérite d’être décrypté, car la plupart des raisonnements qui les sous-tendent s’avèrent contraires à la stricte application de la loi.

Les juges s’éloigneraient du corpus de règles qu’ils devraient appliquer, ou tout au moins auxquels ils devraient se référer, pour aller puiser çà et là, dans les principes de la responsabilité civile, du droit des contrats, voire une prétendue prédominance de la loi spéciale, quand cela leur convient, mais pas tout le temps, pour éviter de sanctionner les établissements financiers, et ce, même après avoir constaté et admis leurs erreurs.

Pour quelles raisons ?

Afflux de dossiers dans une branche du contentieux assez rébarbative ?
Traitement peu sérieux des dossiers des emprunteurs par leurs avocats ?
Sentiment diffus que les emprunteurs profitent des possibilités qu’offre la loi, et plus particulièrement le droit de la consommation, pour obtenir la réduction du montant des intérêts qu’ils auront à rembourser ?
Lobbying efficace des établissements financiers qui ne manquent pas de moyens pour faire intervenir des avocats de qualité suffisamment crédibles pour faire passer leur message ? En tout état de cause, en s’en tenant à la stricte application de la règle de droit, trouvant sa source, aussi bien dans la loi, que dans les arrêts de principe rendus par la Cour de cassation, ce contentieux devrait, en règle générale, tourner à l’avantage des emprunteurs, or, la tendance est inverse.

Cette situation est particulièrement inquiétante dans la mesure où le contrat de prêt immobilier est un contrat d’adhésion, et qu’au-delà de ce rappel élémentaire, la raison d’être du droit de la consommation est la protection du consommateur, et non du professionnel, quelle que soit l’incidence de l’erreur que celui a commise.

Or, c’est bien pour corriger les dérives commises par les professionnels dans ce genre de contrats, que la loi les encadre, qu’elle prévoit un cadre, des limites, des sanctions.

La dérive « jurisprudentielle » préoccupante pour celui qui s’intéresse à la matière, et qui défraierait la chronique, si elle se situait dans une autre branche du droit révèlerait en fait une très ancienne tendance dont on pouvait penser qu’elle était réservée non pas à protéger les puissants, mais les faibles : l’équité.
N’ayant que peu de moyens sérieux en droit pour ne pas sanctionner les banques, nos juges statueraient en équité, ce dangereux instrument de la puissance du juge, pour reprendre l’expression de d’Aguesseau, grand juriste du siècle des Lumières.

Les exemples

Décimale :

L’illustration emblématique de cette dérive, initiée par une série d’arrêts rendus par la juridiction suprême, mais sur un fondement juridique erroné est bien cette jurisprudence abracadabrante dite de la « décimale ».
Son résultat se résume en une expression qui a de quoi choquer : un TEG faux peut néanmoins être juste.
C’est une conclusion contraire à tous les principes, et elle s’appuie, cela a été remarqué, sur une interprétation totalement fausse de l’ancien article R 313-1 du Code de la consommation, aussi bien parce qu’aucune disposition dudit Code n’autorise les banques à calculer le TEG avec la moindre tolérance, mais encore, parce que ce texte précis ne concerne pas le crédit immobilier, mais le seul crédit à la consommation.

Ce manque de rigueur est consternant, mais il fait des dégâts. Il témoigne de l’idée que si la banque s’est trompée de peu, elle ne doit pas être sanctionnée.
Cela relève, d’une part, d’une appréciation assez angélique des comportements d’agents économiques d’une telle puissance, qui ne se trompent pas, et ne font rien par hasard, et d’autre part, d’un dévoiement de la loi, qui elle sanctionne quelle que soit l’incidence sur le taux.
Ce raisonnement aurait sa place au café du commerce, pas devant les tribunaux, il est typique d’une appréciation en équité d’un problème dont la solution devrait être différente, si l’on appliquait la loi dans toute sa rigueur.
Les juges, admettent l’argument des banques, qui minimisent leurs oublis, plaident que la sanction serait alors démesurée, et, pour cette seule raison, ont réussi à faire admettre un raisonnement juridique qui n’en est pas un.

Année bancaire :

Deux hypothèses se rencontrent fréquemment :
- Soit le prêteur a calculé les intérêts sur 365 jours mais a inséré dans les conditions générales et/ ou particulières une clause stipulant le calcul des intérêts sur 360 jours. Autrement dit, l’établissement bancaire, professionnel du crédit, a affiché une information erronée ou faisant appel à des notions réservées au professionnel ;
- Soit le prêteur a calculé les intérêts sur 360 jours et ce, en violation de la jurisprudence constante et ancienne en la matière.

Or, de manière surprenante, toutes les juridictions du fond ne condamnent pas ces deux pratiques de sorte que les emprunteurs se retrouvent face à une grande insécurité juridique et les banques frappées d’aucune sanction…

Sanction :

S’agissant de la sanction, certaines juridictions du fond refusent de prononcer la nullité de la clause des intérêts conventionnels à titre de sanction et ce, alors :
- Que d’une part, cette position est contraire à celle de la juridiction suprême (cf Cass civ 14 décembre 2016) ;
- Que d’autre part, l’article L 312-33 (ancien) du Code de la consommation prévoit qu’en matière de TEG erroné (notamment), le prêteur peut être sanctionné par la déchéance totale ou partielle du droit aux intérêts. En d’autres termes, ce texte laisse la possibilité d’appliquer une autre sanction que celle de la déchéance d’où la création prétorienne de la nullité de la stipulation contractuelle relative aux intérêts contractuels en cas de TEG erroné. Autrement dit, deux régimes de sanction coexistent : nullité et déchéance ;
- Qu’enfin, force est de constater qu’en tout état de cause, la substitution comme sanction constitue une forme possible de déchéance partielle.

Cependant, l’interprétation erronée des textes et de la jurisprudence de la Cour de cassation par les juridictions du fond créée une fois encore une grande disparité dans le résultat des décisions ce qui s’avère totalement inique pour les emprunteurs et une fois encore contraire au principe de sécurité juridique auquel tout justiciable a droit.

Conclusion :

Ainsi, reste à espérer que le législateur et/ ou la juridiction suprême fasse preuve de clarté et de fermeté dans un avenir proche et ce, dans le strict respect du droit de la consommation et par suite des consommateurs.
Ce d’autant qu’en cas de condamnation ferme et systématique des banques, non seulement ces dernières tenteraient de trouver une issue amiable en amont avec les emprunteurs (ce qui allègerait de manière considérable le contentieux voire l’éradiquerait) mais surtout l’objectif du législateur serait atteint.
A défaut d’une telle intervention, il est à craindre que les emprunteurs voient leurs droits et l’information dont ils sont censés pouvoir bénéficier se réduire comme une peau de chagrin et que se crée un inquiétant déséquilibre face à des établissements bancaires, professionnels du crédit, particulièrement puissants.

M Jean-Marc VARALLO (ancien Avocat) & Me Océane AUFFRET DE PEYRELONGUE (avocat)
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