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La justice et la libération de la parole des femmes, l’étape d’après. Par Jacques Cuvillier.
Parution : samedi 16 décembre 2017
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Les derniers mois ont été le théâtre d’une prise de conscience sans précédent de ce qu’endurent les femmes vis-à-vis notamment des violences et des agressions sexuelles dont elles sont l’objet. Si ce phénomène débouche sur une écoute avec moins d’a priori et davantage de bienveillance, c’est parce que l’on semble découvrir tout-à-coup une réalité trop longtemps cachée. Mais les femmes ne se battent pas que pour elles. Elles se battent aussi, souvent bec et ongles, pour leurs enfants dans d’innombrables procédures avec souvent davantage de préjudices graves pour elles-mêmes et leurs enfants que de chances d’aboutir.

Ce que le public semble découvrir à propos des femmes, les acteurs associatifs, les professionnels des services sociaux et de la justice le connaissent depuis longtemps. De la même manière, ils ont vu passer avec un sentiment d’horreur et d’impuissance de très nombreux dossiers qui se ressemblent, et qui montrent aussi ce que subissent un trop grand nombre d’enfants et les parents que s’efforcent de les protéger [1]. Parce qu’il y a beaucoup de progrès à faire, comment ne pas espérer que le public fasse aussi la soudaine découverte de l’ampleur des horreurs que les enfants endurent. Sera-ce l’étape d’après ?

Les faits d’actualité ont un rôle important dans le déclenchement d’une prise de conscience collective. Le retentissement médiatique de la mise à terre d’un grand producteur de cinéma par des vedettes, a été un choc. A contrario, l’idée que l’on se fait de la position des enfants victimes est encore largement parasitée par l’éclairage qu’ont amené des affaires judiciaires retentissantes, et en particulier l’affaire d’Outreau où pourtant douze d’entre-eux ont été officiellement reconnus victimes de viols, agressions sexuelles, corruption de mineurs et proxénétisme. Cette perception a été modelée par l’approche médiatique qui en a été faite et dont le référentiel erroné n’influence pas que le public, il influe encore largement sur la conduite des processus judiciaires.

On peut aussi s’interroger sur l’influence qu’a la perception des comportements sociaux et familiaux sur la conduite de nombreux dossiers qui relèvent des efforts désespérés que certains parents - en grande majorité des mères dites « protectrices » - déploient pour soustraire leurs enfants aux sévices de leur ex-partenaire au comportement délictueux ou criminel. De nombreuses histoires se ressemblent, les organismes de défense, les travailleurs sociaux, les avocats, les experts les connaissent mais peuvent difficilement contrer le fait que la justice préfère souvent adopter un principe de traitement « équitable » entre les parties, faisant fi des allégations non-assorties de preuves. Dans cette logique qui s’applique aux situations de rupture, les enjeux du conflit viennent souvent jeter le doute sur la crédibilité des déclarations, mais les enfants et la protection à laquelle ils ont droit passe par pertes et profits.

Lorsque la protection des enfants est jugée nécessaire, le placement est typiquement envisagé. Une solution qui bien évidemment peut s’avérer nécessaire dans certains cas, solution apparemment avantageuse aussi qui dédouane les preneurs de décisions d’un manque de précautions, mais c’est ignorer un peu trop l’atrocité du déchirement qu’elle entraîne tant pour le parent protecteur que pour les enfants, c’est ignorer aussi la cascade de préjudices qui vont s’ensuivre, dont une situation souvent humiliante pour le parent protecteur dont le moindre faux pas, l’initiative mal perçue - comme un déménagement – se traduit par la suspicion et souvent des pénalités supplémentaires.

Une médiatisation ciblée

Les combats des mères protectrices – disons pour être plus général des parents protecteurs - ont leurs reflets dans certains réseaux sociaux, mais sont encore largement absents des grands médias qui fonctionnent sur un autre registre : « la justice va-t-elle trouver le coupable ? ». Telle est la question sous-jacente de la plupart des articles qui relatent les affaires à fort retentissement. Comme dans un roman policier, elle soutient l’intérêt des lecteurs, des auditeurs, des téléspectateurs, et l’activité des médias qui alimentent cette curiosité. Or si l’on voulait communiquer sur le rôle de la justice, ne s’agirait-il pas plutôt de mettre en exergue le pouvoir qu’elle a non seulement de sanctionner, mais de prévenir les préjudices souvent catastrophiques qui brisent la vie de victimes que la justice ne parvient pas à reconnaître comme telles ?

Une justice qui cherche ses repères.

Les parties civiles espèrent et souvent revendiquent la condamnation des agresseurs, la défense plaide la relaxe ou l’acquittement ... classique. Mais la décision judiciaire ne peut jamais être une médiane, et c’est heureux dans la mesure où le doute profite toujours à la personne mise en cause. On peut toutefois admettre qu’elle peut être influencée dans une certaine mesure par les prises de conscience de la réalité trop longtemps cachée du comportement humain.

On sait les défis que doit relever la justice sont de respecter les principes qui président à sa démarche : droits de la défense, présomption d’innocence… bien sûr, mais pas seulement, et enfin de trancher puisqu’en définitive, une décision doit être prise. À titre d’exemple, la palette très large des différents sujets sur lesquels ont porté les auditions de la commission d’enquête parlementaire qui s’est penchée sur l’affaire d’Outreau illustre bien les paramètres qui devraient être pris en considération et ceci, indépendamment de la façon particulière dont ils ont été traités [2]

Or les professionnels de la justice n’ont pas toutes les compétences pour apprécier ce qui permet d’ajuster leurs critères. Un apport de compétences extérieures est donc nécessaire en matière de médecine, de psychologie, de psychiatrie, de neurologie, de victimologie… Ceci se traduit d’une part par le rôle important que vont jouer des experts lors de procès, mais aussi par l’influence des formations qui seront dispensées par exemple aux futurs magistrats en marge des études à l’école de la magistrature, et par toutes les sessions de formation « continue » qui seront également proposées.

Les choses seraient assez simples s’il y avait un consensus sur les questions qui sont abordées. Mais c’est loin d’être le cas. Dans les faits, les théories s’affrontent dans un contexte où des arrières-plans idéologiques parasitent les approches scientifiques ou prétendues telles. Il n’est pourtant pas difficile d’observer la ligne de partage qui place d’un côté les avancées des connaissances en matière de psychologie, de psychiatrie, de neurologie… dans un ensemble qui englobe ce que l’on appelle la victimologie et qui permet de mieux comprendre les traits parfois paradoxaux des victimes consécutifs aux traumatismes qui les ont affectées, et d’autre part, les théories anti-victimaires qui servent typiquement à cultiver le doute sur la réalité des faits allégués par les victimes, doute qui sert les stratégies de la défense et profitent le cas échéant aux agresseurs.

Ces théories font que des notions sommaires de faux souvenirs, d’aliénation parentale ou même encore de nos jours de fantasmes sexuels œdipiens sont fréquemment brandies dans les audiences et troublent d’autant plus ceux qui les entendent que leurs connaissances ne leur permettent pas toujours d’en juger avec pertinence, et encore moins lorsque les seules personnes qui ont l’expertise de ces questions sont soumises lorsqu’elles déposent, au feu des critiques et des railleries gratuites d’avocats véhéments.

Les affaires qui touchent aux mœurs sont difficiles à juger. Parole contre parole, manque d’éléments tangibles… c’est bien connu. De fait, le nombre de condamnations reste faible eu égard au nombre de plaintes, et ce nombre est faible par rapport au nombre vraisemblable de crimes et délits. Par ailleurs, le même vocable « d’agressions sexuelles » recouvre des faits sur une large échelle de gravité, et il faut encore objectiver des faits où le subjectif prend une part importante.

Les lignes semblent pourtant bouger.

Jacques Cuvillier

[1Voir cet exemple parmi tant d’autres : le SOS d’une maman

[2Les membres de la commission d’enquête - qui n’avaient pas accès au dossier mais connaissaient au moins l’existence du livre de Florence Aubenas - semblent ne pas avoir réalisé non plus pour la plupart, que douze enfants avaient bien été jugés victimes de viols, agressions sexuelles, corruption de mineurs et proxénétisme. Voir à ce propos : http://demystifier-outreau.nerim.net/commission-enquete-1.html
https://www.village-justice.com/art...

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