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L’interdiction de la revente à perte s’applique dans les transactions entre professionnels. Par Alexandre Peron, Legal Counsel.
Parution : vendredi 22 décembre 2017
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La revente à perte est établie lorsqu’un vendeur distribue un produit sur le marché en fixant un prix inférieur au prix d’achat. La loi française fait référence à un système de seuils calculés selon le prix d’achat auquel est affecté un coefficient fixé par l’article L.442-2 du Code de commerce, afin d’évaluer s’il y a ou non revente à perte. Il s’agit en France d’une pratique légalement interdite, faisant notamment du droit français, une des rares exceptions en la matière et ce à l’échelle européenne.

Cette interdiction a été introduite en France par la loi n° 63-628 du 2 juillet 1963 (modifiée en 2008 par la loi Châtel). La loi avait deux objectifs principaux. D’une part, elle voulait protéger les petits commerçants face à l’émergence de la grande distribution qui de par son organisation et son mode de fonctionnement a immédiatement permis de proposer des produits à des tarifs très concurrentiels. Et c’est notamment cette politique des prix bas qui a fait naître des soupçons de revente à perte de la part de la grande distribution, ceci étant susceptible d’être utilisé pour attirer le client dans l’enceinte des « grandes surfaces ».

D’autre part, le législateur souhaitait initier un grand chantier qui n’a jamais cessé, à savoir la protection du consommateur.

S’il existe bien des exceptions à l’interdiction de la revente à perte comme par exemple les produits en solde ou encore le cas des produits périssables dont la date limite de consommation est courte, l’interdiction française a perduré et ce malgré des remises en cause régulières comme ce fut notamment le cas dans le cadre des arrêts Keck et Mithouard du 24 novembre 1993, arrêts rendus par la Cour de justice. Toutefois les évolutions successives du droit européen et de sa jurisprudence sont venues semer le trouble sur la notion et sur le principe même de l’interdiction.

Une des questions qui s’est rapidement posée, est de savoir si la pratique d’interdiction de revente à perte est conforme ou non aux dispositions de la directive du 11 mai 2005 relative à l’interdiction des pratiques commerciales déloyales à l’égard des consommateurs ?

En 2013, la CJUE s’est prononcée en considérant que la directive de 2005 s’oppose à ce qu’une réglementation nationale ayant pour objectif la protection des consommateurs, interdise de façon générale la revente à perte (CJUE ordonnance 07-03-2013, affaire 343/12).
Il est possible de détailler en trois axes, le raisonnement suivi par la CJUE. Dans un premier temps, elle considère que si la finalité du texte national est de protéger les consommateurs, alors il entre dans le champ de la directive et inversement.

Dans un second temps, elle a considéré que la pratique de la revente à perte ne pouvait être envisagée comme une pratique commerciale déloyale, et notamment au regard de la définition large retenue par la directive.

Dans un troisième et dernier temps, elle est venue préciser qu’une interdiction générale ne peut être qu’en opposition avec les termes de la directive de 2005, dans la mesure où ce texte européen poursuit un objectif d’harmonisation et que de ce fait, chacun des États membres ne peut adopter des dispositions plus strictes et sévères que celles prévues à l’échelle européenne.

Le problème depuis 2013, c’est que jamais les tribunaux français ne s’étaient interrogés sur la question de savoir si le positionnement de la CJUE était transposable à la réglementation française, rendant de facto l’état du droit français en la matière très complexe et flou.

Dernièrement, ce flou « artistique » a été réitéré par un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation rendue le 22 novembre 2017 (n°16-18.028). Nous aurions pu espérer que la Haute cour viennent prendre position et lève le voile sur un débat sans fin, mais en vain.

En l’espèce, une centrale d’achat spécialisée dans les produits d’optique s’était adonnée à une prospection d’adhérents d’un réseau concurrent en leur offrant notamment une remise sur certains produits.

Le réseau concurrent avait estimé que cette centrale s’adonnait à une pratique de revente à perte, et avait donc décidé d’assigner cette centrale d’achat.

En première instance, le Tribunal avait considéré que la centrale d’achat bénéficiait au moment des faits du statut de grossiste, et que dès lors, elle pouvait diminuer son seuil de revente à perte, sans pour autant se livrer à une pratique de revente à perte au sens de l’article L. 442-2 du Code de commerce.

L’affaire est allée jusqu’en cassation et la défense de la centrale attaquée consistait à estimer que l’article du Code de commerce cité supra n’était pas applicable car contraire à la directive de 2005. Le problème soulevé ici est que la pratique avait été réalisée non pas entre un professionnel et des consommateurs mais entre deux professionnels, à savoir la centrale d’achat et les détaillants de produits d’optique. Et c’est notamment sur ce premier argument que va se baser la Cour de cassation pour rejeter le pourvoi.

La chambre commerciale va également rejeter en bloc le second argument de la centrale attaquée et qui ne faisait que reprendre l’argumentaire des juges du fonds relatif au statut de grossiste permettant d’abaisser son seuil de revente à perte. En effet, les juges du droit ont considéré que le grossiste avait en réalité avec les détaillants, une relation allant au-delà du simple rapport commercial entre un grossiste et ses clients, puisqu’il s’agissait d’un réseau au travers duquel des obligations et des droits étaient à la charge tant du grossiste que des détaillants.

Que faut-il retenir ?

Il ressort de cette nouvelle jurisprudence que la loi française en la matière demeure floue. Il semble clair à la lecture de l’article L.442-2 du Code de commerce que l’interdiction visée revient à s’appliquer tant à l’égard des consommateurs, qu’entre professionnels. Ainsi grâce à l’arrêt de 2017, il semble clair que l’interdiction de la revente à perte entre professionnels n’est pas contraire aux dispositions de la directive de 2005. Or, quid de l’interdiction générale de revente à perte à l’égard des consommateurs ? Il est possible d’estimer que cette interdiction rentre en contradiction avec la directive, et que dès lors l’interdiction devrait uniquement reposer sur le caractère déloyal.

Alexandre Peron Legal Counsel
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