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Guy Noves / FFR : une faute grave difficilement invocable ? Par Mathieu Lajoinie, Avocat.
Parution : mercredi 3 janvier 2018
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Après les tests de novembre ratés, la sanction est tombée pour le sélectionneur de l’équipe de France de Rugby ! Guy NOVES a fait l’objet d’une procédure de licenciement pour faute grave et est remplacé par Jacques Brunel. Le désormais ex-sélectionneur des bleus conteste la légalité de sa procédure de licenciement pour faute grave, a-t-il annoncé le 29 décembre dans un communiqué transmis à l’AFP. Petit rappel sur la faute grave et ses implications.

Définition jurisprudentielle de la faute grave :

En l’absence de définition légale, la Cour de cassation a donné une définition précise de la faute grave. Celle-ci est caractérisée par la réunion de trois éléments :
• la faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié personnellement (Cass. soc., 23 févr. 2005, n° 02-46.271) ;
• le ou les faits incriminés doivent constituer une violation d’une obligation contractuelle ou un manquement à la discipline de l’entreprise. Ainsi la faute grave ne peut être retenue pour des faits étrangers à la relation de travail (Cass. soc., 25 avr. 1990, n° 87-45.275) ;
• la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, même pendant la période du préavis.

En l’espèce, si la première condition peut sembler remplie au regard des résultats de l’équipe de France de Rugby (encore faut-il ici démontrer la responsabilité personnelle du sélectionneur quant aux résultats de son équipe), les deux dernières conditions semblent difficilement caractérisables. En effet, il convient de rappeler que les résultats sportifs d’une équipe ne peuvent être constitutifs d’une faute grave. Un entraineur sportif est soumis une obligation de moyens et non de résultat. Cela signifie que s’il a effectivement l’obligation de tout mettre en œuvre pour assurer la bonne marche de son équipe, de mauvais résultats ne sauraient, à eux seuls, caractériser une faute grave, pouvant aboutir à la rupture de son contrat de travail. Il pourra être rappelé, en ce sens, le cas de Raymond Domenech, qui, en septembre 2010, soit un peu plus d’un mois après l’élimination de la France au premier tour de la Coupe du monde de football, avait été licencié de son poste de directeur technique national pour faute grave. Cette fois-ci, la FFF avait avancé plusieurs raisons outre les mauvais résultats de l’équipe de France, comme le rappelle notamment le journal L’Équipe : "ne pas avoir révélé à la FFF les insultes proférées par Nicolas Anelka, avoir lu la lettre justifiant la grève des joueurs à Knysna et ne pas avoir serré la main de Carlos Alberto Parreira, le sélectionneur de l’Afrique du Sud."

Ainsi, même si la faute grave semble être un prétexte généralement invoqué pour rompre le contrat d’un entraîneur dont le bilan s’avère insuffisant (Marcelo Bielsa en est d’ailleurs un autre exemple), les résultats sportifs, à eux seuls, ne peuvent être constitutifs d’une faute grave, un entraineur étant seulement soumis à obligation de moyens.

Procédure à suivre en cas de faute grave :

L’entretien préalable au licenciement est une phase obligatoire de la procédure de licenciement, que le motif soit personnel (tenant à la personne du salarié, disciplinaire ou non) ou d’ordre économique.

Ainsi, l’employeur est tenu d’organiser cet entretien pour exposer au salarié les motifs du licenciement envisagé et entendre ses explications afin de pouvoir prendre sa décision définitive.

L’absence d’entretien préalable avant la notification du licenciement n’a toutefois pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse mais constitue une irrégularité de procédure qui est sanctionnée par l’allocation de dommages et intérêts. Cette indemnité ne pourra toutefois pas se cumuler avec l’indemnisation prévue en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, sauf pour les salariés disposant de moins de deux ans d’ancienneté.

Ainsi, même en l’absence d’entretien préalable réalisé par la FFR, cette omission n’aura pas pour effet de requalifier, de manière automatique, le licenciement pour faute grave de l’ex-sélectionneur des bleus, en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Toutefois, ce dernier pourra prétendre au versement de dommages et intérêts au titre de l’irrégularité de procédure, qui pourront, le cas échéant, se cumuler avec l’allocation de potentiels dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ne pas confondre, comme la FFR, une potentielle insuffisance professionnelle et une faute grave :

Si l’insuffisance professionnelle et la faute constituent des motifs de licenciement, les deux notions ne doivent pas être confondues.

En effet, l’insuffisance professionnelle ne présente pas un caractère fautif, de sorte que lorsque la motivation de la lettre de licenciement repose sur une insuffisance professionnelle qualifiée par l’employeur de fautive, voire de faute grave, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Cette règle, énoncée par la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. Soc. 9 mai 2000 n° 97-45163) conserve toute son actualité.

A ce titre, il sera rappelé que l’insuffisance professionnelle procède, non pas d’une faute du salarié, mais d’une exécution défaillante de sa prestation de travail.

Elle est caractérisée « comme l’incapacité objective, non fautive et durable, d’un salarié à accomplir correctement la prestation de travail pour laquelle il est employé, c’est-à-dire conformément à ce que l’on est fondé à attendre d’un salarié moyen ou ordinaire employé pour le même type d’emploi et avec la même qualification » (C.A. Poitiers (ch. soc.), 17 octobre 2006. – RG. n° 06/00795).

Ainsi, au regard de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, si les résultats sportifs, à eux seuls, ne peuvent être constitutifs d’une faute grave, ces derniers pourraient toutefois caractériser une insuffisance de résultats, aux conditions essentielles que des objectifs précis aient été fixés au sein de son contrat de travail, que l’insuffisance de résultats soit due à une carence ou négligence du salarié, et que les objectifs fixés soient réalistes.

Mathieu Lajoinie Avocat au barreau de Paris www.avocat-lajoinie.fr contact@avocat-lajoinie.fr