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L’installation des crèches dans les bâtiments publics : un an après. Par Johann Boullay, Avocat.
Parution : jeudi 21 décembre 2017
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A l’approche de Noël et un an après les décisions du Conseil d’Etat du 9 novembre 2016, les derniers jugements et arrêts rendus en matière d’installation de crèches dans les bâtiments publics sont l’occasion de revenir sur une jurisprudence subtile dont les précisions sont attendues.

Le débat juridique et sociétal qui avait animé les chroniques spécialisées et autres éditoriaux de presse pendant deux automnes successifs, en 2015 et 2016, concernant l’installation de crèches dans les emplacements publics, semble être retombé comme les dernières feuilles mortes à l’orée de l’hiver. Il est vrai que la question posée d’une application inédite du principe de laïcité dans l’espace public, a trouvé un début de réponse avec les deux décisions d’Assemblée du Conseil d’Etat du 9 novembre 2016 (reqs. n° 395223 et n° 395122).

Il y a tout lieu de penser que les évolutions et précisions attendues par les acteurs du droit ne manqueront pas de se faire rapidement jour, du moins peut-on l’espérer.

D’une part, les tribunaux continuent de juger des affaires similaires en s’inspirant des principes posés par le Conseil d’État ; d’autre part et surtout, les interrogations quant aux difficultés d’interprétation de certaines notions inscrites par la Haute Assemblée dans ses décisions de principe et servant de référence à l’appréciation, par les juges du fond, des faits et de leur qualification juridique, restent entières.

Le récent arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes rendu le 6 octobre 2017 (req. n° 16NT03735) qui confirme, sur renvoi, le rejet du recours de la Fédération de la Libre Pensée contre la décision du Conseil général de Vendée d’installer une crèche dans le hall de l’Hôtel du Département, donnera certainement l’occasion au Conseil d’Etat de préciser sa jurisprudence.

Les juges d’appel ont notamment considéré que l’installation de la crèche depuis plus de 20 ans dans l’enceinte de ce bâtiment public constituait un usage local et que dès lors elle ne méconnaissait pas le principe de neutralité du service public.

La veille, le 5 octobre 2017, le tribunal administratif de Lyon a jugé illégal l’installation d’une crèche au sein de l’Hôtel du Département de la Région Auvergne-Rhône-Alpes (req. n° 170152), en ayant logiquement relevé que son installation pour la première fois au sein de l’Hôtel de Région ne pouvait constituer un usage local.

Plus récemment encore, la cour de Douai (CAA Douai, 16 novembre 2017, req.
n° 17DA00054), dans un arrêt de rejet, confirme l’annulation prononcée par le tribunal administratif de Lille de la décision du maire d’Hénin-Beaumont d’installer une crèche dans l’enceinte de l’Hôtel de ville, après avoir considéré de manière assez expéditive que cette installation, « comportant en l’espèce des sujets de grande taille, dans l’enceinte de ce bâtiment public, siège d’une collectivité publique, ne résultait d’aucun usage local et ne présentait par elle-même aucun caractère artistique ou culturel. »

Compte tenu des termes des décisions du 9 novembre 2016, la voie du contrôle de cassation sur les arrêts de cour ayant apprécié souverainement l’existence ou non de « circonstances particulières » justifiant l’installation d’une crèche paraît néanmoins étroite. Les juges du fond conserveront une marge de manœuvre importante, ce qui augure de la persistance de divergences d’applications.

Il convient de se remémorer les critères d’appréciation sur lesquels la jurisprudence s’était divisée, notamment dans deux arrêts retentissants, l’un de la cour de Paris (CAA Paris, 8 octobre 2015, req. n° 15PA00814) et l’autre de la cour de Nantes (CAA Nantes, 30 octobre 2015, req. n° 14NT03400) ayant amené le Conseil d’État à intervenir pour fixer le cap.

Dans le premier, la cour avait écarté d’un trait de plume l’argumentation de la commune de Melun fondée sur le caractère non ostentatoire ou revendicatif de sa démarche. Peu importait donc les caractéristiques physiques de la crèche et l’intention de la commune. Dès lors qu’il était établi que la crèche était installée dans l’enceinte d’un bâtiment public, qu’elle figurait la Nativité chrétienne et que l’installation était concomitante avec la fête de Noël, elle devait être regardée non comme une simple décoration traditionnelle mais comme représentant un symbole religieux.

C’est une interprétation diamétralement opposée qu’avait retenu la cour de Nantes, en considérant que la crèche, du fait de ses dimensions modestes, ne revêtait pas de caractère ostentatoire. En l’absence de tout autre élément à caractère religieux elle devait être regardée comme s’inscrivant dans le cadre d’une tradition liée à la préparation de la fête familiale de Noël. Pour dénier à l’installation de la crèche toute portée religieuse la cour est passée par une « interprétation sécularisée » de Noël (mue en notion plus générique et populaire de « fête familiale ») en y soustrayant la symbolique de la Nativité pour la rattacher à un symbole strictement traditionnel.

On se souvient comment le Conseil d’État est venu, par un raisonnement « en escalier », fixer une méthode d’analyse. Ces décisions manifestent clairement une recherche d’équilibre dans l’application de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, ne serait-ce que par la fixation d’un postulat préalable plus qu’un principe.

Selon ce postulat, une crèche de Noël serait une « représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations ». On découvrait alors une vérité juridictionnelle plus qu’exégétique, historique ou religieuse.

En cantonnant la crèche à l’iconographie chrétienne (c’est-à-dire à un caractère strictement figuratif dénué de toute symbolique confessionnelle) plus rien ne faisait alors obstacle à attribuer à cette représentation biblique un caractère exclusivement décoratif et illustratif, prenant place dans un cadre traditionnel accompagnant « les fêtes de fin d’années » (et non Noël…). Dans ces circonstances particulières, la crèche étant alors dénuée de toute « signification religieuse particulière » et par voie de conséquence son installation dans un bâtiment public conforme au principe de neutralité du service public.

L’équilibre des droits en présence au prix d’un jeu d’équilibriste en somme.

La légalité de l’installation d’une crèche dans un emplacement public est désormais possible à la condition qu’elle soit comprise dans son acception sécularisée c’est-à-dire lorsqu’elle présente « un caractère culturel, artistique ou festif et sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse ».

En dehors de l’approximation qui ne peut qu’entourer ces critères, voire de l’artifice à opérer de subtiles distinctions selon le lieu d’emplacement de la crèche (« bâtiments publics » ou « autres emplacements publics »), on ne peut que saluer la recherche par les juges du Palais Royal d’une solution excluant une disparition complète des crèches du paysage de Noël, même si cette solution aboutit à une forme de « mariage des paradoxes ».

En tous les cas, les quelques jugements et arrêts rendus dans le sillage des décisions du 9 novembre 2016 n’ont pas apporté d’éclaircissement notable sur l’interprétation des critères posés par le Conseil d’État.

Peut-être l’automne 2018 apportera-t-il les évolutions attendues, la jurisprudence, comme le rythme des saisons, connaissant ses accalmies et ses bourrasques.

Johann Boullay Avocat au barreau d'Orléans