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Branches professionnelles et restructuration. Par Virginie Morgand, Juriste.
Parution : vendredi 29 décembre 2017
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La branche professionnelle, notion essentielle en droit du travail, regroupe les entreprises d’un même secteur d’activité et relevant d’un accord ou d’une convention collective. Néanmoins, elle est difficile à cerner sur le plan juridique. Un vaste chantier de restructuration des branches professionnelles a commencé avec la loi du 8 août 2016 dans une logique de réduction.

I- Définir la branche professionnelle

Sur le plan législatif

La restructuration des branches est le résultat de 3 lois :

1- La loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, qui définit les critères de restructuration des branches.

2- La loi du 17 août 2015, dite "loi Rebsamen", qui instaure des critères alternatifs, et non plus cumulatifs.

3- La loi du 8 août 2016, dite "loi Travail", qui vient préciser la procédure de restructuration des branches au sein de la sous-commission de restructuration des branches, mais également définir de nouveaux critères avec la fixation d’un calendrier avec un objectif de 200 branches en 2019. 

Au 8 août 2016, il y avait 900 branches professionnelles, en avril 2017, la DARES en comptabilisaient 871. Le Président actuel, Monsieur Emmanuel MACRON, souhaite réduire les branches de 50 à 100.

La branche professionnelle et ses visions économiques et juridiques

Malgré son importance en droit du travail, la notion de branche ne reçoit aucune définition légale, même si le Code du travail prévoit des dispositions qui distinguent la négociation collective de branche et la négociation collective d’entreprise.

En effet, le Code du travail définit seulement les partenaires sociaux avec les organisations représentatives des employeurs et des salariés, sans pour autant déterminer les lieux et instances de rencontre afin de déterminer ensemble des règles collectives.

Toutefois, la branche reçoit deux acceptations, l’une sur le plan économique, l’autre sur le plan juridique.

Sur le plan économique, l’INSEE estime qu’une branche regroupe des unités de production homogène, qui fabriquent des produits ou des services, qui appartiennent au même item de la nomenclature d’activité économique considérée. Au contraire, un secteur regroupe des entreprises classées selon leur activité principale.

Sur la plan juridique, la branche reçoit deux positions : celle de la loi du 8 août 2016 et celles des rapports de Jean-Denis COMBREXELLE et de Jean-Frédéric POISSON.

Ainsi, la loi Travail du 8 août 2016 vient définir les missions de la branche à l’article L. 2232-5-1 du Code du travail, qui sont :

1- De définir, par la négociation, les garanties applicables aux salariés employés par les entreprises relevant de son champ d’application, notamment en matière de salaires minima, de classifications, de garanties collectives complémentaires mentionnées à l’article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, de mutualisation des fonds de la formation professionnelle, de prévention de la pénibilité prévue au titre VI du livre Ier de la quatrième partie du présent code et d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes mentionnée à l’article L. 2241-3.

2- De définir, par la négociation, les thèmes sur lesquels les conventions et accords d’entreprise ne peuvent être moins favorables que les conventions et accords conclus au niveau de la branche, à l’exclusion des thèmes pour lesquels la loi prévoit la primauté de la convention ou de l’accord d’entreprise.

3- De réguler la concurrence entre les entreprises relevant de son champ d’application.

Quant aux rapports, Monsieur Combrexelle a rendu deux rapports respectivement en octobre 2013 et novembre 2015 sur la négociation collective pour apporter un éclairage sur la notion de branche.

En effet, en septembre 2015, le rapport sur la négociation collective, le travail et l’emploi remis au Premier ministre par Monsieur Jean-Denis Combrexelle revient sur la notion de branche (Rapport sur la négociation collective, le travail et l’emploi remis en septembre 2015, Jean-Denis COMBREXELLE, p. 19 et p. 88).

La branche est alors considérée comme :

1- Le lieu de régulation de la concurrence, dont le périmètre est librement défini par les partenaires sociaux.

2- Le niveau pertinent de détermination d’un socle minimum de garanties sociales pour les salariés (salaire minimum, formation, qualifications, prévoyance, etc.) et de cadrage général de l’organisation et des conditions de travail d’un secteur d’activité économique plus ou moins étendu.

Dès lors, il en est déduit que le rôle de l’accord de branche est déterminant quand cette dernière est composée essentiellement de très petites entreprises ou d’entreprises moyennes, ce qui explique l’importance qu’il revêt pour les organisations professionnelle représentant l’agriculture, les professions libérales ou l’économie sociale.

La branche joue un rôle de régulateur. De ce fait, elle doit avoir une vision prospective de l’évolution sociale et économique du secteur, mais également assurer le suivi statistique des métiers, emplois, besoins, compétences et formation avec l’obligation d’avoir des observatoires de branche.

En octobre 2013, Monsieur Combrexelle avait déjà mis en avant la notion de branche aux termes d’un rapport sur la réforme de la représentativité patronale, qui vient rappeler les objectifs recherchés, notamment celui de légitimer les acteurs patronaux pour conforter la négociation collective (Rapport Combrexelle du 28 octobre 2013, page 37).
 
Sur ce point, le rapport souligne : "la création d’une branche trouve souvent son origine dans la volonté de plusieurs employeurs regroupés dans une organisation professionnelle de se doter d’un corpus commun de règles en vue d’homogénéiser leurs pratiques d’entreprises et de réguler la concurrence entre eux. Cette volonté rencontre ensuite celle des organisations syndicales et leur accord est formalisé dans un texte collectif".
 
Il est, en outre, précisé que la branche professionnelle est une notion difficile à définir en droit et que son existence se déduit de celle d’une convention collective. La représentativité syndicale a été construite sur ce postulat admis par les partenaires sociaux.
 
Enfin, ce rapport exprime la finalité première de la branche (page 79), qui est de constituer un cadre adapté et dynamique de l’emploi et de l’organisation du travail dans le secteur concerné. Il est ainsi proposé un encadrement juridique donnant place à une démarche pragmatique de l’État en concertation avec les partenaires sociaux. En revanche, la solution, proposée par certains, consistant à donner une définition législative et donc théorique de la branche, n’est pas souhaitable dans la mesure où elle serait inadaptée à une situation donnée car elle ne peut se définir qu’au cas par cas de part sa complexité.

Enfin, le 28 avril 2009, le Député Jean-Frédéric POISSON a remis un rapport au Premier ministre sur la négociation collective et les branches professionnelles dans lequel il propose de définir les branches professionnelles car l’absence de formalisation juridique des critères d’existence et de gouvernance des branches est la cause très probable de la multiplication des champs conventionnels (Rapport sur la négociation collective et les branches professionnelles remis le 28 avril 2009, Mission confiée à J.-F. POISSON par le Premier ministre, p. 35-38).
 
Ainsi, les branches professionnelles sont :
 
1- « des constructions de la négociation collective » : elles ne sont pas des cadres préétablis (donnés par le marché, établis par la science ou constitués par l’administration), dans lesquels on ferait entrer des acteurs eux-mêmes préexistants. Elles sont des cadres pour l’action et leurs contours résultent de compromis entre les acteurs de la négociation collective.
 
2- « de nouvelles capacités d’organisation et de gouvernance » : elles sont perçues comme une entité de la vie socio-économique. En effet, elles réunissent les acteurs de la négociation collective capables de représenter et d’engager les intérêts des parties à la relation de travail dans le périmètre qu’ils définissent.

La branche professionnelle et ses visions pratiques différentes

La branche revêt des acceptions différentes par la pratique : d’une part, l’exemple de l’accord professionnel des sociétés d’assurance du 12 juillet 2012 et, d’autre part, la pratique de la Direction Générale du Travail.

En effet, par un accord professionnel des sociétés d’assurance du 12 juillet 2012 relatif à la représentativité des organisations syndicales, les partenaires sociaux définissent à l’unanimité un article 3 intitulé « Définition de la branche professionnelle ».
 
Selon cet article 3 :

1- L’existence de la branche professionnelle se manifeste par la négociation, pouvant aboutir à la signature d’accords collectifs applicables à l’ensemble des salariés des société.

2- Il en résulte que la branche professionnelle au sens des articles L. 2122-5 et L. 2122-7 du Code du travail est celle des sociétés d’assurance dans sa totalité avec donc une détermination des syndicats représentatifs à ce seul niveau, sans préjudice des dispositions légales relatives à la mesure de la représentativité à l’égard des personnels relevant des collèges électoraux dans lesquels leurs règles statutaires leur donnent vocation à présenter des candidats des organisations syndicales catégorielles qui sont affiliées à une confédération syndicale catégorielle interprofessionnelle nationale d’assurance.
 
Elle a abouti à la mise en place d’un cadre conventionnel de dispositions communes, montrant ainsi que la branche professionnelle est un niveau pertinent pour établir un cadre en matière de conditions d’emploi, de formation professionnelle et de travail et de garanties sociales.

Quant à la pratique de la Direction générale du travail, pour apprécier la représentativité syndicale au sens de la loi du 20 août 2008, le Ministère du travail définit la branche professionnelle en opérant une assimilation avec les Identifiants de Convention Collective - IDCC. Ainsi, une sorte de confusion apparaît entre la branche, la convention collective et l’IDCC.

Ainsi, par exemple, pour la procédure de création et de suppression d’un IDCC par le Ministère du travail, les modalités sont les suivantes :

1- L’accord doit être déposé au service compétent à l’initiative de la partie la plus diligente.

2- Un numéro d’ordre est attribué, ainsi qu’un IDCC par l’administration.

3- L’IDCC devient inactif soit, lorsque la convention collective est remplacé par une autre soit, lorsque la convention collective est dénoncée intégralement.

4- La DGT et la DARES publie une mise à jour des IDCC une fois par an mais une publication plus régulière depuis le processus de restructuration des branches.

Les partenaires se réunissent, en 2017, à la demande de la Direction Générale du Travail, pour tenter de trouver une définition commune de la branche pour favoriser le processus de restructuration. Mais, avec des acceptions différentes, notamment une pratique de la Direction Générale du Travail troublante, il s’avère que définir la branche paraît difficile.

II- Restructurer les branches professionnelles

Se restructurer c’est s’associer, s’assembler, voire s’élargir. La restructuration des branches c’est une opération de réduction du nombre de branches de 900 à 200 en 2019 selon la loi du 8 août 2016, voire de 50 à 100 branches selon Emmanuel MACRON.

Le cadre législatif de la restructuration des branches
 
Avec la loi du 8 août 2016, le Ministre du Travail engage en priorité la fusion et la suppression des branches selon 5 critères alternatifs :

1- comptant moins de 5000 salariés dans un délai de 3 ans, soit d’ici novembre 2019 ;

2- n’ayant pas négocié au cours des trois dernières années sur plusieurs thèmes relevant de la négociation obligatoire ;

3- dont le champ d’application géographique est uniquement régional ou local ;

4- dans lesquelles moins de 5% des entreprises adhèrent à une organisation professionnelle représentative des employeurs ;

5- dont la commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation ne s’est pas réunie au cours de l’année précédente à compter du 1er janvier 2019.

Les étapes de la restructuration des branches

La restructuration des branches s’opère en 3 étapes, qui ne doivent pas se confondre : l’accueil, la fusion ou l’élargissement, la suppression.

L’accueil c’est le champ d’application géographique ou professionnel d’une convention collective qui intègre un secteur territorial ou professionnel non couvert par une convention collective.
 
La fusion, c’est l’association des champs d’application de deux ou plusieurs conventions collectives présentant des conditions économiques et sociales analogues. Quant à l’élargissement, c’est le champ d’application d’une convention collective qui s’élargit en intégrant une ou des nouvelles.

La suppression, c’est la disparition de deux ou plusieurs branches à la suite d’une fusion entre elles par l’association de conventions collectives présentant des conditions économiques sociales analogues.

La mise en oeuvre de la restructuration des branches
 
Le processus de restructuration des branches se passe par un rapprochement entre branches (échanges de courriers, mails et réunions), qui sont représentées par les fédérations des syndicats, sous la surveillance de la Confédération.

Ce processus aboutit à faire une intention à la Direction Générale du Travail, puis à l’enclenchement du processus administratif de rapprochement par le travail préparatoire de la sous-commission de restructuration des branches qui consiste à :

1- Cibler les branches à restructurer au regard des critères légaux.

2- Analyser la situation de ces branches.

3- Rechercher et proposer des actions (fusion, suppression, élargissement…).

Le processus administratif de la fusion ou de l’élargissement

Le processus administratif s’opère en trois étapes :

1- Un avis de fusion / élargissement est publié au Journal Officiel, qui invite les organisations syndicales et les personnes intéressées pour faire des observations dans les 15 jours.
 
 2- Un avis des partenaires sociaux est rendu par la sous-commission de restructuration des branches :

Un AVIS FAVORABLE amène à une publication au Journal Officiel, à un arrêté officiel de fusion ou d’élargissement.
 
Un AVIS DÉFAVORABLE amène à :
1- Une proposition d’une autre branche de rattachement (fusion) ou à un projet alternatif d’élargissement du champ d’application par décision écrite et motivée de deux organisations patronales ou deux organisations salariales au Ministère du travail dans les 15 jours de la 1ère consultation de la commission nationale de la négociation collective.
2- Un avis n°2 en sous-commission de restructuration des branches, consultation qui a lieu au minimum 1 mois après la 1ère consultation. 

3- Le Ministère du travail prononce la fusion ou l’élargissement.

Jusqu’au 8 août 2019, aucune fusion en cas d’opposition écrite et motivée de la majorité des membres de la sous-commission, sauf les branches territoriales et celles qui n’ont pas conclu d’accord dans les 15 années précédant la promulgation de la loi.
 
Après le 8 août 2018, le Ministre du travail pourra prononcer la fusion même en cas d’opposition majoritaire des membres de la sous-commission.

La suppression de la branche suivant la fusion ou l’élargissement

Après le processus administratif, s’opère la suppression, qui varie selon que la fusion ou l’élargissement est initiée par les partenaires sociaux ou l’administration.

Si la fusion ou l’élargissement est initié par l’administration, trois étapes doivent être respectées :

 1- La négociation d’un accord d’harmonisation.

2- La conclusion d’un accord d’harmonisation à l’issu d’un délai de 5 ans à compter de la "date d’effet de la fusion ou du regroupement" (L. 2261-33 du Code du travail).

3. La suppression de la branche par la fusion ou l’élargissement et donc de l’IDCC pour le Ministère du travail.

Si la fusion ou l’élargissement est unité par les partenaires sociaux, trois étapes doivent être respectées :

1- La conclusion d’un accord de champ.

2- La conclusion d’un accord d’harmonisation à l’issu d’un délai de 5 ans à compter de la "date d’effet de la fusion ou du regroupement" (L. 2261-33 du Code du travail).

3. La suppression de la branche par la fusion ou l’élargissement et donc de l’IDCC pour le Ministère du travail.

Pour en savoir plus :

La restructuration des branches initiée par l’Administration : articles L. 2261-32 ; D. 2261-14 et D. 2261-15 ; R. 2261-15 et R. 2272-10 du Code du travail.

La concrétisation de la fusion des champs conventionnels : articles L. 2261-33, L. 2261-34, L. 2232-6 et L. 2261-19 du Code du travail.

La négociation du regroupement des branches, Christophe FROUIN, Avocat associé, Cabinet Fidere : http://www.fidereavocats.fr/wp-content/uploads/2017/02/CF-la-négociation-du-regroupement-de-branches-Complet.pdf

Les conditions du regroupement des branches, Christophe FROUIN, Avocat associé, Cabinet Fidere : http://www.fidereavocats.fr/wp-content/uploads/2017/03/Christophe-Frouin-Les-conditions-du-regroupement-des-branches.pdf

Virginie MORGAND, Juriste Droit Social