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Représenter en couverture d’un hebdomadaire un buste de Marianne se noyant est une parodie. Par Marie-Andrée Weiss, Avocat.
Parution : vendredi 5 janvier 2018
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La Cour d’appel de Paris a confirmé le 22 décembre 2017 un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 6 octobre 2016 qui avait vu une parodie dans l’utilisation d’un buste de Marianne comme élément d’un photomontage illustrant une couverture de l’hebdomadaire Le Point.

Le sculpteur Alain Gourdon, dit Aslan, est l’auteur d’un buste de Marianne qu’il représenta en 1968 sous les traits de Brigitte Bardot.

La SEBDO, qui exploite Le Point, avait publié en juin 2014 un numéro de l’hebdomadaire dont la couverture représentait dans un photomontage la tête de cette Marianne partiellement immergée dans l’eau, sous le titre « Corporatiste intouchables, tueurs de réforme, lepéno-cégétistes… Les naufrageurs – la France coule, ce n’est pas leur problème ».

La veuve d’Aslan, titulaire des droits patrimoniaux et des droits moraux sur son œuvre, avait assigné la SEBDO devant le tribunal de grande instance de Paris en violation de ses droits patrimoniaux et moraux pour avoir reproduit l’œuvre sans autorisation.

La SEBDO avait argumenté en défense qu’il ne pouvait y avoir contrefaçon en raison du caractère officiel de tout buste de Marianne comme symbole de la République.

Le tribunal de grande instance n’avait pas été convaincu par cet argument, notant que l’œuvre « n’est pas le symbole de Marianne ou de la République, mais la sculpture du buste de Brigitte Bardot en Marianne créée par Aslan sur laquelle les ayants-droits de ce dernier ont des droits d’auteur ».

Peu importe pour le tribunal de grande instance que cette œuvre soit symbolique puisque toutes les œuvres protégées peuvent être parodiées.

Le tribunal de grande instance rappela que l’article L.122-5, 4° du code de la propriété intellectuelle autorise « la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre » d’une œuvre divulguée, et, qu’en outre, la liberté d’expression est protégée par l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Le tribunal de grande instance rappela ensuite que « la parodie ou la satire sont des formes d’expression artistique et de commentaire social qui visent à provoquer un débat d’intérêt général ». Selon le tribunal, le photomontage représentant Marianne en train de couler, sous un titre dénonçant des « naufrageurs », avait pour but de provoquer la réaction des lecteurs. La reproduction de l’œuvre était ainsi une parodie, et le photomontage « ne suscitera aucune confusion chez le lecteur avec l’œuvre première parodiée ».
Le tribunal de grande instance débouta en conséquent la veuve du sculpteur de ses demandes.

Celle-ci interjeta appel, argumentant que le photomontage est une contrefaçon et une atteinte à son droit moral, car le nom d’Aslan n’est pas mentionné, que le buste n’est que partiellement reproduit, et que l’œuvre est associée de manière péjorative à des « naufrageurs » et à une France qui « coule ».

La cour d’appel de Paris confirma le jugement le 22 décembre dernier : reproduire l’œuvre d’Aslan dans un photomontage n’est pas une contrefaçon, ni une atteinte au droit moral, car il s’agit d’une parodie.

Alors que le tribunal de grande instance avait refusé de considérer l’œuvre comme un symbole, la cour d’appel nota que cette Marianne est « l’une des plus connues par le public et constitue une représentation de la République française ayant vocation à représenter la France que les ayants droits du sculpteur ne sauraient s’approprier ». Par conséquent, il ne peut être reproché à SEBDO d’avoir utilisé le symbole de Marianne « pour illustrer sous forme de métaphore son propos ». Selon la cour d’appel, c’est la République française, sous les traits de Marianne, qui sombre, non l’œuvre d’Aslan.

La cour d’appel précisa qu’une parodie « doit avoir un caractère humoristique, éviter tout risque de confusion avec l’œuvre parodiée et permettre l’identification de celle-ci ».
Selon la cour d’appel, si l’article du Point n’était pas humoristique, représenter un emblème de la République française, « immergé tel un naufragé, constitue une illustration humoristique, indépendamment des propos eux-mêmes et de leur sérieux ».

Marie-Andrée Weiss, Avocat au barreau de Strasbourg et de New York, Cabinet Fidal Strasbourg, http://www.fidal.com
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