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Dysfonctionnements répétés et prolongés de vos services de télécommunication : quand l’opérateur est condamné pour faute lourde. Par Chloé Fernström, Avocat.
Parution : vendredi 22 décembre 2017
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Dans une décision du 8 novembre 2017, le Tribunal de commerce de Paris a jugé que l’opérateur Orange a commis une grave négligence qualifiable de faute lourde à l’égard de son client professionnel, pour avoir mis plusieurs mois à remédier efficacement à des dysfonctionnements de ses services.

Dans cette affaire, un restaurateur parisien avait subi, durant plus de quatre mois, des dysfonctionnements quotidiens des services d’Orange matérialisés par des interruptions prolongées et répétées de sa connexion à Internet, de son accès aux services télévisuelles, et de sa ligne téléphonique fixe.

Si cette panne n’avait pas été totale et continue, les services d’Orange ayant sporadiquement fonctionné sur cette période, elle n’en pas moins occasionné un important préjudice au restaurateur.

En effet, les services de télécommunication d’Orange étaient indispensables au bon fonctionnement et à l’organisation du restaurant, dans la mesure où les tablettes de prise de commande, la caisse enregistreuse, ou encore les terminaux de paiements électroniques de l’établissement nécessitaient une connexion à internet. La ligne téléphonique fixe permettait, quant à elle, la prise des réservations.

Alors que le restaurateur s’était manifesté à de multiples reprises afin qu’il soit remédié à la panne, la société Orange a mis plusieurs mois à intervenir sur les lieux et à effectuer les réparations d’un câble endommagé.

La société Orange n’ayant pas répondu aux tentatives de résolutions amiables du litige initiées par le restaurateur désireux de voir son préjudice indemnisé, elle a été assignée en responsabilité.

Le jugement rendu par le Tribunal en date du 8 novembre 2017 est riche en enseignements en ce qu’il a :
- retenu que la preuve des dysfonctionnements était valablement rapportée, notamment au moyen d’attestations, même en l’absence d’un constat d’huissier (a) ;
- jugé que le comportement de la société Orange à l’égard du restaurateur avait été constitutif d’une grave négligence qualifiable de faute lourde (b) ;
- accordé une indemnisation forfaitaire au restaurateur pour le trouble commercial subi du fait de la désorganisation du fonctionnement de l’établissement (c).

(a) Sur la preuve des dysfonctionnements

Le restaurateur communiquait de multiples éléments de nature à démontrer l’existence, la récurrence et la persistance des pannes l’ayant affecté durant plus de quatre mois et, notamment, des attestations de son personnel et de l’entreprise voisine.

Contestant la force probante de ces pièces, la société Orange affirmait que la preuve des pannes qui lui étaient reprochées ne pouvait être valablement rapportée en l’absence d’un constat d’huissier en bonne et due forme.

Le tribunal a écarté l’argumentation de la société Orange en soulignant à juste titre que du fait du caractère aléatoire des coupures, ces dernières étaient, par nature, « non contrôlables par huissier ».

Se fondant notamment sur le témoignage de l’entreprise voisine ayant subi les mêmes dysfonctionnements, il a considéré que la preuve de la panne était suffisamment établie.

Précision importante : s’agissant des attestations établies par des salariés du restaurant, dont la société Orange sollicitait le rejet, le Tribunal a simplement considéré que ces témoignages « peuvent être éventuellement mis en cause du fait d’une situation de dépendance. »

« Eventuellement » s’opposant à « automatiquement », il est permis d’en déduire que, de l’avis du tribunal, une attestation établie par un salarié n’est pas nécessairement dénuée de toute portée et qu’elle peut, a minima, constituer un commencement de preuve.

(b) Sur la reconnaissance bienvenue d’une faute lourde de la société Orange en cas de dysfonctionnements prolongés de ses services

L’article D98-4 du Code des postes et télécommunications électroniques dispose :

« Règles portant sur les conditions de permanence, de qualité et de disponibilité du réseau et du service.
I.-Conditions de permanence du réseau et des services.
L’opérateur doit prendre les dispositions nécessaires pour assurer de manière permanente et continue l’exploitation du réseau et des services de communications électroniques et pour qu’il soit remédié aux effets de la défaillance du système dégradant la qualité du service pour l’ensemble ou une partie des clients, dans les délais les plus brefs. Il prend toutes les mesures de nature à garantir un accès ininterrompu aux services d’urgence.
L’opérateur met en œuvre les protections et redondances nécessaires pour garantir une qualité et une disponibilité de service satisfaisantes. 
II.-Disponibilité et qualité du réseau et des services.
L’opérateur met en œuvre les équipements et les procédures nécessaires, afin que les objectifs de qualité de service demeurent au niveau prévu par les normes en vigueur en particulier au sein de l’UIT et de l’ETSI, notamment pour ce qui concerne les taux de disponibilité et les taux d’erreur de bout en bout.
L’opérateur mesure la valeur des indicateurs de qualité de service définis par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes dans les conditions prévues par l’article L. 36-6. L’Autorité peut demander la certification des méthodes de mesure de la qualité de service. Les modalités de mise à disposition du public du résultat de ces mesures sont fixées par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes dans les mêmes conditions. »

Les obligations des opérateurs en matière de permanence, de qualité et de disponibilité du réseau et du service de télécommunications sont d’ordre public et constituent des obligations de résultat.

Dans un arrêt en date du 4 février 2004 de la cour d’appel de Versailles (RG n° : 03/07368) a en effet jugé :
« Qu’en sa qualité de prestataire des services Orange est tenu à une obligation de résultat envers l’abonné ;
Qu’elle est présumée responsable de tout dysfonctionnement sauf à elle à rapporter la preuve d’une cause étrangère »

Dans sa décision du 8 novembre 2017, le Tribunal de commerce de Paris a condamné la société Orange pour faute lourde, considérant qu’en tardant plusieurs mois à réparer la panne, cette dernière avait commis « une grave négligence puisqu’il lui appartient en tant qu’opérateur de mettre en œuvre les protections et redondances nécessaires pour garantir une qualité et une disponibilité de services satisfaisantes. »

Pour rappel, la Cour de cassation a jugé que la faute lourde correspond à « une négligence d’une extrême/exceptionnelle gravité dénotant l’inaptitude du débiteur à accomplir sa mission contractuelle ».

Soulignons que la reconnaissance d’une telle faute n’est pas sans conséquences puisqu’elle permet de neutraliser les éventuelles clauses limitatives de responsabilité du débiteur.

Ainsi, le Tribunal a considéré que les mesures de contournement mises en places par Orange pour pallier difficultés du restaurateur liées à la panne (prêt d’un domino, transfert d’appels etc…) ne permettaient pas de fournir un service satisfaisant et n’étaient donc nullement de nature à exonérer la société Orange de sa responsabilité.

Qui plus est, rappelons que la jurisprudence retient avec une certaine constance que des «  dysfonctionnements du réseau ou défaillances » affectant les services de télécommunications ne sauraient être assimilées à des cas de force majeure exonérant les opérateurs (CA Versailles, 4 février 2004, n°03/07368).

Ainsi, Orange ne pouvait, en tout état de cause, invoquer une cause étrangère pour tenter d’échapper à ses responsabilités.

(c) Sur l’indemnisation de la désorganisation du restaurant du fait des dysfonctionnements des services d’Orange

Rappelons tout d’abord que la jurisprudence retient qu’il appartient aux opérateurs téléphoniques de « prendre toutes précautions utiles pour éviter une interruption de service et en cas d’impossibilité, l’abonné doit être indemnisé quelle que soit la durée de l’interruption » (CA Versailles, 4 février 2004, n°03/07368).

Compte tenu des défaillances quotidiennes des services d’Orange durant plusieurs mois, le restaurateur sollicitait notamment le remboursement de son abonnement sur tous les mois concernés ainsi qu’une indemnisation de son trouble commercial, notamment caractérisé par une désorganisation totale de l’établissement.

Pour s’opposer à la demande indemnitaire du restaurateur, la société Orange invoquait la clause limitative de responsabilité figurant dans ses conditions générales de vente excluant toute demande d’indemnisation au titre de « manque à gagner, perte de chiffre d’affaires, perte de clientèle, atteinte à l’image et/ou réputation et perte de données.  »

Outre que la reconnaissance d’une faute lourde mettait, à elle seule, en échec la clause limitative de responsabilité de la société Orange, le tribunal n’a pas tenu compte de cet argument qu’il avait explicitement jugé abusif lors des plaidoiries.

En effet, une telle clause, dans le cadre de contrats d’adhésion comme ceux de la société Orange, est généralement jugée comme étant dénuée de portée puisqu’elle a pour effet de neutraliser l’obligation essentielle - et de résultat - de l’opérateur, consistant à maintenir des services permanents et de qualité, ce dernier ne risquant rien en cas de défaillance.

En somme, faisant sienne l’argumentation du restaurateur, le tribunal a condamné la société Orange à rembourser la totalité des abonnements sur la période litigieuse et à indemniser le restaurateur de son trouble commercial d’un montant de 5.000 euros du fait de la « désorganisation du fonctionnement du restaurant » ayant « provoqué un stress supplémentaire pour le service ».

Le tribunal a ainsi consenti une indemnisation forfaitaire au restaurateur, dont le préjudice, essentiellement caractérisé par une mise à mal du fonctionnement des services et des cuisines, était difficilement quantifiable.

Il s’agit, en somme, d’une décision tout à fait salutaire mettant les opérateurs très clairement face à leurs responsabilités vis-à-vis de leurs clients professionnels, qui sont de plus en plus nombreux, à l’ère du tout numérique, à voir leur activité dépendre du bon fonctionnement des services de télécommunication.

Espérons que ce jugement incitera la société Orange à intervenir avec davantage de diligence et de célérité auprès des professionnels affectés par des dysfonctionnement réguliers, récurrents et persistants de leurs services numériques et de télécommunication.

Chloé Fernström Avocat en droit de la distribution et contrats commerciaux www.chloe-fernstrom.com
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